Kouhounou, 23h59mn. Le temps était mauvais. De gros nuages S’amoncelaient dans le ciel de ce quartier populeux de Cotonou. Les dernières filles de joies avaient rangé leurs étalages de « pain de chaque nuit« . Les trottoirs se désemplissaient. La chaussée ne tarda pas à se faire déserte. Les Zémidjans se firent rares. La météo avait annoncé une grosse pluie. Dans les vons, les baraques avaient fermé au grand mécontentement des viveurs et surtout des viveuses, « les gos choco« , qui jetaient sans pitié leur dévolu sur les porte-monnaie des mecs branchés et ceux débranchés aussi. Mais, « Chez Dadjè » le Sodabi baptisé « Axwévi ou Zota » scellait encore l’amitié entre quelques infortunés malmenés par la précarité ambiante. Ils venaient noyer leurs soucis et complaintes dans l’alcool et, par la même occasion, se chauffaient les boyaux avant le grand froid qui, peu à peu, étendait son voile sur le quartier. Dans la rue de Hagbè aussi, les buveurs de Sodabi et de bière et les mangeurs de cochon et de kpètè étaient toujours au rendez-vous. Hagbè fêtait le 60ème anniversaire du décès de la tante de la femme de son cousin germain. Les menaces de la pluie n’émoussèrent guère l’appétit vindicatif des invités et des auto-invités à ce banquet qui durait depuis six jours. Dans un angle de la maison et même au portail, vrombissaient des haut-parleurs rafistolés par endroit qui vomissaient des sons à la mode. Pour un samedi soir à Cotonou, une telle ambiance n’était que normale. Béninoises en pagne et en bouteilles étaient à l’honneur.

 

Chez nous, les Koklossou, l’heure était à la prière intense et virevoltante, comme c’est d’ailleurs le cas chaque soir. Mais la particularité de ce soir, c’était que ma mère, Madame Ewlizo, épouse Koklossou, avait annoncé une nuit de combat spirituel, selon les messages qu’elle avait reçus dans son cœur. Il ne fallait jamais douter de ses intuitions ; ma mère était en connexion haut débit avec le Saint-Esprit. Cette nuit donc, elle a décidé de faire veiller tout le monde. Papa n’a pas retrouvé le sommeil, moi non plus. Qui pouvait d’ailleurs oser aller au lit quand maman avait décrété la chasse aux esprits mauvais qui nous empestent constamment la vie? Surtout pas papa; un regard de sa femme le ramènerait à l’oratoire situé dans un angle du salon. S’y côtoyaient dans un décor harmonieux des statues de tailles diverses. On pouvait y voir Saint Joseph souriant à la Vierge, Saint Antoine de Padoue tendant le Petit Jésus à PadrePio qui égrenait son chapelet en compagnie de Sainte Bernadette Soubirous prosternée aux pieds de Notre Dame de Lourdes. Les archanges et les anges avaient aussi leur place dans cet oratoire où la Bible était toujours ouverte. L’huile d’olive bénie et le sel exorcisé avaient aussi leur place dans l’arsenal de combat contre le démon chez nous. Contre le mur, au fond de l’oratoire, était plaquée une gigantesque gravure de la Sainte Face dont maman dit qu’elle la voit saigner certains jours. Mais nous, on ne l’a jamais remarqué. Elle nous reprochait notre manque de foi en la présence agissante de Dieu dans notre vie à travers les Saints qui veillaient sur nous. A chacun ses dons. Papa excellait dans les chants. Moi j’étais un bon charbonnier. Ewlizo était la maîtresse d’orchestre de la vie spirituelle chez nous. Un géant encensoir trônait devant l’oratoire. Aux heures chaudes de fermentations spirituelles faites de transes, d’extases et de glossolalie (parler en langue. Maman en est la championne imbattable), j’étais chargé de faire monter la fumée vers le ciel avec les prières des miens.

 

 

Ce soir-là, alors que tout le quartier dormait (sauf chez Hagbè), nous autres, avons passé la nuit à prier Dieu et invoquer la puissance de son bras droit dont maman disait qu’il était le plus puissant. Et pour cause: chez les Koklossou, le démon a encore opéré. Il fallait s’y attendre, car selon maman, chaque fois qu’elle va au village, les sorciers la mettent toujours dans leur viseur. Je ne sais si c’était vrai ou pas, vu les nombreuses superstitions qui entourent la vie de maman, mais pendant que nous dînions, la table s’était mise à bouger. Les assiettes sur la table sautillèrent, les poissons dans la sauce se frétillaient comme s’ils étaient sur la berge. La télévision qui était éteinte, s’alluma d’elle même, tandis que les lampes s’éteignirent. Les baffles crépitèrent et crachèrent quelques jets de fumée. Le staffer se fendit et les portes se mirent à craquer. Ce n’était pas nouveau. C’est ce qui nous avait amené à déménager de l’autre maison que papa avait dû bazarder. Dans l’autre maison, une nuit, pendant que nous dormions, le véhicule de papa prit feu. Rien d’autre ne brûla dans le garage. Une autre fois, maman roulait sa moto. Arrivée devant le feu rouge, son frein céda, et la roue avant quitta la fourche. Elle fit une suite de roulades avant simple, avant de s’immobiliser au beau milieu de la chaussée. N’eût été l’intervention des forces de l’ordre qui, ce jour là n’étaient pas plutôt préoccupées par leurs téléphones portables, le pire aurait pu arriver. Il faut dire que nous avions rarement la paix chez nous. A plusieurs reprises, mes parents se sont plaints des cas de perte d’argent à la maison. Nous n’étions que trois dedans. Qui pouvait être le voleur? Ils sont aussi nombreux les cas où nos vêtements avaient été dévorées par des flammes sans que les garde-robes aient été atteintes. En allant à l’école, je pouvais me retrouver sur le chemin qui mène au marché avant de me rendre compte de mon errance. Cela est arrivé à papa aussi qui a raté plusieurs vols, parce qu’il n’avait pas retrouvé la voie qui mène à l’aéroport, son lieu de travail depuis 25 ans pourtant. Maman s’était déjà réveillée avec des brûlures et des boursouflures sur le corps, papa avec des griffes d’invisibles chats sauvages au visage, au dos, à la cuisse. Moi, des chiens me poursuivaient dans mon sommeil, et en me réveillant, je sentais l’odeur de leur urine. Ces différentes situations renforcèrent la foi de maman qui s’était trouvé un Accompagnateur Spirituel, le Père Tonnerre qui la bombardait de versets bibliques et autres prières dites efficaces qui ont fait leurs preuves et donnèrent soulagement à la famille. Mais voilà que cette nuit, les phénomènes avaient repris. Notre dîner se termina en débandade.

 

A suivre…

 

Destin Mahulolo

  1. Ohhh. Excellent. Pour une lecture qui ressemble à un film (série) genre d’horreur ou de drame, c’en est un. Vivement la saison 2!

    • Sourire. Relax, cher Othniel Sulpice, l’épisode 2 est déjà sur le feu

  2. Ouf! J’ai bu cette excellence littéraire d’un trait. Et j’en suis tombé amoureux.
    Je suis amoureux de cette plume flamboyante qui peint des scènes à la fois fantastiques, pathétiques…mais avec des jets de réalisme…
    Voilà une histoire où le drame est en permanence aux aguets, une histoire racontée dans un style qui emporte merveilleusement le lecteur jusqu’à satisfaction de son appétit littéraire.
    Cap sur la saison suivante que je devine aussi captivante !