Nous étions à présent dans la grande période des mutations. Les intellos du CCSM ne dormaient à présent que d’un seul œil. Le vent de ces mutations soufflait où il voulait et dans le sens de vos désirs, il vous comblait ou vous décevait. Le parterre d’enseignants aux grosses lunettes fièrement juchées sur le bout du nez le savait fort bien. Ils savaient également que pour se tailler la meilleure part du partage, il faudrait avoir le doigté habile, le geste qu’il faut. Nous savions qui pouvait faire quoi à qui et qui pouvait enquiquiner qui sans représailles. Mais ce que moi je ne savais pas, c’était quel élève du CCSM pouvait endêver M. Dimitri. Bon je dis cela dans l’espoir que vous puissiez avoir le fin mot de cette frasque. Il ne faudrait pas que je vous livre tous mes pions. Et le temps aussi me presse. Bientôt l’heure des grandes vacances. Que l’histoire soit terminée ou pas moi je vous quitte.
Le vent des mutations avait soufflé bruyamment au CCSM. Ce jeudi matin monsieur Dimitri portait un ensemble complet Bomba. La météo de son visage ne laissait entrevoir aucun orage, aucune perturbation. Il prit l’enveloppe que lui tendit le proviseur et l’ouvrit. La note lui demandait de se présenter incessamment au CEG2 de Zounto où il accomplira désormais son devoir d’enseignement. Autrement dit en jargon philosophique, M. Dimitri était appelé à accoucher les esprits à Zounto. Un village perdu dans les bois. La seule infrastructure qui émergeait de ce lieu était la voie inter-état qui le traversait. Les populations s’y désaltéraient à l’eau de marigot. A Zounto, on faisait encore les besoins naturelles à l’air libre. L’eau du marigot à en croire ce qu’on raconte était infestée de toutes sortes de larves. Les enfants avaient des ventres proéminents, des yeux tuméfiés. Il était aussi raconté qu’à Zounto, les métisses étaient la proie d’un groupe de prédateurs avides de corps insolites. Or, notre prof de philo est métisse. C’était une mission suicide. Mon professeur de philo se renfrogna et sortit du bureau du proviseur horripilé par cette cabale savamment ourdie contre sa personne.
-Qui me hait à ce point ? A qui ai-je fait du tort ? Ainsi les interrogations fusaient de son crâne cramoisi.
-La vérité ne peut se trouver dans votre monologue, mon pauvre. Lui lança Ho-vivi le chef des Espions Rouges.
-Certes, mais le monologue me permet de réduire ma zone de recherche. Et du monologue on passe à l’examen de conscience.
– Epargnez moi ce prêchi prêcha. Je suis la paille qui attend sagement la destruction de l’œil. Je n’attends que votre départ pour Zounto, vous y méditerai sur la philosophie sainte Valentine.
Cette phrase fut la dernière que M. Dimitri reçut de l’espion rouge. Je le sais parce que j’étais présent, là, ce matin brumeux du jour des mutations. M. Dimitri était le seul muté. Il demeura perclus à l’entendement de cette phrase. « Philosophie sainte Valentine » répéta M.Dimitri. Sa tenue « bomba » ordinairement ample se rétrécit et parut l’étouffer. Je m’approchai pour lui prendre son sac. Mais il fit volte-face et sortit par le petit portail du collège. Il venait de se rendre compte d’une réalité. Dans ce pays on ne peut jurer de l’innocence de personne. On ne sait plus qui peut endêver qui sans conséquences. Ni qui peut nuire à qui. La leçon était claire pour M. Dimitri. Sur le champ de bataille de nos jours le croc en jambe peut venir de toutes les directions. Nous n’avons plus jamais revu M. Dimitri. Les uns le croient dément, les autres pensent qu’il est sagement allé prendre service à Zounto où il accouche des esprits. Dans tous les cas si vous le voyez ne lui parler jamais de Ruth….
Fin !!!!!
Adébayo Adjaho