Mars est divin. Des époux-tourterelles s’aiment au lever du jour avec leur sempiternelle roucoulade. La vie à Houndjroto n’avait pas changé et la latérite de la terre rouge savait accueillir à chaque matin naissant les pas des paysans, houe à l’épaule, des vendeuses de »lio » ou d »’afitin » ainsi que des condiments (tomates, oignons, épices…) dont les effluves embaumaient les sentiers. Ce jour-là, Sessi s’apprêtait à aller donner ses cours d’Histoire au lycée privé de la zone. Elle entendait déjà les klaxons des taxis-motos et le vrombissement des gros camions chargés de coton, de sacs d’acajou ou de bidons d’huile d’arachide. La ville s’était modernisée en quelques années grâce à l’implantation des usines et surtout grâce à la route principale tracée au goudron pour permettre une libre circulation de la population. Le neveu de Sessi, Hagbaka était un touche-à-tout. 13ans révolus, il reprenait la première classe du Cours Elémentaire une nième fois. Sa mère disait qu’elle attendait qu’il ait 15ans pour l’inscrire en apprentissage comme artisan. Noudié était enceinte jusqu’aux oreilles d’un père qu’elle cachait bien. Veuve heureuse du père de Hagbaka, elle réussit à évincer les trois épouses du Surveillant Général du lycée privé où travaillait Sessi pour en tomber enceinte. Prête à commencer sa journée, Hagbaka aussi brouillon qu’un sanglier en brousse, dans sa précipitation, jeta de l’eau sale sur sa tante sans même voir où il versait ses détritus. Il se répandit en excuses. Cette dernière repartit se changer quand subitement elle entendit des hurlements de toute part: des louches de cuisine grondaient sur leur portail en fer, des insultes en langue locale fusèrent de partout. On eût dit une huée absurde. La rumeur se précisa de plus en plus quand Noudié ouvrit le portail avec fracas. Dès qu’elle ouvrit, elle vit quatre femmes aussi vastes que bœufs et bien en colère rentrer dans la concession. Elle comprit l’ampleur de l’événement et courut dans sa chambre. Elle qui n’avait qu’un seul pagne ceint autour de sa poitrine, alla porter une culotte de femme, prit un foulard pour nouer le bas de son ventre volumineux et sortit. Elle vociféra:
-Qui es-tu pour venir me narguer ce matin chez moi? Est-ce ainsi que ta mère t’a éduquée?
Djolokoko, première épouse du Surveillant Général du lycée surgit de derrière pour asséner:
-Qui es-tu pour insulter sa mère, pétasse? Femme aux mœurs légères. Voleuse de mari!
-Hein répète ! Cria Noudié. Qui est la voleuse de mari ici? Hagbakaaaaa! Hagbakaaaaa ééé apporte-moi le spatule de pâte que je roue ces mégères. Hagbaka, heureux de se sentir utile, courut chercher l’ustensile de cuisine.
Sessi prit à part l’une des dames en retrait pour demander de quoi l’histoire retournait. Elle savait qu’elle ne réussirait pas à questionner sa sœur en furie. Il s’avérait alors que Noudié, vendeuse de riz cuit au lycée avait réussi à séduire le Surveillant Général et à se faire mettre enceinte. Les trois autres épouses apprirent la nouvelle de l’un des collègues du polygame-surveillant et n’hésitèrent pas alors à prendre d’assaut la maison de Sessi et Hagbaka. Une maison héritée de leur grand-mère et qui était leur unique refuge en ce monde. Sessi très calme d’ordinaire ne savait quoi faire. Elle avait toujours eu une vie rangée et simpliste contrairement à sa sœur qui n’était pas une mine de calme. La dispute battait son plein quand deux créancières voisins de leur concession ayant entendu les cris s’introduisirent dans la dispute.
-Tu ouvres ta grande bouche pour insulter. Dit l’une des créancières à Noudié. Quand tu te prostituais à te donner à celui-là, as-tu au moins demander mes 12milles francs de tissus que tu me dois depuis 9mois?
Noudié retourna chez elle prendre un coupe-coupe et traça un long trait horizontal au sol en criant.
-Celle qui ose franchir ce trait se verra fendiller le crâne. Sessi calmait sa sœur en vain. Les autres femmes petit-à-petit reculèrent jusqu’à se retrouver dans la ruelle. Noudié respirait bruyamment. Elle transpirait à grosses gouttes. Des larmes perlaient sur ses joues et elle criait un seul prénom « Joutin, Joutin ado wignan mi » pour dire « Justin, Justin tu m’as honnie ». Sessi comprenait bien de qui il s’agit et hochait lentement la tête de gauche à droite. Elle entreprit d’aller à ses cours. Ses apprenants jacassaient déjà en salle la pensant absente ce jour-là. À sa vue, ils se rangèrent tous pour suivre le cours. Noudié, prête à vendre sa marchandise de riz se dirigeait déjà à son emplacement à la cantine du lycée. À sa vue, le Surveillant Justin aussi rond qu’une bille, ventripotent au crâne brûlé, s’avança vers elle avec un sourire qui en disait long sur le déjeuner copieux qui l’attendait. Il aimait toujours enfoncer sa chemise dans un pantalon en tergal qui avait vu de beaux moments. Noudié la mine serrée le regardait à peine. Il vint se placer à côté d’elle puis ouvrit les casseroles d’où émanaient l’odeur de riz chaud, de sauce tomate au poisson qu’il adorait. Noudié s’empressa de fermer ses récipients et lui asséna:
-Tes femmes sont venues me battre ce matin chez moi.
Il répondit avec conviction.
-Je n’ai qu’une seule femme, et c’est toi.
Myrtille A. HAHO