Mon conte roule, traverse quartier et quartier et tombe dans une ville, très peuplée où habitait une famille très pauvre. Incapable de se nourrir quotidiennement, la famille n’a de salut que la générosité aléatoire des uns et des autres qui leur venaient en aide. Pire, la fille unique de la famille, Alougba, avait une maladie incurable. Depuis sa naissance, elle avait un goitre éléphantesque. La présence de ce corps étranger n’avait rien arrangé à sa beauté. Les plus gentils disaient d’elle qu’elle était laide, extrêmement laide, tandis que les mauvaises langues affirmaient sournoisement qu’elle était splendidement vilaine. De toute façon, aucun garçon ne l’avait jamais regardée comme une femme. Et pourtant, elle était dans sa vingtième année. Les tentatives de guérison de la fille avaient épuisé les maigres ressources des siens. Un étranger fortuné, du nom de Nouwamin, s’installa dans la ville. Il était venu pour ses affaires. Peu de temps après, contre toute attente, il s’éprit de la jeune fille. Alors, toute la ville en émoi scandait :

Alougba a désormais un amant.

Alougba, dont personne ne voulait

a élu domicile dans le cœur de l’étranger.

Alougba va bientôt mordre

dans la chair de la belle vie.

Alougba éééé

Alougba aaaaaa

Alougba éééé

Alougba aaaaaa

Le père de la fille mit en garde le prince charmant en le menaçant de ne jamais abandonner sa fille, s’il tient à sa vie. Et aussi surprenant que cela puisse paraître, la famille n’exigea même pas de dot, ni de présent, car pour elle, ce fut un bon débarras, un miracle que leur fille trouve enfin un « preneur ». A l’étranger, on accorda la main d’Alougba sans autre forme de procès. Ce mariage pour le moins rocambolesque de la vilaine Alougba avec le richissime étranger Nouwamin, suscita la huée et les quolibets des jeunes gens de la ville. Nouwamin ne dit rien, et prit la fille avec elle. Ils quittèrent la ville pour s’installer loin des regards inquisiteurs de cette population médisante.

Quatorze mois plus tard, Nouwamin et sa femme revinrent dans la ville pour saluer les parents de la fille. Mais personne ne les reconnut. La jeune fille avait changé, car son mal était guéri. Elle est devenue une très bonne dame, aux yeux clairs, un visage angélique et avait un derrière à faire soulever vieux et jeunes de leur place. Nouwamin avait aussi changé, car pour guérir sa femme, il avait dû faire un pacte avec le génie de la brousse : la guérison complète de sa femme contre la perte des trois quart de sa fortune et un de ses pieds. Oui, estropié et il marche grâce à une canne. Sa femme Alougba était au courant de cet accord secret. Elle pleura de joie et d’émotion le jour où son mari se rendait dans la forêt pour le sacrifice qui devrait lui accorder la guérison. Elle remercia son mari pour son grand amour et son sens de l’autre. Elle lui promit fidélité et soumission, reconnaissance éternelle et docilité sans faille. C’est après les présentations que les yeux des parents d’Alougba s’ouvrirent. Là, on entendit des cris de joie et d’admiration. Toute la ville accourut pour voir ce spectacle miraculeux. Personne n’en croyait ses yeux. Personne ne voulait d’ailleurs croire. Nouwamin était heureux. Heureux pour ces habitants qui du coup étaient heureux de retrouver cette fille rejetée il y a quelques mois. Heureux, parce que lui, qui avait été précédemment la risée des uns et des autres est devenu à l’instant un homme jalousé, envié mais adulé et félicité. Il savourait sa victoire sur cette bande d’incapables remplis d’aigreur et de méchanceté gratuite. Il était vraiment heureux d’être le sujet de toutes les discussions de ces hypocrites ce jour-là. Le soir venu, Alougba appela son père et sa mère, ses oncles et tantes, toute la grande famille et leur raconta toute l’histoire : le miracle par lequel elle a retrouvé le chemin de la vie. Sa vie, contre un pied de son mari et la perte de sa fortune au trois quart. Deux jours plus trad, tôt le matin, au premier chant du coq, avant même que le soleil ne fasse le programme de sortir son cou, une réunion d’urgence fut convoquée. On y convia Nouwamin. Le père d’Alougba prit la parole :

– Nous tenons à te remercier, brave et généreux Nouwamin pour l’effort que tu as fourni en réussissant à guérir notre fille. Vraiment, nous te disons merci. Tu l’as fait au prix même de ta vie. Tu es unique. Que les dieux te le revalent en bénédictions et en bienfaits. Que la vie te le rende en argent et en richesse, en santé et en longévité.

Toute la famille applaudit à grands cris. Nouwamin était ému jusqu’aux cheveux. Le père d’Alougba ne lui laissa pas le temps de revenir de ses émotions avant d’enchaîner :

– Tu es unique. Tu es un envoyé des dieux. Nous ne saurons jamais te remercier de façon convenable. Mais, vois-tu, aujourd’hui, tu es handicapé et presque pauvre. Je sais que tu nous comprendras.

Nouwamin était perdu dans tous ces développements. Il se demandait ce que tout cela signifiait. Son beau-père revint à la charge:

– Nous ne voulons pas un pauvre handicapé à notre fille. Elle est devenue aujourd’hui la plus belle de la ville, une perle rare qui ne saurait orner n’importe quelle couronne. A fille belle, mari riche. Cela n’est donc pas digne d’elle qu’elle soit la femme d’un infime comme toi. Il en va de notre image mais aussi de ta sécurité. Les envieux pourraient t’agresser et attenter à ta vie. Nous ne sommes pas pressés d’assister au veuvage de notre belle Alougba. Pour éviter la honte à notre famille, il faudra que tu plies bagages dès maintenant et que tu quittes la ville. Nous ne voulons plus te voir. Oublie-nous et oublie qu’un jour, tu as rencontré Alougba. Notre fille sera la femme du sieur Adjoto, fils de Djagouda et Lèguèdè, l’homme fort de la ville, le plus riche actuellement. Il est venu hier à la maison, vois-tu, pour voir de ses yeux la beauté de notre fille. Et depuis qu’il l’a vue, il a décidé de l’épouser et d’en faire sa troisième femme. Il est beau, riche. Il nous a même laissé quelques biens, et une des maisons dans laquelle nous irons habiter très bientôt. Pour l’amour de Dieu, oublie-nous et va-t-en. Dis combien il te faut en retour pour le service rendu à notre fille, tu seras remboursé. Mais de grâce oublie-la, même dans tes rêves et dans tes souvenirs.

Nouwamin était éberlué. Toute l’assemblée approuva les propos du père. S’éleva soudain un tonnerre  d’injures à l’encontre de Nouwamin. Il essaya de parler, mais on ne lui laissa pas le choix. On le renvoya même de la maison comme un animal importun. A sa sortie, il rencontra au passage Alougba dans la cour. Cette dernière sourit, puis fit signe de la main encourageant sa famille à le chasser de plus belle. L’infortuné Nouwamin rentra, prit ses bagages et quitta la ville au grand bonheur d’Alougba et toute sa famille. Une semaine plus tard, Nouwamin recouvra toute sa fortune et son pied redevint comme avant. Le génie de la brousse le rendit davantage riche et beau. Au même moment, Alougba redevint comme elle était au départ, pire, encore plus vilaine avec cette fois-ci deux grosses montagnes de goitre flanquées. Son corps se recouvrit aussi de galle et sa tête de teigne. Ses yeux, devenus rouges larmoyaient à longueur de temps. De ses narines coulaient des torrents de morve et de sa bouche de nauséeux ruisseaux de bave. A son passage, tout le monde se bouchait les narines, même les animaux en la sentant venir, changeaient de direction. Le richissime Adjoto l’abandonna, elle et sa famille dans la pauvreté en leur retirant les biens dont il les avait gratifiés. Tout ceci pouvait se comprendre. En réalité, il y avait une clause dans le contrat entre le génie et Nouwamin : « Tu perdrais un pied et presque ta fortune tant que Alougba sera avec toi. Mais si un jour, elle réussit à te quitter, chacun redeviendra ce qu’il était avant, pire s’il se produit une situation d’injustice, le mal s’aggravera. ». C’était en effet, ce que le génie avait dit à Nouwamin. Et ce dernier par amour pour sa femme, accepta. Mais il ne lui avait pas avoué cette dernière clause.

Alougba ne pouvait plus sortir de chez elle. Même ses parents commençaient par la huer. Elle était en proie à une souffrance morale indescriptible. Fatigués d’attendre qu’un autre sauveur vienne se pencher sur son sort, les siens partirent à la recherche de Nouwamin qui, à la mort du roi de son pays natal, fut désigné par le conseil des sages pour lui succéder. Selon la coutume, il prit en mariage la plus belle fille du pays. Il était devenu un homme puissant, ayant pour sa sécurité une garde personnelle de plus cinq mille soldats. Quand ces nouvelles atteignirent les oreilles d’Alougba et les siens, ils s’effondrèrent littéralement.

Moralité : « Ne jamais cracher dans le marigot où l’on s’est abreuvé ».

 

Kouassi Claude OBOE

  1. Très belle plume qui doit être encouragée. La loi du boomerang: tâchons d’être sérieux tout simplement

  2. Plein d’enseignements à retenir dans ce conte…..la gratitude négative d’Alougba et sa famille….. La protection du secret pacte de Nouwamin….

    La reconnaissance a toujours un prix….

  3. J’ai manqué une grande époque, celle des contes ! Merci Claude de m’en donner l’occasion !

    • Fabroni Bill Yoclounon, à défaut d’avoir les clairs de lune où la sagesse des anciens coule dans les oreilles des jeunes pour finalement s’ancrer dans leur coeur, nous avons internet qui peut permettre que cette sagesse atteigne un plus grand nombre.

  4. Il ne faut pas rendre le bien par le mal et il faut toujours être reconnaissant!