Diadié DEMBELE « Les tresses royales » : une histoire de noblesse au carrefour de la poésie et du conte.

Il est des auteurs pour qui le plus grand mérite serait de parvenir à rendre poétiques certaines réalités évidentes qui les entourent ou, du moins, qui ont marqué, à une certaine époque de l’histoire, la vie de tout une société. Que serait d’ailleurs l’activité poétique si le poète, dans son laboratoire d’écriture, n’avait pas les mains assez habiles pour « transformer la boue en or ». Par ailleurs, dans une des lettres de l’ouvrage Lettres à un jeune poète, Rainer Maria RILKE, après avoir reçu les premiers textes du jeune poète qui sollicitait son jugement sur ses productions, lui donne ce conseil qui méritait beaucoup d’attention de la part de tout poète : « Si votre quotidien vous paraît pauvre, ne l’accusez pas ; accusez-vous plutôt, dites-vous que vous n’êtes pas assez poète pour en convoquer les richesses ».
Diadié DEMEBELE a très bien compris le conseil du grand poète dans son recueil de poèmes. Les tresses royales traitant de la noblesse guerrière Soninké, nous plonge dans un univers atypique où épopées et légendes et poésie orale occupent une place centrale.

Dans une Afrique baignant profondément dans une culture de l’oralité, la parole a été très longtemps le vecteur par lequel passent une philosophie et des valeurs qui, de générations en générations, sont assurées par une transmission orale.
Cette tradition orale est symbolisée par le rôle capital qu’occupait le griot dans la sphère sociale. Loin d’être de simples dithyrambiques pour caresser le poids du guerrier roi, la parole du griot est d’abord et avant tout porteuse de sens, d’histoire et surtout de vérités.
Le poète est conscient de toute la force de la parole :

Elle sonne la vérité
De nos temps
Et retentit le mensonge
Des temps anciens. p.5

Nous pouvons voir dans ces vers que la parole a deux facettes : celle de restaurer les vérités historiques et celle de rectifier les mensonges perpétués dans passé pour le triomphe de la vérité. Dans les sociétés africaines pour la plupart, les griots sont considérés comme gardiens de la mémoire collective et, en même temps, conseillers premiers du roi. Dans le célèbre livre de l’historien Djibril Tamsir Niane, les paroles d’ouverture du griot Mamadou Kouyaté sont d’une parfaite illustration. Au-delà de sa personne propre, il montre avec une élégance par le langage ce que devrait être le vrai rôle du griot. La parole du griot est vie pour perpétrer les hauts faits des rois dans le temps, elle est à la fois parole-chant, parole-rythme et, dans une certaine mesure, parole-thérapie : « Je parle de cette parole qui se fait incantation / Et guérit les maux des souffrances » p.7

Dans la cour du roi comme dans le champ de bataille, son discours est force déclenchant le courage du roi et de tous ceux qui, pour la liberté, sont prêts à affronter l’ennemi. Une liberté au prix de la vie. C’est un combat de vertus et de dignité des guerriers et de la lâcheté des traîtres « Les lâches prendront fuite, les traitres s’allieront à l’ennemi / Et les maitres mourront avec la dignité ».

Un seul lien par le sang. De la même manière que la famille est une liaison de sang, les guerriers aussi se lient par le sang dans le champ de combat. Ce sang est le lait qui, au combat, nourrit davantage la chair de la fraternité. Le vocable « lait » auquel le poète fait très souvent référence dans beaucoup de ses poèmes, évoque la pureté de par sa couleur. Cette filiation est le nombril auquel s’attache la fibre des guerriers ; une liaison d’affection entre frères et sœurs.

Bon nombre de poèmes dans ce recueil parlent de la puissance de la parole du griot et de la détermination des guerriers dans le champ de bataille. Nous avons même l’impression d’assister à leurs performances par la valeur représentative dont le poète fait montre. En réalité, tout est presque représentation dans ce recueil.
Sous un autre angle, nous nous rendons compte que bien des personnages dans ce recueil sont représentés par des noms d’animaux. Le champ lexical « animalier » installe le lecteur dans un univers où règnent l’invraisemblance, le merveilleux et surtout le surnaturel. Par une belle personnification, le roi incarne toutes les caractéristiques du lion, les politiciens vivant de la sueur du peuple possèdent tous les défauts du vautour. Quand le premier dicte son autorité et sa force pour le respect et la considération, le second, suçant le sang des défavorisés, complote sur le dos du peuple.

Chaque animal représenté dans ce recueil incarne une personnalité d’un être humain. L’hyène, la chèvre, le cheval brun, la vache noire etc. sont autant de personnalités qui s’invitent dans le discours du poète. Chaque animal a une représentation symbolique qu’il assume à lui seul avec ses propres caractéristiques.
Chaque personnage a droit au chapitre et, dans un style de discours direct, prend la parole pour dire son mot, ce qui nous donnerait plus l’impression d’être dans un univers de conte où la polyphonie se donnerait comme surprise pour le
lecteur habitué à une poésie où ne parle que la seule voix du poète. Cette approche d’immiscer les caractéristiques d’un genre comme le conte dans la poésie (ce qui renvoie à une poésie protéiforme), n’est pas mal en soi, ce serait d’ailleurs une touche particulière que Diadié apporte dans une poésie où la créativité semble être rejetée au second plan. Sauf que, parfois dans certains poèmes, le discours trop envahi par la narration épaulerait violemment la dimension poétique ou même parfois la mettrait à terre. Dans certains poèmes, la narration prend le dessus sur la portée poétique, ce que nous considérons comme un point faible de ce recueil.

Bien que cet aspect très narrativisé soit une des limites du texte de Diadié DE MBELE, les éléments du discours utilisés en donnent toute l’élégance dans un style particulier du poète. Ce dernier comprend que la poésie surtout africaine est d’abord rythme. Contrairement à beaucoup de poètes qui pensent que c’est seulement la rime, parfois trop programmée et très ennuyante, qui fait le charme du vers, le poète nous confirme que le rythme donne plus de vie au poème. C’est pourquoi il fait souvent appel aux figures de répétitions pour imposer le rythme qui fait de sa poésie chant et musique. Parmi ces figures de répétition, nous pouvons citer :

L’anaphore « Bénis soient les dieux… » p.13 dans le poème « Bamananya ou l’art du refus ». Cette répétition sert à fixer l’idée de la bénédiction des dieux dans l’esprit du lecteur ;

L’anadiplose qui est un procédé de répétition par lequel on reprend au début d’une proposition un mot situé à la fin de la proposition précédente. Cette figure de style est bien présente dans le poème « La transparence reine » p.109 permettant à l’auteur d’insiste sur l’environnement forestier dans lequel surgit tout le mystère de la reine sorcière. Autant que la forêt est mystique, autant que la reine l’est. Elle s’incarne et incarne plusieurs formes dans la vie ;

Le refrain ou l’antépiphore est la répétition lancinante d’un vers ou d’une expression sous forme de leitmotiv. « Soit le vent, sois la terre, sois dedans, sois le fer! » Ce vers qui traverse tout le long du poème « Le vent et la terre » p.15 produit une certaine cadence musicale qui donne rythme au poème et cela, dans le but de capter l’attention du lecteur pendant le temps de lecture.

Faisant usage de toutes ces figures de répétition dans beaucoup de poèmes du recueil, le poète Diadié DEMBELE nous conforte dans notre regard sur sa poésie qui réserve une place de choix au rythme, à la musique, aux valeurs de l’oralité.
Par contre, il nous serait presque impossible de parler de tous les thèmes très intéressants évoqués dans ce recueil et de toute sa beauté dans une seule analyse. Ce que nous pouvons dire de très manière simple est que le poète Diadié, sans pour autant avoir la prétention d’enseigner les hommes comme le ferait un texte de conte, prête sa voix, comme le griot, pour dire des choses pleines d’enseignements dans une lancée inscrivant dans la restauration d’une histoire vécue par les nobles guerriers Soninké. Son texte mérite d’être lu, il porte en lui-même tout le succès comme les seigneurs de guerre portaient sur leurs têtes les couronnes de coiffe :
Les tresses royales

 

Serigne Ndongo THIOYE