Il sonnait 10h du matin. On devait recevoir le professeur Taklomigo pour le cours de mathématiques. Ce professeur nous inspirait la peur voire la terreur. Il était tellement râblé, avec une tête qui, même de loin luisait comme une étoile polaire. Cette tête nous effrayait plus par son occiput en dos d’âne. Quand il arrivait parfois à l’un d’entre nous de bien serrer son rectum, d’arrêter le battement de son cœur et d’enserrer ses dents pour lui demander ce qu’il avait au sommet du crâne, il nous disait d’un air grave que cette partie que nous trouvons moche était sa caverne où il amassait ses connaissances. Cela semblait être vrai car il était capable de faire son cours sans fiche, de donner des exercices sans consulter un quelconque livre et de faire des opérations qui nous paraissaient extraordinaires sans calculatrice. On l’avait surnommé ‘’ Big Boss’’. Mais pour l’instant, il n’était pas encore là et l’on pouvait voir la classe en effervescence. Moyo paraissait rayonnante ces derniers jours, plus encore ce matin. Les garçons l’avaient surnommée la diva de la classe. Elle était vraiment belle et pleine de vie. Ma personne était grandement insignifiante devant la poésie de son corps entier. C’était le miel que voulait laper tout un essaim de mouches. A la sortie des cours le soir, c’était une grosse caisse qui venait la chercher. Les professeurs de la boite y compris les nôtres roucoulaient à son passage. Seul Mr Taklomigo aimait à l’enfariner avec des propos fielleux. Décidément, Mr Taklomigo était unique en son genre. En plus de lui, Beaugar était l’ennemi de Moyo. Il était très taquin et mettait à nu ce qui nous paraissait impossible. Il était à la fois aimé et détesté de la classe, au gré des circonstances. Pire, il était lui-même objet de moqueries car sa laideur était sans égale. Nul n’arrivait à comprendre pourquoi il portait un nom qui disait le contraire de sa personne. Moyo, à sa place, riait aux éclats en lisant un papier qu’elle tenait dans ses mains. Apparemment, c’était une lettre. Myriam qui partageait son banc venait de lui remettre un papier venant du fond de la classe. Bientôt la fête des amoureux, et c’était l’occasion pour ceux qui avaient besoin de cavalière d’en chercher avant ce jour.

Se tournant vers son amie :

– Regarde, Myriam, fit-elle en lui montrant la lettre, regarde ce que m’envoie ce pauvre con de Bio. Il pense pouvoir me séduire avec son pédantisme maladroit. Avec son visage de vieux verrat, il croit qu’il peut sortir avec une fille aussi belle que moi.

Myriam émit un soupir avant de lui répondre :

– Je te rappelle qu’il est le plus calme et le plus brillant de la classe. Tous nos professeurs l’aiment pour son intelligence. D’ailleurs tu n’as pas un seul petit ami à ce que je sache. Et tous les hommes que tu fréquentes sont tes aînés et travaillent déjà. Lui au moins, si tu lui donnes une chance, vous pourrez vous entraider et construire ensemble votre bonheur. Bon, si tu craques pour lui aussi. Mais je te le préfère à ces coureurs de jupon qui s’amusent avec ta vie.

– Ah ! Toujours la fille sérieuse, la conseillère, répondit violemment Moyo. Si tu es amoureuse de lui, tu peux sortir avec lui. Cela ne me gênera en rien. En plus, lui et moi ne sommes pas de la même catégorie.

Elle se leva de sa place et alla devant :

– Je vous prie, chers amis, de m’accorder quelques minutes. Je voudrais vous parler.

– De quoi veux-tu nous entretenir, mon amour ? lança Beaugar, du fond de la classe. Que tu m’as choisi comme cavalier pour la Saint-Valentin ? Oh ! Que tu es gentille et je t’en remercie.

 

 

Toute la classe pouffa de rires. Moyo l’ignora et sans ambages tonna :

– Il y a des gens dans cette classe qui pensent que comme nous sommes dans la même classe ou que nous avons le même âge, il leur est loisible de chercher à vouloir sortir avec moi. Je m’en vais leur dire…

– Comment tu peux commencer une phrase avec ‘’ il y a des gens’’, la coupa Beaugar. Une petite introduction avant ferait du bien à ton discours que je trouve déjà bourré de galimatias.

Sans faire attention à ce dernier, elle continua : « Je m’en vais dire, à ces gens-là, comme à Beaugar, qu’ils perdent leur temps. Nous ne sommes pas de la même catégorie, et il leur est impossible de contempler le soleil à l’œil nu, il leur faut des lentilles.

– Quoi ? s’écria Beaugar, la bouche ouverte, surpris.

– Je n’ai pas encore fini de parler Monsieur. Voici une lettre que m’a écrite un énergumène d’entre vous. Je vais vous la lire et mettre les choses au clair.

« Chère Moyo, j’ai entendu dire de l’amour que c’est comme un cyclone qui vient et qui frappe le cœur quand on s’y attend le moins. Que l’être humain est désarmé et impuissant devant lui. Qu’il vient sans prévenir. C’est avec force argutie que je viens te faire part de ce qui se passe à l’intérieur de moi depuis quelque temps quand je te vois. Laisse-moi te dire que tu es ce soleil au sourire doucet qui trône depuis un bon moment au pic de mon cœur. Il engendre des rayons magnifiques qui subliment tout mon espace intrinsèque. Tu es cette jeune femme qui tient un balai dans la lune durant la nuit. Ce balai a amassé des tas de sentiments au fond de moi. Tu incarnes l’étoile de la constellation dans le ciel de mon âme. La nuit, je n’arrête de penser à ton sourire au lys printanier. La blancheur de tes dents, la fraîcheur de ta bouche, l’haleine qu’elle dégage, tous ces atouts me mettent dans un état indicible. Chère Moyo, mon sentiment est nègre, mais pur et riche. L’émotion à l’aine de ton corps est plus vive et attrayante quand tu marches. Je ne te promets ni monts ni vals. Je te garantis la paix, la joie et le vrai amour. Je sais que je suis un petit bourgeon attendant la floraison, mais laisse-moi fleurir à ton ombre pour t’offrir une fleur à l’arôme exquis. Je te veux reine de ma vie. Parcourir tous les chemins terrestres et éternels avec toi. Je suis sincère avec mes sentiments. Je souffre de ton amour. Oui, je ne suis pas peut-être digne d’être reçu dans l’arène de ta vie, mais laisse ton cœur dire une parole et je serai guéri.» Bio Sérou.

 

 

– Oh ! C’est de l’amour ! cria Beaugar. C’est de l’amour. Le vrai et unique annoncé dans un style romantique et hors-pair.

– Peut-être, mais ce jeu ne marche pas avec moi, répondit Moyo.

– Oh Non ! Moyo, reprit Beaugar, avec un air doux et une voix voulue tendre et romantique. Depuis longtemps, je voulais aussi te déclarer ma flamme, mais j’attendais une occasion spéciale pour le faire. On y est à présent. L’occasion s’est présentée. Moyo, tu es ce soleil au zénith de mon cœur et qui brûle mes veines. Quand je te vois, j’entre dans un état tertiaire. Ton sourire éveille en moi le sixième sens. Tes dents chocolatées me donnent l’envie de prendre bonbon. Tes lèvres vermeilles m’incitent à mâcher de chewing-gum. La nuit, je ferme l’œil droit car c’est important, mais je n’arrive à fermer le gauche, tellement il semble contempler ton ombre. Je veux, ô Mary, que tu sois mon apéritif avant le déjeuner et mon goûter avant le souper. Confiant de ton caractère doux et charmant, je te prie d’agréer, sans analyser, ma chérie, l’expression lourde de mon intérieur le plus alarmé.

– Peine Perdue, vieux porc. Tu ne vois donc pas que tu es un roturier et moi noble ? L’amour n’est pas fait pour les gens de basse classe. L’amour chez nous, c’est l’argent. Prête attention à la caisse qui viendra me chercher tout à l’heure. Donc, à la sortie du cours, je te conseille d’attendre les petites fillettes aux entrailles non mûres pour faire ton choix. N’importe quoi.

– Eh bien ! Si c’en est ainsi, je n’avais pas fini de faire ma demande. Moyo, je veux que tu sois cette petite fillette aux entrailles non mûres à qui je vais conter fleurette à la fin du cours, mais avant, il faut que tu réajustes ta bouche, museau de musaraigne et que tu fasses disparaître ces tâches noires rebelles et agressives qui écarquillent les yeux à l’encoignure de tes coudes et de tes genoux, car elles me donnent la nausée. Dieu n’a jamais créé une race mélangée de clair et noir. Je te prie donc Moyo d’accepter, l’expression de mon constat intérieur le plus troublé.

 

La classe se plongea dans une hilarité extrême. Moyo, humiliée, revint s’asseoir. Derrière, Bio ne réagit pas. Soudain, le professeur Taklomigo entra dans la classe. Le silence s’empara de toute la salle. Il jeta un regard à sa montre et s’excusa de son retard. Il envoya Bio, son élève préféré, au tableau pour la correction des exercices donnés la séance précédente. Et il se mit à contrôler les cahiers pour identifier ceux qui n’avaient pas touché aux exercices. Beaugar se mit debout soudainement, leva son index droit et s’apprêta à sortir quand son regard croisa celui du professeur. Ce seul contact des yeux le fit revenir à sa place. Il se gratta la tête. N’avait-il pas fait son exercice ? Le portable de Moyo émit un vrombissement dans le casier. Elle le retira vite. C’était un message. Un message de la part de son petit ami. « Chérie, je viendré te chercher un peux tare. Juste te prévenu. Je t’airme. »

Toute souriante, elle le montra à Myriam :

– Tu vois, c’est lui, l’élu de mon cœur. Il me dit qu’il viendrait un peu tard pour me chercher. Tu comprends donc quand je te disais que nous n’étions pas de la même catégorie.

– Tu as raison, répondit Myriam. Mais, attends, il fait quoi dans la vie ?

– Euh… C’est un… C’est un banquier… Non, c’est un Directeur d’une grande entreprise de papeterie. C’est son frère qui est un banquier.

– Humm… Un grand Directeur… Lui aussi hein… Pour ce petit message, il fait cinq fautes. Viendré au lieu de viendrai avec ai, un peux au lieu de un peu, tare au lieu de tard avec d, prévenu au lieu de prévenir et ce mot que connaissent et savent même écrire les écoliers : Je t’aime et non airme.

– Tu vois, il est au volant, il ne peut donc qu’abréger les mots. Le professeur les surprit. Il leur demanda de lui montrer leur cahier d’exercice. Elles étaient au point. Les exercices étaient faits. Bio avait fini au tableau. Il reçut des acclamations de toute la classe. Beaugar en premier, car le professeur n’avait plus fait le tour de la classe pour le contrôle des cahiers. Le professeur regarda sa montre, il était treize-heures moins le quart. Beaugar, agité, voulait encore impressionner la classe.

– S’il vous plait Monsieur, demain c’est la Saint-Valentin. Auriez-vous des conseils à nous donner, puisque vous êtes aussi comme un père pour nous ?

 

Le professeur en rangeant ses affaires émit un sourire au coin de ses lèvres:

– Moi je ne crois pas en l’amour, mon cher. Le travail est le seul en qui j’ai confiance. Si tu sais mieux le faire, il ne te trahira jamais et il te restera toujours fidèle. Mais en amour, tu peux aimer, beaucoup aimer, il y a toujours ce vent de la déception qui souffle sur votre relation si vous n’y prêtez pas beaucoup attention. L’amour est comme un vin et une ciguë. Au début, tu le bois avec modération, mais à un moment, il peut t’être un acide qui donnera à ton âme la douleur et la souffrance voire la mort. Il a bien sa place chez moi en mathématiques. C’est comme plus fois plus donne plus. Là c’est l’amour au début. Beau, doux et tendre. Côté positif. Mais plus fois moins donne moins. Là, il te montre son côté négatif. Douleur, chagrin. Je n’ai donc pas de conseils à vous donner.

Soudain Moyo reçut un nouveau message. « Je suis là. Sors » Elle répondit : « Viens me chercher en classe. Tu te présenteras comme mon frère au professeur et tu lui diras que notre père est malade et désire me voir à l’hôpital ». Quelques minutes après, un sieur maigre comme une biche pendant la saison de sécheresse, un cou long tel celui d’une girafe, vint se pointer. Moyo se leva à sa vue. Le monsieur fit un pas et ne put faire le second quand son regard croisa celui du professeur Taklomigo. Un silence sépulcral s’empara de la classe. Beaugar émit soudainement un ricanement affreux.

– Chers amis, souhaitons par anticipation une bonne fête des amoureux à notre chère Moyo et à son amoureux, le chauffeur de notre professeur de mathématiques. A l’instant, une jeune élève entra dans la classe et salua le professeur. Elle lui demanda la permission pour voir sa sœur. Le professeur la lui accorda. La petite s’avança vers Moyo :

– Maman a dit de venir au champ ramasser les bois de chauffe à la fin du cours. Puis la petite remercia le professeur et partit. Le professeur, sans dire mot, retira les clefs de la voiture au chauffeur et sortit.

– Humm… Les jeunes filles de nos jours, tonna Beaugar. Au lieu de porter la chaussure qui pourrait vous aller à merveille, vous préférez portez des mules qui vous dépassent. En plus, vous aimez vous vanter avec. Plus d’humilité, même pas une once de patience dans vos actes. Vous voulez précocement une vie luxueuse au lieu d’accepter souffrir avec un paria et construire votre vie ensemble avec lui. Ainsi, vous aurez participé à la construction d’une grande partie de sa vie, et à jamais le roman de sa vie portera aussi la marque de votre plume.

La classe était toujours ivre de rire. Bio se leva et alla vers Myriam :

– Myriam, je suis un paria. Je n’ai rien à t’offrir. Mais je crois que je pourrais t’ennoblir si tu acceptais faire partie de la construction de ma vie. Il lui tendit sa main, et Myriam, souriante, la prit. Les deux sortirent de la classe sous les regards admiratifs de leurs camarades. La classe commençait à se vider.

– Moyo, je suis prêt à te faire prendre zém pour que tu puisses rentrer chez toi, lança Beaugar. Comme j’ai déjà vu la grosse caisse qui viendrait te chercher… Il se mit à rire à gorge déployée. Dehors une grosse caisse attendait Bio. Il supplia Myriam d’y pénétrer pour qu’il la dépose chez elle. Myriam hésitait, stupéfaite. – Quoi ? Qui es-tu ? C’est vraiment toi, Bio ? Bio sourit, et lui répondit :

 

– Le coq n’a pas besoin de se dresser sur ses ergots ou montrer sa crête pour prouver qu’il est le maître de la basse-cour. Et ce fut une leçon que nous avons apprise depuis ce jour.

 

 

RICARDO AKPO

 

Ricardo AKPO est étudiant en troisième année Histoire et Géographie  à Ecole Normale Supérieure de Porto-Novo

  1. Hummm, non seulement elle est belle, cette histoire est aussi instructive. Trop coool

  2. Ah l’amour. Toastons à nos conneries scolaires…. On écrivait ces lettres sur des papiers parfumés….On dessinait les mots avec une calligraphie soignée. Et ces filles les déchiraient et s’en moquaient… Rires. Merci Ricardo pour mes quintes de rires. Belle leçon !