Ihooo ! Ido ! Ihooo ! Idoo ! Ihoooo ! Idooo ! Il était une fois, au temps où il n’y avait pas encore de foi, au pays des « Etres prodiges » redoutables et redoutés, un jeune homme exceptionnellement doué : Wéfodagbé.  A lui seul cet homme comptabilisait la taille de trois personnes réunies. Il était descendant, à ce qu’on dit, de Wédu-wédu le danseur. Wédu-wédu était en effet le premier de son espèce, celle des danseurs prodiges mi-hommes, mi- oiseau. Les Wédu-wédus savaient danser comme il n’est pas possible de le faire. Ils pouvaient danser du matin au soir, du soir au matin.  L’aurore les trouvait dans la danse. Le crépuscule se plaignait toujours d’eux. Ils pouvaient s’incarner sous diverses formes et danser dans n’importe quel objet transparent, ouvert ou fermé. C’étaient tout simplement des dieux de la danse.

Les Wédu-wédu avaient l’habitude de se mesurer entre eux et de chercher le meilleur danseur de tous. Ainsi, toutes les pleines lunes, a lieu le concours de danse. Cette année, ce fut Wéfodagbé qui sortit pimus inter pares (le premier parmi ses paires). Il était adulé de tous. Les jeunes filles, les jeunes garçons, les vieillards, tous restaient médusés lorsqu’il pirouettait, bondissant sur ses deux jambes au son du tambour sacré. Son visage se transfigura, illuminé de mille feux. Son énergie se décupla, son torse bombé invitait à la danse. Le tambour ralentit, Wéfodagbé changea de pas. Le tambour grogna un instant et reprit son effet dans un métronome divin. Personne ne comprit d’où lui venait cette inspiration. Pas même ses congénères. Soudain, Wéfodagbé disparut. Stupeur, surprise, Wéfodagbé était dans une petite bouteille déposée au pied des anciens. Diantre! Il dansait dans l’alcool. Le sodabi des anciens se fermentant, le danseur ne trouvait que plus de force et d’ardeur.

Au bout d’une trentaine de minutes, Wéfodagbé sortit de la bouteille sous le regard étonné de tous. Tenez-vous tranquille, il avait sorti le grand jeu ce jour-là tout en ignorant qu’il n’était pas le seul être à pouvoir réaliser cette performance au pays des « Êtres prodiges ».

Les anciens l’interpelèrent en ces termes : « Irrévérencieux danseur ! Ce que tu viens de faire est un affront. Oser danser dans notre breuvage ? Tu seras châtié à la mesure de l’offense. » Wéfodagbé se moqua des anciens et les défia de faire mieux. Et pour couronner son impertinence, il donna rendez-vous au plus vieux des anciens au pied de l’arbre sacré pour une partie de danse dans trois jours.

Ihooo ! Idooo ! Ihoooo ! Idooo ! Ihooo ! Idooo ! Le jour -J arriva. Tout le pays des  » Êtres prodiges » était rassemblé au pied de l’arbre sacré pour un affrontement sans merci entre Wéfodagbé et Mambahomio, le plus anciens des anciens. L’air était chargé de tensions. Les feuilles perdaient déjà de leur verdure. Les oiseaux comme alertés par un signe prémonitoire s’envolèrent en même temps. Les hostilités furent lancées et Wéfodagbé, lui le dernier de son espèce, se mit à danser comme il savait le faire. Il dansait comme trois Wédu-wédu rassemblés. Il chantait également. Il sautait, gesticulait, se contorsionnait, transpirait, pendant que Mambahomio l’observait, coi. Au bout d’une dizaine de minutes Wéfodagbé fit signe au tambourineur de changer le tempo. Tous surent qu’il s’apprêtait à entrer dans la bouteille de sodabi des anciens assis à leur place habituelle. Tout à coup l’on entendit Mambahomio scandé :

– Wéfodagbé, Wédu-wédu vi éééé abiô go ô min on, witwé kon  (Wéfodagbé, fils de Wédu-wédu, si tu entre dans la bouteille tu es foutu).

Le tambour cependant continuait de résonner. Wéfodagbé, lui le dernier de son espèce tenta de rentrer dans la bouteille malgré l’ultimatum de son challenger. La voix de Mambahomio retentit à nouveau :

– Wéfodagbé, Wédu-wédu vi éééé abiô go ô min on, witwé kon.  Wiwè gnin pkodé do hen towé nu (Wéfodagbé, fils de Wédu-wédu, si tu entre dans la bouteille tu es foutu c’est toi le benjamin de ta famille. c’est toi le dernier de la lignée.)

En effet, Mambahomio était le chef des sorciers de ce pays. Sa parole ne lui revient jamais sans effet. Les imprudents, les impertinents du matin mourraient en avant le coucher du soleil. Les débiteurs payaient leur dû et en ajoutaient sous l’effet des sortilèges. Il était redoutable. Mais ça , Wédu-wédu n’en savait rien . Il s’entêta. Roulement de tambour, accélérations du rythme. En deux temps de mesures, Wédu-wédu junior entra dans la bouteille. Soudain, le couvercle de la bouteille s’éleva du sol et se posa sur la bouteille. Mambahomio venait de fermer la bouteille hermétiquement… Toutes les tentatives pour l’ouvrir furent vaines. C’est ainsi que s’éteignit la race des Wédu-wédu, danseurs prodiges. Depuis ce jour, aussi, lorsqu’un ancien sommait un plus jeune de ne pas poser un acte, il s’exécutait sans broncher. Le cas Wefodagbé venait de faire école, et tous les jeunes apprirent que la vanité et l’impertinence ne conduisent jamais au bonheur.

 

Adebayo  ADJAHO

 

  1. Très beau conte…. J’aurais voulu que le jeune danseur ne meurt pas, surtout qu’il porte mon prénom 😉…. Et aussi j’ai aimé la conclusion… C’est bien frère… Continu…

    • Merci junior ! Le plus fort n’est jamais toujours assez fort pour …
      Sagesse oblige

    • Merci de nous lire noemie . c’est comme dans vos textes slam….la vie et ses leçons .

  2. Intéressant l’histoire. Et quelle belle leçon en en tire! Quand on défie un aîné, c’est à ses frais, risque et périls. Bravo!

  3. « La vanité et l’impertinence ne conduisent jamais au bonheur ». Beau conte,belle leçon !

  4. Comme quoi, un vieux reste un vieux, même s’il est édenté. La jeunesse avec l’école des blancs doit savoir que « Le séjour d’un tronc d’arbre dans l’eau ne le transforme pas en crocodile ».

    • « Avant d’avoir les cheveux noirs, diras Sembène Ousmane, in les bouts de bois de Dieu, il faut les avoir eus noirs ». On ne gagne rien en effet à se montrer intriguant et irrévérencieux envers les aînés.