Bibliophiles cinéphiles, vous savez certainement quelque chose du Far West. Vous savez, cette mythique région des États-Unis, théâtre, pendant les dernières décennies du XIXème siècle, d’affrontements sanglants entre Indiens et colons américains décidés à conquérir les terres austères de l’Ouest. Vous savez certainement aussi quelque chose des Westerns Ah! Les Westerns avec des Apaches résistants, un Geronimo intraitable, John Wayne ou Clint Eastwood en gentils, cowboys en bottines avec éperon, rodéo, chevauchées dans le désert, saloons , shérifs justiciers, chasseurs de prime, règlements de compte publics, le célèbre Lucky Luke flanqué de son cheval blanc, tantôt aux prises avec Billy the kid tantôt à la traque des inévitables frères Dalton. Sans oublier la légendaire Calamity Jane, la brave Jane qui chevauchait , hardie et farouche, aux côtés des hommes.
Savez-vous aussi que loin des studios de Hollywood, à plusieurs lieues du Wild West , des étendues désertiques et des geysers de l’Arizona, il se tourne du western ? Oui ,du Western. Ni américain, ni spaghetti. Incroyable, n’est-ce pas? Et pourtant…
À Natingou City, il se joue un drôle de western. Du Western…tchoukoutou. En vedettes, pas de Luky Luke, pas de frères Dalton, pas de Billie the kid, encore moins de Calamity Jane. En lieu et place, vous avez un parterre de personnages tout aussi impressionnant que les personnages classiques. Il y a d’abord Alassane Gounou dit Al , « bouvier. Gardien de troupeaux comme son père, le père de son père, son aïeul et le premier de la lignée…» p.02. Puis, il y a le shérif Boni Touré, « inspecteur de police à la Brigade criminelle, amateur de viande de chien…» Comme dernier membre de ce trio redoutable, Ernest Vitou, « homme d’affaires, propriétaire terrien, fondateur et tenancier du restau-bar baptisé « Saloon du Desperado».
Dans ce western atypique régnait une « ambiance tchouk», dictée par les effets du tchoukoutou mais surtout par les trois hommes forts de Natingou City : Al, Boni et Ernest Vitou. Un après-midi, alors que tout allait pour le mieux dans le western béninois , sans prévenir personne, un quatrième personnage s’invite qui vint aussitôt troubler la tranquillité des trois précédents. C’était une femme: une certaine…Kalamity Djane. Oui, vous ne vous y trompez pas , ce nom sonne drôlement comme le Calamity Jane des Westerns américains. La Kalamity Djane de Florent Couao-zotti, il faut le dire, mérite bien son surnom et n’est pas moins farouche que son homonyme du XIXème siècle américain. Déjà, elle vient en parfaite trouble-fête, dérangeant le shérif, l’homme d’affaires et le cow-boy dans leur quiétude coupable. Mais pourquoi les tout-puissants hommes forts de Natingou City devraient-ils trembler face à la seule présence d’une femme, fût-elle porteuse du terrifiant nom de Kalamity Djane ? Eh bien, il faut croire que cette Kalamity apportait la calamité: « Je suis Kalamity Djane. Et je suis venue pour tuer.» , annonce-t-elle sans détours. Les mots de la jeune femme sont cinglants, et tout dans sa dégaine ôte le doute quant au sérieux de ses intentions. Ce n’est pas la femme d’Ernest Vitou, la chinoise Xuo luo, qui dira le contraire. Impressionnée et terrifiée par les manières et les mots de la Kalamity, elle se dépêche d’ avertir son mari occupé ,ailleurs , à ses gredineries. Et comme rien ne se passait à Natingou City qui pût échapper aux trois hommes forts du coin, la nouvelle parvint aussitôt aux oreilles des deux autres membres du trio. On prit peur, on s’étonna, on se calma, on interrogea, on découvrit l’identité de cette invitée impromptue et on s’effraya davantage. Cette Kalamity Djane n’était personne d’autre que Nafissatou Diallo, ancienne victime des trois hommes qui croyaient s’être débarrassés d’elle trois années auparavant. Était-ce la vraie Nafissatou Diallo ? N’était-elle pas morte enterrée ,celle-là ? Comment cela se fait-il qu’elle soit encore vivante ? Était-ce un fantôme ? Une chose était sûre : Kalamity Djane était revenue pour se venger, pour tuer. Ses anciens bourreaux, terrifiés, tinrent conseil et investiguèrent. Il fallait contrecarrer les plans de la revenante. Le bras de fer avait commencé, la chasse au fantôme était lancée.
Paru aux éditions Gallimard en 2018, « WESTERN TCHOUKOUTOU » a plus des allures de film que de roman. C’est du western, étagé en 18 épisodes pleins de suspense et semés d’actions, exactement comme le western du cinéma. Mais attention, ce n’est pas un pastiche maladroite des films de John Ford. L’auteur, en 172 pages, » tropicalise » et cuisine un western aux fortes épices béninoises. Le tchoukoutou remplace le whisky des films hollywoodiens. Quant à la musique, l’auteur snobe les délicieuses compositions du virtuose Ennio Morricone et le country caractéristique des westerns classiques au profit des mélodieuses jérémiades psalmodiées par le poète Dassagoutey. Dassagoutey vous rappelle-t-il le chanteur Dassabouté ? Pélagie lallumeuz vous rappellera certainement Pélagie la vibreuse, tout comme Natingou City, ainsi que chaque lieu, chaque paysage, chaque personnage qui sillonnent le cours de ce roman truculent à suffisance et tout de suite accrocheur. Des «train onze» , « tête de granite», typiques au français béninois enrichissent le décor béninois choisi par l’auteur. « WESTERN TCHOUKOUTOU » est une pure délectation. Pas étonnant qu’il ait remporté le prestigieux prix Roland-de-Jouvenel de l’Académie Française. N’hésitez pas à monter en selle . Aucun doute, la chevauchée dans le Western de Florent Couao-zotti ne vous déplaira pas.
Gilles Junior GBETO