Liminaires
« Quand on est con, on est con », chantait Georges Brassens. La situation semble irréversible au point qu’on pourrait arguer : « Le con est indécrottable. Quoi que vous fassiez, il déconnera toujours« . C’est donc un réel malheur que d’être con. Mais ce qui est surprenant, c’est que les cons de naissance (quand on naît con, on meurt con) semblent toujours jouer aux illuminés et considèrent les autres comme les vrais cons. Et c’est certainement « Au nom de tous ces cons » que Joël HOUNKPE ose prendre la parole. Il la prend pour réécrire à l’endroit l’histoire falsifiée par ceux qui ne se soumettent jamais au verdict des urnes. « Au nom de tous ces cons« , c’est le titre du recueil de pièces théâtrales du Concours littéraire « Plumes Dorées », Edition 2017, paru aux Editions Plurielles en Septembre de la même année. Et comme on peut bien s’en rendre compte, le titre de ce recueil, se veut sinon une requête, du moins un hommage qui évoque cette œuvre maîtresse de Martin Gray : « Au nom de tous les miens ». Affection! Tendresse! Mais aussi responsabilité devant l’histoire de peur que le spleen ou la grisaille n’érode dans le temps la détermination du héros qui prend sur lui de parler au nom d’une multitude longtemps abusée, couillonnée, vassalisée, abâtardie, spoliée. Le décor de cet atelier du rire fou est planté avec ce titre provocateur qui relance le débat des inimitiés entre le chien et le chat, sans qu’on sache réellement qui est le chien et qui est le chat. Entreprise aussi exigeante que demander à un aveugle, dans la nuit noire, de faire passer le fil dans le trou du chas d’une aiguille. Et pourtant, c’est un pari gagné par Bill YOCLOUNON, Charbel NOUTAÏ, Eric AZANNEY, Joël HOUNKPE et Pelphide TOKPO qui nous offrent aussi bien dans la diversité que dans l’unicité et la singularité de leurs talents, cinq paradigmes à l’aune desquels nous pouvons lire, interpréter et comprendre notre société. Cinq grands angles pour des vues panoramiques sur le vécu quotidien des hommes et femmes de chez nous.
1- Panorama
Si le recueil s’ouvre sur « Les Héritiers du mal » de Bill YOCLOUNON, toute l’œuvre est traversée de part en part par la récurrence des maux coriaces lovés aux entrailles des démons de la démesure qui ont pour nom : la course à la richesse, la mégalomanie, la boulimie du pouvoir, la gloire subite et instantanée, la phallocratie. Que la cybercriminalité flambe et s’exhibe arrogamment pour s’écrouer et voir sonner son glas sous la plume de Charbel NOUTAÏ in « La magnamania« , Eric AZANNEY, sous sa casquette d’homme des médias, dans une subtilité convaincante, remet les TICS à leur vraie place et dans la pièce « Infiltration », assigne à ces moyens de communication un rôle cathartique orienté vers la dénonciation des abus pour la restauration de la figure de la femme et la promotion de la justice, de la liberté sous toutes ses formes et le triomphe de l’amour vrai et pur. La lutte pour la liberté et la justice éclate sous la plume de Joël HOUNKPE dans sa pièce « Au nom de tous ces cons ». Ici, comme beaucoup de chefs d’Etat Africains, le Président de la République des Pendules en bois, de connivence avec son ancienne maîtresse, Fidélia, bombardée Présidente de la Commission Indépendante des Elections (certainement pour sa fidélité à servir les bas instincts du Président), fait mentir les vrais résultats et se déclare réélu. Devant les réserves de Sourou et de la Première Dame, à l’heure de l’impasse, quelques jours avant la proclamation finale des résultats, il tient ce langage : » (…) aucun vrai chef d’Etat ne perd un scrutin organisé par ses propres soins » (p 172), langage que nous retrouvons chez le président aigri et grincheux Glosso : « C’est bête de perdre un mandat consécutif; …. Ce n’est pas toi qui votes, mais c’est toi qui organises » (Etha Contest, p 257). Le dénouement est aussi tragique et fatal que l’impertinence de sa corruption. Le Général Sourou qui a filmé toutes les tractations nocturnes entre le Président et Fidélia, oblige celui-là à reprendre son discours en restituant la vérité des urnes. On n’opprime pas indéfiniment un peuple. Nul n’est plus grand que sa terre. Quand les cons rendus cons sans être nés ainsi, prennent conscience de leur « connerie » et se redressent en l’assumant, plus rien ne les arrête. Même pas le ventre de l’Atlantique, quand leur pays devient un enfer pour eux, ni « Le Maghreb, le territoire des jeunes nerveux. » (Les voyagistes, p 245.) . L’appel de l’exil l’emporte sur la préférence nationale et ils se font globe-trotter, livrés aux incertitudes de l’immigitude » (le mot est de Jean Paul Tooh-Tooh). Pelphide TOKPO, à travers sa pièce « Les Voyagistes » répond à la problématique de la démocratie et de la paix posée par Joël HOUNKPE. Quand le pays va mal, quand il est malade de corruption, de gabegie et de népotisme, les citoyens pensent aux eldorados d’outre-mer : « Mourir comme un chien dans son pays n’est pas une bonne mort. » (Les voyagistes, p 245.)
2- Transversales
Des jalousies meurtrières et préjudiciables pour nos familles et la paix sociale, Bill YOCLOUNON donne le ton avec les guéguerres entre Ayato et Ayinon, deux veuves unies par l’amour de la division, deux âmes arides arrosées à profusion par les torrents de la haine et de la jalousie. A la base de toutes les animosités auxquelles elles se sont livrées, uns seule préoccupation : l’héritage laissé par leur défunt mari, Houénou. Chacune des veuves en veut à sa coépouse. Elles s’en remettent à la puissance d’un même charlatan. Les forces occultes sont réveillées et sollicitées. Les lieutenants des dieux, Babalao et Noupliguidi sont divisées sur la question. Deux mondes s’affrontent dans un mortel duel de gladiateurs. Babalao, véreux, met son intelligence au service de ses vices et tord le cou aux prescriptions des dieux. Il use de subterfuges pour conquérir le coeur des veuves. Un trio d’amoureux occasionnel se forme à la grande désolation de Noupliguidi, Agrégé et consultant en vin de palme, qui se fait le messager de paix et apôtre de la vertu t de la droiture. Mais pour Babalao, l’occasion est bonne, trop bonne même, pour se venger de Houénou qui lui aurait arraché Ayato : « Qui est con? Je ne fais que récupérer ce qui m’appartient. Houénou m’a devancé pour épouser Ayato grâce à sa fortune. » (p 47). Tous ses tapages n’ont accouché que d’un duvet d’orgueil pulvérisé par la foudre. L’alcool n’a pas émoussé le tranchant incantatoire de la langue de Noupliguidi, le répondant textuel de Djoguétchédo du recueil de nouvelles « Etha Contest « d’Habib Dakpogan. Le vin est tiré. Ou du moins, l’alcoolo s’est retiré. La chute est aussi claire que l’eau de roche: la mégalomanie et le bien mal acquis, la jalousie et la haine, sont plus destructeurs que la bombe atomique.
Le combat pour la paix de Bill YOCLOUNON et de Joël HOUNKPE trouve son répondant dans la détermination de Charbel NOUTAÏ et de Pelphide TOKPO qui mettent respectivement en scène un cybercriminel, Johan, et une agence de voyage clandestin « Agence, Au revoir la misère ». Ici, Pelphide TOKPO donne la pleine mesure de son humour noir, sa rigolade gratuite qui oscille entre sarcasme et dérision. Tout se joue dans cette pièce sur le suspense. Tout se retourne contre lui et il comprend que le monde ne se limite pas à une carte où ne figurent que l’Afrique et l’Europe. Les mensonges et les fumisteries sont comme des promesses électorales: elles n’engagent que celles qui y croient. Le drame du continent africain est affligeant dans le diagnostique, certes hyperbolique, de Pelphide TOKPO, mais tout de même éloquent et expressif : « Bientôt, notre continent deviendra Israël ; toute sa bonne population sera à l’extérieur » (p 242). Monsieur Aklassou a compris à la fin que c’était lui le véritable con (Max et Nougloi étaient tous des agents du service de renseignement), tout comme dans « La Magnamania », Joan réalise que le vrai con, ce n’était pas Maître Gustave, détective privé de classe internationale, déguisé en avocat pour lui soutirer toutes les informations. Pour de l’argent, le jeune Joan et sa clique poussent leur boulimie au jusqu’au seuil de l’irréel en pactisant avec des forces occultes dont la figure tutélaire la plus foudroyante est Kininsi, parodiée dans l’œuvre comme « Ninsikin » : « (…) C’est aussi une divinité portative qu’on peut avoir chez soi, sous son lit, dans une calebasse, n’importe où. Il suffit de débourser de l’argent pour qu’on l’installe chez vous » (p 100). Plus loin il ajoute : « Le recours à Ninsikin ouvre raiment les portes. Les gens sont portés à croire stupidement tout ce que vous leur dites. Il suffit de savoir cibler les gros calibres, les grosses cylindrées. J’ai conclu des arnaques de cinquante millions, de soixante-dix millions. Vous voyez bien que Ninsikin donne des pouvoirs illimités » Mais c’est sans compter avec la colère de cette divinité jalouse et rancunière qui n’est calmée qu’abreuvée de sang humain frais. C’est justement ce qui a valu la vie à la petite amie de Joan, Nadia, dont la mort a permis de mettre la main sur le trio criminel et cybercriminel Jan, Enoch et Rocky qui étaient déjà recherché s pour avoir arnaqué le prince du Qatar à qui ils ont vendu en ligne moyennant des millions la statue de Béhanzin à Goho. Accablé par ses propres confidences, il se retrouve devant le gouffre à l’instar du Ganvô, de la pièce « Infiltration » qui est mis devant le fait accompli. La dernière lettre de l’histoire de l’humanité ne sera pas griffonnée par un con, fût-il roi. Ganvô apprend à ses dépens qu’avec les jeunes de l’ère des TICS, on ne peut plus continuer d’élever les conneries du siècle passé au rang de vertu. Le mariage forcé et la cybercriminalité sont autant ignobles que le refus de quitter le pouvoir après avoir été battu aux élections. Il a beau être ami au ministre, il ne réussira à lui donner la main de la jeune Helena. Les réseau sociaux se sont infiltrés chez lui et ont tout révélé à l’humanité. Peut-être que la plus déçue dans cette affaire c’est Winoumi (Ashley) aidée par Rodrigue pour libérer Helena de l’étau de cette servitude qu’est le mariage forcé, et partant toutes les femmes. Elle tombe amoureuse de Rodrigue, bien qu’étant reine. Mais Rodrigue était l’amour de Helena.
Conclusion
Lire « Au noms de tous ces sons« , c’est faire le pari de mieux agir dans la cité pour se démarquer de la lignée de tous ces vautours qui s’accrochent au pouvoir et à l’argent comme la chauve-souris à la papaye mure. Le danger qui guette ceux qui les pieds nus se prélassent des les marécages, c’est de rentrer chez eux les orteils agressés par les chiendents ou les sangsues. A la vérité, les cinq pièces de théâtre que constituent le recueil que nous avons lu, ce sont des fresques vivantes de la société dans laquelle nous vivons. C’est une endoscopie, voire une radiographie des mœurs désormais nôtres. Avec « Au nom de tous ces cons », ce sont cinq tirs croisés en direction d’une même et unique cible : la société africaine ». Prenons garde que les cons nous fassent indéfiniment la loi. De toute évidence, nul ne veut se retrouver dans cette logique implacable de Georges Brassens : « Quand on est con, on est con».
Destin Mahulolo
Travail minutieux et pertinent, tout autant que celui de ces plumes dorées. Merci pour la veille littéraire !
Merci Myrtille pour ces beaux mots.
Travail minutieux et pertinent, tout autant que celui de ces plumes dorées. Merci pour la veille littéraire !
Travail minutieux et pertinent, tout autant que celui de ces plumes dorées. Merci pour la veille littéraire !
Tant qu’il y a à lire, il y aura la vie
Lire c’est la vie sans ires….
Lire pour vivre mieux.
Lisez pour vivre, Flaubert. Peut-être que la lecture de ce livre fera diminuer le nombre de tous ces cons