Missouwa (5/5)

Missouwa (5/5)

Simin et Sènou retrouvaient leurs habitudes en ces lieux. Ils étaient tous deux adossés au mur de la clôture du cimetière et scrutaient le ciel. C’était le lendemain de la Toussaint. Deux heures du matin. Calme de cimetière. Les ombres erraient dans l’enclos à elles dédié. Le gardien des lieux, le vieux Yèdji entendit une discussion à glacer le froid. Il avait l’habitude de les entendre du haut de ses 70 ans. Voilà 40 ans qu’il travaillait en ces lieux. Il s’était tellement habitué à la ville des morts qu’il ne les quittait plus. Il vivait plus avec eux qu’avec tout autre être vivant. Il entendait souvent le marché s’animer. Il entendait les bonnes dames deviser sur leurs marchandises comme si elles étaient dans la vraie vie. Il recevait même la visite d’Afi qui lui demandait de l’épouser chaque nuit. Dès deux heures du matin, Yèdji guettait Afi qui venait lui faire sa cour. Elle avait une voix à peine audible et disait souvent en Mina :

-O man dé mu aa ? mou lon woooo. Pourquoi ne veux-tu pas de moi ? Ne suis-je pas assez bien pour toi ? Epouse-moi Yèdji. Je veux être à toi. Elle répétait les mêmes phrases chaque nuit et dans ce même ordre. Yèdji répondait toujours :

-Huumm

Il lui était impossible d’accéder à la demande d’Afi. Ils étaient de deux mondes différents. Même s’ils se tenaient compagnie, rien ne pouvait les unir dans le monde des hommes. Il aimait qu’elle soit là, il aimait l’écouter. Elle lui racontait sa vie antérieure. Comment elle trouva la mort du fait de la jalousie de sa coépouse qui l’avait aspergé d’acide parce qu’elle avait dormi avec leur époux le jour où il ne fallait pas. Elle était une ancienne prostituée qui trouva l’amour et quitta son job. Parfois, elle pleurait et suppliait Yèdji de l’emmener loin du cimetière. Mais dès cinq heures du matin, tous les habitants du cimetière retrouvaient leur habitacle et le calme revenait dans la concession. Le vieux Yèdji retrouvait alors le calme souhaité et dormait enfin. Il gardait un bout d’écorce sous la langue car il se disaitt que chaque sommeil qu’il tentait pouvait l’emmener vers ses colocataires pour toujours.

C’est dans cet environnement, qu’il entendit la nuit du lendemain de la Toussaint, Simin et Sènou, deviser :

-Je ne veux plus retourner là-dedans. Dit Simin qui boudait et renfrognait la mine. Il se souvint de ses nuits d’amour avec sa Missouwa, de ses petites attentions, de leur joie de vivre. Tendrement, il la prenait dans ses bras, sentait son parfum, promenait sa bouche sur son cœur. Elle aimait lui dire tout dans les oreilles et il acquiesçait, muet et heureux. Il aimait glisser en elle, onduler dans une douce frénésie où la réalité et le rêve étaient un pour leur bonheur.

Il continuait :

-Sans ma Missouwa, je ne vis plus.

Sènou jusque-là tranquille cria :

-Ma Missouwa ! Ma Missouwa ! Tu oublies que sans ma mort, jamais elle ne t’aurait rencontré? Jamais, elle ne t’aurait regardé ? Tu cries comme une bête alors que c’est moi qui ai eu l’idée de la revoir et je t’ai proposé le corps de Baba, pour au moins lui parler.

Karim avait eu l’idée de revoir Missouwa et par sollicitude pour Simènou lui proposa leur acte. Celui-ci très heureux de retrouver la belle Missouwa sauta de joie. Ils entreprirent d’errer des nuits pour s’approprier un corps humain. Karim eut plus de chance que Simènou. Il trouva le beau corps de Fela Kuti et s’y glissa. Quant à son second  Simènou, il n’eût que le corps de Baba, le gros commerçant véreux ; sordide usurier et bon viveur. Aujourd’hui, les deux compères se disputent la belle même dans la mort. Chaque fois qu’ils appelaient son nom, Missouwa pleurait de plus belle sans raison apparente et sentait le froid l’envahir. Ils en étaient conscients et Karim-Sènou dut dire à Simènou-Simin :

-N’appelle plus son nom, s’il te plait. Parlons d’elle mais n’appelle plus son nom. Nos pouvoirs ici sont autres. Tu ne l’aides pas ainsi. Au contraire, elle se sentira mal. Elle ne nous a pas tués, donc ne la hante pas.

Simènou fulminait toujours :

-Je veux retourner chez elle. J’ai bien ri de notre farce mais je ne veux plus redevenir muet. Il me faut ma… Il se ressaisit à temps car Karim le foudroyait du regard.

Il continua :

-Mais c’est injuste. Nous avons un corps maintenant. Je peux parler et tu me refuses de dire M… Huuuummm

C’était pénible pour Simènou qui passa sa vie à ne jamais dire Missouwa, à ne pouvoir le faire car elle s’en sentirait mal. Karim, agacé par l’esprit étriqué de Simènou retournait au cimetière. Le vieux Yèdji entendait tout sur ce drame qui s’était joué dans leurs vies et soupira.

Baba-Simènou prit le sens inverse et retourna dans sa famille d’emprunt. Il avait quatre femmes comme le voudrait sa religion. Il reprit ses affaires comme si de rien n’était. Ses douze enfants méconnaissaient leur père qui parlait peu ou ne parlait presque pas. Il ne touchait plus ses épouses qui roucoulaient de colère à longueur de temps. Dès qu’il avait un bout de temps, il allait épier Missouwa chaque jour. Tous les jours. Il s’ennuyait et tournait en rond. Les nuits, il errait partout et nulle part. Il ne se résolvait pas à quitter le corps de Baba et à faire comme Karim pour retrouver son repos éternel. Il voilait guetter, épier, parler, vivre, retrouver sa place auprès de sa belle Missouwa. Il se décida à faire le pas. Il partit voir Missouwa sous la même apparence de Simin que la femme lui connaissait. Il lui dit :

-Missouwa, je suis Simènou.

Missouwa très bouleversée, referma son portail…

Simènou-Simin-Baba sombra dans la démence.

FIN

Myrtille Akofa

6 comments

Donc c’est vrai que les revenants se marient avec des humains… Ehhh Attention les enfants, danger…. Akofa, d’où nous sors-tu cet élément rocambolesque?
Une pensée pour le pauvre Simin. Il était mort avant, maintenant il est fou. Sa vie et sa mort ont le même dénominateur : souffrance. Quand la vie est contre toi et que la mort veut ta peau…

C’est souvent au Nigéria qu’on dit que ces genres de faits se produisent. Les morts quittent le cimetière, se trouvent un corps et épousent des femmes. ces dernières demandent à l’époux de leur faire connaître sa maison. ils font le voyage, et le revenant indique la maison du doigt, demandant à la femme de l’y devancer. puis il se volatilise. la femme est bien reçue et on lui montre, accrochée au mur la photo du défunt devenu son mari et le père de ses enfants.

Cela me rappelle le scribe et le griot, Marie-Ange Amélée Sadzo…… Akofa, tu m’as eu….. Mais, au moins je savais que quelle que chose les liait ou liera…Je vais me reposer en attendant vivement la prochaine biscotte.

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