Ainsi va l’hattéria, Arnold SENOU

Ainsi va l’hattéria, Arnold SENOU

Avec « Ainsi va l’hattéria», l’auteur béninois Arnold SENOU vous entraîne dans un labyrinthe littéraire bien tortueux. L’éditeur, GALLIMARD, vous prévient déjà dès les premières lignes « que ce roman n’est pas comme les autres». Un peu plus loin, la définition de l’hattéria, ce reptile fossile en voie de disparition, vous met en alerte : vous aurez droit à une la lecture peu commune qui vous attend.

Le point d’entrée de ce labyrinthe est l’accouchement difficile de cet être difforme, handicapé, le héros de l’ouvrage: Boulou. Cette nuit-là, sa sorcière de mère lui donna la vie dans d’atroces souffrances, délaissée de tous. Dès les premières années de sa vie, du fait de  sa difformité et des suspicions de sorcellerie de sa mère,  cette dernière et lui seront confrontés aux regards hostiles, à la médisance et à méchanceté de leurs congénères,

Dans la première partie de l’ouvrage, le fil d’Ariane fut les turpitudes de Boulou dans son village. Le premier tournant fut sa scolarisation où tout au long de son parcours scolaire, il sera victime de la brimade et des moqueries de ses camarades de classe. Dans cet obscur tunnel,  il aura la chance de croiser un autre mal aimé comme lui, un orphelin de père qui connut le massacre des siens et avait tôt fait d’apprendre la sacralité de la vie humaine. C’est, forts de ce soutien inattendu, qu’ils feront tout deux courageusement face aux vils comportements de leurs petits camarades. Mais son parcours avec cet ami bienveillant fut de courte durée. S’en suivit une longue période de solitude où Boulou ira jusqu’à se lier d’amitié avec une fourmi (P47). Ce fardeau fait de souffrances psychologiques et physiques finira par lui  faire «regretter d’être venu dans ce monde » P50. Mais la détermination et le caractère stoïque de sa mère lui redonnèrent courage.

Il connut une “resurrection” avec la venue de cet instituteur qui fut « le premier être hormis sa mère à l’avoir vu autrement et surtout le seul à l’avoir fait rire. » P54. Mais cet instituteur qui était temporaire fut bien vite remplacé. Néanmoins, il sema en lui la volonté de réussir. Par la suite, au milieu de cet océan de malveillance, il connut quelques répits épars avec un nouvel ami et même une belle petite fille dont il tomba amoureux. Mais son handicap, son bégaiement ainsi que sa condition plus que modeste le dissuadèrent de lui déclarer sa flamme.

Suite à une énième accusation de sorcellerie au sujet d’un  un enfant malade, ils finirent par quitter le village. Boulou entreprit avec sa mère une longue marche à travers la brousse, qui fut ponctuée d’une brève escale dans un village où ils apportèrent des conseils champêtres avisés et la pluie. Malgré la réticence de leurs hôtes de les voir partir, ils continuèrent leurs marches et finirent par atteindre la ville dans laquelle leur séjour fut l’objet de la deuxième partie du roman.

En ville, loin de trouver le répit espéré, le désenchantement fut très tôt au rendez-vous. Les hommes y étaient tout aussi méchants que dans leur village et ne « voyaient que son handicap,  sa laideur » et trouvaient même qu’il n’était pas « regardable». Mais cela ne fit que renforcer sa volonté de réussir.

Dans les pages qui suivirent, à travers le regard de Boulou, l’auteur donne un panorama peu reluisant de la vie citadine et de la société en générale. Pêle-mêle, les clichés de ce trombinoscope amène le lecteur à découvrir tour à tour :

  • la mauvaise gestion de la masse monétaire par les pays africains ayant leur propre monnaie où il fallait désormais une brouette de billet pour acheter une simple baguette de pain (P103),
  • les universités publiques à effectif pléthorique,
  • l’impunité et la corruption du système judiciaire,
  • les amours interdits pour divergence religieuse,

Après ces chemins détournés, on finit par retrouver au bout du périple, Boulou qui finit, envers et contre tous, par réussir à un concours qui lui donnait la certitude de s’offrir enfin  et aussi  à sa mère lui tout le bonheur qu’ils méritent. Boulou, tout comme l’hattéria, survécut aux coups durs de la vie symbolisés par son handicap, la pauvreté de ses parents mais surtout l’intolérance de nos sociétés.

« Ainsi va l’hattéria » est avant tout un réquisitoire sévère de nos sociétés africaines minées par la peur et l’intolérance de la différence et du handicap, les suspicions infondées notamment de sorcellerie. Toutes choses qui mettent en marge de la société de braves gens dont peu trouvent le courage de s’offrir la vie digne qu’ils méritent. Il n’en reste pas moins une ode d’espoir pour toutes les personnes stigmatisées et un questionnement le regard que nous posons sur les autres. Un livre à lire avec appétit vorace.

 

Théodore Gildas ZINKPE Adanchédéwea

4 comments

Belle chronique. Ça me donne envie de lire Ainsi va l’hattéria. Ce roman est actuel. Monnaie, corruption, impunité, masse estudiantine sans place et sans emplois… Merci à Gildas.

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