Missouwa, après le départ de ses hôtes, frissonnait et transpirait. Une odeur familière et insistante lui parvenait. Elle était perdue, désorientée. Plongée dans un état second, elle se déshabilla lentement. Dans des gestes lents et précis, elle offrit au miroir un corps parfait. Une croupe galbée qu’enveloppait son sous-vêtement. Elle se sentait vue. Regardée. Observée. Son miroir lui renvoyait une image où on l’admirait. Un regard pesant et froid flottait dans l’air. Elle avait subitement envie de revoir son mari. De le toucher, de lui parler. Depuis deux ans où il était parti, elle ne se faisait plus désirer. Elle fit de son corps un sanctuaire où rien ne le souillait, où rien ne perturbait cette âme qui la tenait. Missouwa hoquetait et pleurait maintenant. Le départ de Simin et Sènou l’avait profondément attristée. Elle aurait voulu les rattraper. Elle sentait un détachement évident entre elle et ces deux hommes. Comme s’ils venaient de rompre à jamais ce qui les avait liés. Elle pleurait toujours fort et faisait le tour de sa chambre. Il n’y avait ni souvenirs ni objets du passé. Elle s’était soigneusement débarrassée de tout ce qui lui rappellerait ses maris défunts. Elle s’allongea, affaiblie et fatiguée. Ses paupières se fermèrent malgré elle et malgré ses soupirs. Son sommeil était profond. Elle dormait à poings fermés et revit ses deux époux en rêve. Missouwa est veuve depuis deux ans. A nouveau veuve. Elle connut Karim, son premier mari dans un train en partance pour la montagne. Karim aimait intensément Missouwa. D’un amour sans nom. D’un amour que seuls les livres décrivaient avec brio. Il la comblait de tout ce dont une femme pouvait rêver. Ils étaient à eux seuls, le symbole du paradis. Il lui vouait un respect profond et lui dévouait sa vie et ses peines. Ses peurs et ses forces. Pourtant la mort tapie en lisière de la brève existence de Karim le guettait pour l’étrangler. Il succomba à une simple colique un après-midi de pluie. Missouwa enceinte de trois mois, revenait du marché toute joyeuse de revoir son homme. Elle marchait doucement et chantonnait à tue-tête une de ces créations. Quand elle franchit sa porte, elle vit Karim livide et allongé au sol. Elle tomba brusquement à ses côtés dès qu’elle sut la mort de son mari. Une mare de sang se formait sous les deux époux. Le portail ouvert fit voir deux corps inertes allongés. Les voisins accoururent. Missouwa vivait encore et avait perdu le bébé. Effondrée, elle finit mal ses deuils. Elle décida de vivre au bord de la mer. Elle pensait que Karim lui parlerait toujours à travers les vagues. Elle passait des heures à regarder l’horizon lointain comme si il lui ramènerait Karim. Elle écrivait ses chansons en parlant à la mer, en l’écrivant.
Endormie un soir sur le rivage, Missouwa épuisée par son chagrin dormait. La marée monta, grimpa ses retranchements et fit une embardée. Missouwa fut prise et projetée dans le néant de l’océan. Elle pensait flotter et se réveilla en sursaut de son sommeil. Missouwa rêvait. Ou plutôt pensait à sa vie. Elle regardait maintenant le vide. Un hululement de hibou la replongea dans ses pensées. Elle revit l’image de celui qui deviendrait son second mari. Simènou. Simènou l’avait sauvée in extrémis d’une noyade certaine quand la mer l’avait happée dans son courroux. Il aimait la mer comme on aimait manger. Il y allait tous les jours depuis sa tendre enfance. On dirait que les deux éléments se parlaient. Simènou et la mer. Ils se comprenaient sans mot et s’étaient apprivoisés. Il devint le refuge de Missouwa. Il écoutait surtout ses silences et lui parlait par le regard ou les signes. Simènou était muet depuis sa naissance. Il ne parlait pas. Aucun son ne sortait de ses lèvres. Il regrettait souvent cela. Et encore plus quand il fallait être avec sa Missouwa. Le manque les rapprocha. Les mois offrirent une harmonie bénéfique au couple. Ils vivaient mieux leur chagrin à deux. Missouwa se consolait de la disparition de Karim et Simènou se sentait responsable de Missouwa. Les années défilèrent comme d’habitude. Les moments de colère du couple étaient ceux où chacun retrouvait sa mer. Karim s’y plongeait. Missouwa l’observait. Un jour, il partit nager mais ne revint plus. Sa mer l’avait repris. On retrouva son corps inerte, le troisième jour après sa disparition. Missouwa venait de perdre son second mari. Elle décida de quitter la bordure de la mer pour se réfugier au centre-ville, au centre des bruits et des klaxons, au cœur des tumultes et de la circulation.
A suive…
Myrtille Akofa