Ah! Mon Afrique ! Se développera-t-elle un jour ? Telle est la question que se posent bon nombres d’Africains soucieux du développement de ce continent où les réalités d’un pays à un autre semblent avoir pour dénominateur commun un mal têtu : mauvaise gouvernance. Autour des années 1960, s’est levé dans la plupart des cieux africains le soleil des indépendances. Des scènes de liesse populaires, des hourras avaient été soulevés parce que le peuple était convaincu de ne plus vivre les mêmes maux que ceux de la période coloniale : bastonnades, humiliations, déceptions. Avec l’indépendance, c’est le noir qui dirige, le noir qui règne en maître sans partage. Vagues de révolutions. Bains de sang. Gabegie. Violations des libertés… Le vent de la démocratie qui s’est levé dans les années 90 n’a pas pour autant changé amélioré la situation.

A travers « Le remaniement » (Editions COPEF, Cotonou, 2006 – 177 pages), Edgar Okiki Zinsou nous fait faire un grand détour au pays de toutes les fatalités et animosités : la République des Coussins. Ici, les autorités prennent le pays en otage. Tous les bois sont bons, pourvu que le feu prenne. Tous les coups sont permis, pourvu que l’on accède à un poste haut placé, juteux : faut flatter l’égo du président pour être ministre, donner des pourboires pour boire et siphonner les ressources de l’Etat, mentir pour se faire un place dans les arcanes du pouvoir, ruser pour demeurer dans l’écurie gouvernementale… . Avoir un poste haut perché, sonne le glas de la misère. Il faut en faire profiter à sa famille, ses maîtresses. Tant pis si le pays va mal. L’essentiel, c’est de devenir ventru et de construire au maximum des maisons un peu partout. Chaque fois qu’une nouvelle tête vient pour diriger le pays, on change de fusil d’épaule, de veste, quitte à renier celui qu’on a servi des années plus tôt. La morale a déserté les lieux, c’est l’argent qui compte. Et pourtant, on est nommé pour servir le peuple et non le voler. Si chaque responsable pouvait comprendre qu’un poste de responsabilité n’est pas un héritage et qu’on n’y va pas pour y rester ad vitam aeternam, tout le monde sen porterait bien. Kofikofi Président de la République des Coussins ne se le fait pas enseigner. Il annonce un remaniement ministériel. Grand remue-ménage dans le rang des ministres « vautours » qui l’entourent. C’est l’occasion pour lui de découvrir les talents de griots adulateurs profiteurs dont font montre ses ministres. Ces derniers n’hésitent d’ailleurs pas à organiser une fête à l’intention du président lors de son anniversaire. Mais la vraie fin de cette fête, est d’endormir la conscience du Président. Le coup marche. Le Président se fait lénifier. Les ministres, sans être inquiétés, en profitent pour détourner les deniers publics. Ils raclent jusqu’au fond de la caisse commune. Ignorant tout, Kofikofi croit à leurs paroles mielleuses. Toutes les actions du Président sont applaudies par ces ministres-fossoyeurs de la République des Coussins. Le peuple, sous le poids de la misère, crie au scandale, et demande qu’un vent nouveau souffle. Les « vautours » sont conscients de l’enjeu. Le changement que demande et exige le peuple ne leur fera pas de cadeau. Ils se livrent alors aux camouflages, au mensonge, à l’abus d’autorité. Ils font beaucoup de prisonniers dans le rang du peuple. Mais une affaire fait découvrir au président le vrai visage de ses ministres. Le pays avait été ruiné jusqu’à la moelle. Le remaniement s’impose. Mais à chaque fois, les ministres font tout pour le retarder, détournant l’attention du Président. Kofikofi, et ce dernier leur renouvelle chaque fois sa confiance. Il se laisse amadouer et distraire. Il ne voit pas le mal venir. Il se fait aveugle, sourd et insensible aux multiples interrogations, mises en gardes et avertissement de sa femme. Trop tard. Le mal était déjà fait.

Dans ce chef d’œuvre, le romancier, nouvelliste et poète Béninois, Edgar Okiki Zinsou, dénonce avec une ironie poignante et le sarcasme satirique qu’on lui connaît, l’amateurisme, la gabegie, le favoritisme, les détournements de deniers publics, la mauvaise gestion de la chose publique « Res publica« . Il met à nu ces pratiques qui enfoncent les pays africains dans les ornières du sous-développement.

Dans un style assez soutenu et direct, dépourvu de tout encombrement littéraire, l’auteur invite le lecteur, non à rire des « vautours », mais à s’apitoyer sur leur sort, et à s’engager pour la cause de la patrie. Chaque mot qui arrache un sourire ou un soupir , c’est en réalité une invite à faire sienne la maxime  » Castigo mores ridendo« . Un livre à lire absolument pour savoir ce qui se passe de l’autre côté des murs du palais présidentiel…

 

Kouassi Claude OBOÉ