Noël en pétards
Sétonou et son frère Viségbé étaient réputés pour leur turbulence et leur grand amour pour les pétards. Tout Agassa-Godomey le savait. Alors que la fête de Noël approchait à grand pas comme un feu de brousse pendant l’harmattan, ils emplissaient le village, le soir venu, de leurs mélopées uniques. A Sétonou qui s’époumonait ainsi :
« Petit pimpant Noël
Quand tu descendras du chêne
Avec des fouets en panier
N’oublie pas mes brebis souillées »
Viségbé répondait :
« Grande maman Noël,
Quand tu rentreras au ciel,
Avec des poulets par milliers,
Souviens- toi de tes jolis bouviers. »
En exécutant ce chant, ils tenaient un petit carton qui abritait une crèche de fortune, un Petit-Jésus légèrement manchot, une Vierge-Marie littéralement borgne, un Saint Joseph mal rasé et une vache éminemment maigre, sans sabot ni corne. En circulant le soir, ils attiraient l’attention des gens sur l’imminence de la fête de Noël. L’originalité de leur musique forçait la générosité des uns, la curiosité des autres et la sympathie d’autres encore. De retour à la maison, ils étaient heureux en disant comme à l’unisson: « le compte est bon ». Ils avaient un peu d’argent et purent s’acheter des masques pour s’initier au Kaléta vu que la concurrence dans l’autre art commençait à être serrée: trop de badauds circulaient avec des cartons et tentèrent de les imiter. Ils firent valoir leurs talents de musiciens et de bons danseurs dans l’univers du Kaléta qu’ils explorèrent à présent avec succès. Ils se firent beaucoup d’argent. Place maintenant aux achats proprement dits pour Noël. Sur les étalages, fourmillaient une multitude de jouets. Les deux frères jetèrent leur dévolu sur les pétards, après avoir acheté des lunettes, des chaussures godasses et autres articles pour la fête. Sur le chemin de retour, ils firent encore parler leurs talents de musiciens improvisateurs, dans un style de rap anémié:
« Pas de fête sans taper un coup
Pas de fête sans un coup de pétard
Noël sans fête-tard ni pet-art, c’est no well
Noël sans gbagba, c’est pas well. »
La nuit du 24, alors qu’ils étaient supposés être à la messe ainsi que le recommandèrent leurs parents (c’est leur chorale qui devait animer), Sétonou et Viségbé s’étaient joints à un « club de pétards ». Ils s’y mirent à fond, allumant mèches sur mèches. Ils virent une moto de loin, et résolurent d’effrayer le conducteur nocturne. Quand ce dernier arriva à leur niveau, un pétard flamba et pirouetta devant lui tandis qu’un autre atterrit dans son par-dessus. Il tomba simplement. Les diablotins s’égayèrent. Mais subitement, Sétonou fut pris de stupeur. Il venait de reconnaître la moto du curé, le Père Sabot qui revenait de la messe en station. Dans son hébétude, Sétonou oublia qu’il qu’il tenait en main une mèche déjà allumée. Gba! Le pétard éclata dans sa main et mit ses doigts en lambeaux. Quand il se réveilla à l’hôpital, il comprit qu’on n’attendait que sa guérison pour le conduire à la gendarmerie où étaient gardés à vue les autres membres du « club de pétards ».
Destin Mahulolo