INTERVIEW AVEC NARCISSE NOUKLE (NN)

INTERVIEW AVEC NARCISSE NOUKLE (NN)

BL: Bonjour Monsieur Narcisse. Merci de nous avoir accordé cette interview. Veuillez vous présenter, s’il vous plait.

NN: Bonjour à vous et merci pour tout le travail acharné que vous faites à Biscottes Littéraires afin de contribuer à votre manière à la visibilité des auteurs. On m’appelle Narcisse NOUKLE, écrivain et éditeur. Je suis le Directeur Général des Editions Milca.

 BL: La littérature pour vous: une passion? Un passe-temps ? Un gagne-pain ?

NN: (Rire…) Je ne suis pas allé à la littérature dans l’intention de gagner ma vie. Non ! C’est une passion pour moi. Je prends du plaisir à lire et à écrire. Donnez-moi un cahier et un bic, et je vous ferai voyager dans mille univers en une journée. Les œuvres littéraires sont ce que je respire le mieux. Mais, cela n’exclut pas que les livres me rapportent aussi sur le plan financier. Je n’aime pas quand on me dit : le livre ne nourrit pas l’auteur.

BL: Intéressant! Quel est votre secret? car ce n’est pas courant d’entendre sous nos cieux les auteurs affirmer que le livre les nourrit

NN: Le secret, c’est d’abord Dieu. Je suis un homme à qui Dieu s’est révélé à travers le Christ. Et s’il y a une chose que j’ai apprise dans le Seigneur, c’est la loi de la positivité et de l’attraction.Que les auteurs continuent de dire partout que le livre ne les nourrit pas, et le livre ne les nourrira jamais. Dieu a fait les choses de cette manière. Donc, quand j’ai commencé, c’était la chanson que beaucoup scandaient à mes oreillers. Même mes parents m’ont dit que j’ai fait un mauvais choix car au Bénin et en Afrique, il faut manger avant de pouvoir acheter un livre, disent-ils. Mais, avec mon concept « payez un livre, et vous découvrirez comment faire pour manger », je leur ai montré qu’ils ont tort. Aujourd’hui je suis une fierté pour chacun d’eux.

L’autre chose est ce que vous écrivez. Le livre vous nourrira si vous le prenez vraiment pour un métier et que vous écrivez du bon. Et je ne cesserai jamais de le dire. Le livre nourrit son auteur.

BL: L’un des ouvrages porte comme titre: «Mon ami, mon malheur». Quelle est la genèse de ce livre? Ou auriez-vous vous été déçu par un ami et c’est pour cette raison que vous avez écrit ce roman ?

NN: «Mon Ami, Mon Malheur» est en partie mon histoire. J’ai su transformer cette histoire qui est mienne en une œuvre fictionnelle. J’étais encore en deuxième année de Sociologie à l’Université d’Abomey-Calavi quand un ami très proche m’a donné un coup terrible. Je m’étais senti tellement chamboulé que tout devenait mystère à mes yeux. Je l’avais aidé à intégrer une structure dans laquelle je travaillais également. Et six mois plus tard, il a mis tout en jeu pour que le patron me montre la porte de sortie. C’est de cette mésaventure qu’est sorti le livre «Mon Ami, Mon Malheur» Aujourd’hui, je suis écrivain, directeur d’une structure et cet ami est encore au chômage car il a été renvoyé au cours du temps par le même patron.

BL: Vous développez dans votre livre une vision péjorative de l’amitié alors que dans la vie, nul n’est une île ni une monade? Et Seydou Badian le résume bien en disant dans sous l’orage que : « l’homme n’est rien sans les hommes. Il vient dans leur main et repart dans leur main» N’êtes-vous pas en contradiction avec vous-même ?

NN: Il ne s’agit pas d’une contradiction. Il y a des choses que nous ne choisissons pas dans la vie comme nos parents car nous les voyons en naissant. Par contre, il y en a que nous choisissons et nos amis en font partie. Si nous sommes d’accord que l’homme n’est rien sans les hommes, il faut souligner que parmi ces hommes sans lesquels nous ne sommes rien, Dieu nous a laissé le libre choix d’identifier et d’associer certaines personnes qui vont nous aider à réussir. Et c’est là que nous échouons parfois. Comme je l’ai dit dans le livre, les amis d’hier peuvent devenir des adversaires aujourd’hui et vice versa. Jean BODIN est allé dans le même sens lorsqu’il dit «Il n’y a de richesse que d’homme. » Mais si ces hommes doivent nous porter la poisse, il est mieux de couper les ponts avec eux.»

BL: Votre second roman qui sera présenté le 23 décembre prochain et titré: «La calebasse de ma grand-mère» Et si vous nous introduisiez dans le mystère de ce titre ? ….

NN: Merci beaucoup BL. Je viens d’un milieu où le lévirat continue d’être une question d’actualité et bien dans d’autres milieux que j’ai ciblés. Alors, j’ai voulu peindre ma perception de ce fait à travers un ouvrage. Et ma conversation avec les muses a mis le curseur sur ce titre qui suscite interrogations et curiosité : «La calebasse de ma grand-mère». C’est cette calebasse qui a été la digue de l’accointance de dame Foumikè qui perdit très tôt son mari et fut contrainte de choisir parmi un des frères de son défunt mari.

BL: Quelle est votre perception du lévirat ?

NN: Je ne cautionne pas le lévirat. C’est un fait qui va en contradiction avec l’essence même du mariage du moment où il devient une imposition voire même une contrainte  qui ne permet pas à la femme de respirer tranquillement après la mort de son mari. Son avis importe peu. Un foyer dont la base n’est pas l’amour est un poison permanent pour la société. C’est ce que je pense.

BL: Du lévirat, on débouche inéluctablement sur le statut de la femme en Afrique traditionnelle. La situation de la femme a-t-elle évolué selon vous ? Pourquoi ?

NN: Je resterai un peu perplexe à vous dire Oui. La femme a été créée à la base pour être soumise à l’homme en référence à la parole de Dieu. C’est l’homme qui a surnommé son âme-sœur en l’appelant ‘’femme» (Genèse 2 : 22-23, Ephésiens 5 : 22) Seulement, les hommes abusent de ce droit et ont tendance à faire de la femme ce qu’elle ne devrait pas être: un chiffon réduit à essuyer la maison et garder le foyer. Aujourd’hui la situation a évolué un peu mais pour qu’il y ait d’amélioration, il faut que chacun assure son rôle pour le bonheur de tous.

BL: Ramatoulaye, le personnage principal de «Une si longue lettre» de Mariama BÂ a été aussi confrontée au problème du lévirat. Et si elle a pu tenir en disant non, c’est parce qu’elle est fonctionnaire et qu’elle a plus ou moins les moyens de s’occuper de ses enfants. Mais dans les cas où la femme n’a pas les moyens et que la famille lui retire tous les biens de son défunt mari, que peut-elle faire?

NN: Foumikè en est une parfaite illustration dans le roman. La femme doit se battre pour ne pas être réduite aux biens de son mari. C’est pourquoi quand je vois nos sœurs aujourd’hui courir derrière le gain facile, ça m’écœure. Une femme qui sait garder sa dignité ne perd jamais, quelle que soit la situation.

BL: Il est démontré qu’il y a plus de femmes que d’hommes dans le monde. Et récemment, au Kénya, des femmes ont manifesté du fait qu’il n’y ait pas assez d’hommes pour les enceinter. (http://www.viberadio.sn/News/Conso-Societe/Kenya-les-femmes-manifestent-manque-d-hommes-pour-les-enceinter-00024671). Face à une telle situation, ne trouvez-vous pas que les femmes gagneraient à accepter le lévirat pour être sûre de ne plus être célibataire surtout que dans votre roman, Foumikè, bien qu’ayant claqué la porte et trouvé un amant, ne peut vivre heureuse ?

NN: (Rire…) Même si à la fin du roman Foumikè s’est vue confrontée à une autre réalité, elle a eu une vie heureuse en gardant sa dignité et en s’opposant au lévirat. Sa rencontre avec Gildas a changé sa vie après le calvaire qu’elle a vécu. Les informations selon lesquelles il y a plus de femmes que d’hommes sont récurrentes mais je n’y crois pas. Je le dis toujours; une femme qui a gardé sa dignité et qui sait fait quelque chose ne peut jamais se plaindre de ne pas avoir de mari. Le lévirat n’est pas une meilleure option.

BL: Quelle place accordez-vous à la «calebasse sacrée» dans une relation conjugale ? Quelle en est vraiment la nécessité ?

NN: La calebasse sacrée est le témoin cultuel entre un homme et une femme unis sur le plan traditionnel. C’est comme les églises qui demandent aux mariés de faire des vœux et se passer des bagues aux doigts. Je ne dirai pas que la calebasse a une importance dans les relations amoureuses. Malheureusement, beaucoup se servent de ces moyens occultes pour fonder leurs foyers et bonjour les dégâts. L’amour est un sentiment qui doit venir du cœur et non être forcé par l’occultisme.

BL: Quel message passez-vous à travers la couverture de votre livre ?

NN: Le rouge symbolise le courage et la persévérance de Foumikè qui s’est retrouvée dans une situation délicate. Sa dignité et sa pureté trouvent leur sens dans la couleur blanche. La calebasse peinte en grise-noire est synonyme du deuil et des tentations qu’à traversés Foumikè.

 BL: Quand le monde s’assoit à l’église (Tome I) est votre premier essai. Dans ce livre, vous avez tiré à boulets rouges sur les églises qui sont aux antipodes à la volonté de Dieu. D’où est venue l’idée d’écrire un tel livre?

NN: Je suis aussi un serviteur de Dieu et ce qui se passe dans nos églises aujourd’hui est tout sauf l’adoration de Dieu à travers notre Seigneur Jésus-Christ. Et c’est pour décourager cette pagaille et inciter les chrétiens à revenir sur le bon chemin que j’ai saisi ma plume pour laisser des traces indélébiles sur ces faits à travers le livre ‘’Quand le monde s’assoit à l’église (Tome I)’’

BL: Et vous êtes sûr de toutes les informations que vous y avancez ?

NN: Bien sûr. Nous sommes dans le domaine. Nous savons de quoi nous parlons. Comme nous l’avons dit dans le livre, l’église est devenue de nos jours un lieu de commerce par excellence. Le culte de la personnalité a remplacé l’adoration que les chrétiens doivent vouer à Dieu. La médisance, la calomnie, la haine et même la jalousie sont devenues la tasse de thé de la majorité des chrétiens. L’église, qui doit jouer un rôle neutre pour la paix dans chaque pays, est devenue une machine manipulable par les politiques. Il faut décourager ces pratiques et encourager surtout ceux qui font un effort de redonner à l’église son image.

BL: Y a-t-il un mal que le monde s’asseye à l’église? La liberté du culte est un droit universel, un droit présent dans la constitution de notre pays. Pourquoi alors ces critiques quand on sait que la soif du numineux est inscrite au cœur de toute personne humaine ?

NN: L’église est censée montrer le chemin du salut aux âmes perdues que nous appelons dans notre jargon ‘’le monde’’. Quand le monde arrive à s’assoir dans l’église, cela signifie que c’est plutôt le monde qui montre son chemin aux chrétiens. Et là, il y a de quoi à s’inquiéter.

BL: Êtes-vous satisfait de l’accueil réservé à cet essai par le public? Vos objectifs sont-ils atteints? Combien d’exemplaires en avez-vous vendu ?

NN: L’accueil a été très chaleureux même si certaines personnes ont trouvé que nous sommes allé trop loin. Nous sommes très satisfait. A cette date, nous avons vendu 525 exemplaires et nous continuons d’avoir des commandes.

BL: On lit Tome 1 sur le livre. Quand le Tome 2 paraîtra-t-il ?

NN: Ceux qui ont lu le Tome I nous harcellent depuis un temps pour le Tome II. Nous pouvons dire que c’est pratiquement prêt. Nous allons le mettre sur le marché pendant le deuxième semestre de l’année 2019.

BL: N’y a-t-il aucun danger à ce qu’on s’édite soi-même ?

NN: Evidemment ! Le premier danger est l’autosuffisance car on peut se dire que tout es parfait. On pense que le travail qui est fait est excellent. Alors que tant qu’il reste à faire, rien n’est fait. Mais nous avons des experts dans notre chaîne d’édition et l’avis de chacun importe.

BL: On peut quand même se dire, «c’est moi le Directeur Général, le dernier mot me revient. Je veux éditer mon livre, aucune instance ne saurait m’en dissuader».

NN:  D’une part vous avez raison, mais tel n’est pas le cas à Milca EDITIONS. Je suis bien entouré et j’ai un conseil de direction qui décide de tout. Je suis quand même là pour coordonner et aviser. Et je sais me plier quand il le faut pour le bonheur et l’image de la maison d’édition.

BL: Auriez-vous un mot à l’endroit des structures étatiques en charge de la littérature au Bénin?

NN: Je dirai simplement qu’il ne faut pas baisser les bras. Il est vrai que l’avènement des NTIC rend un peu les choses difficiles surtout pour les auteurs mais nous sommes des hommes de culture et nous devons travailler pour hisser plus haut le flambeau de la littérature béninoise.

BL: Un mot sur votre maison d’édition, sa genèse, ses objectifs et le bilan à mi-parcours.

NN: Milca EDITIONS est une structure spécialisée dans les travaux d’éditions (numérique et manuel) dont le siège est à Pahou. Elle accompagne les Auteurs surtout les jeunes talents qui s’intéressent à la littérature. C’est en Juin 2015 que nous avons commencé notre petit bonhomme de chemin. Mais, c’est en juillet 2016, après ma participation à la Rencontre Professionnelle des Ecrivains et Editeurs de l’Afrique de l’Ouest que j’ai été beaucoup aguerri. Cela m’a permis de réorganiser la structure et de faire quelques recrutements; et ça a pris. Nous avons édité à cette date plusieurs auteurs parmi lesquels on peut citer, à part moi-même, Corentin AHOMAGNON, Bruno HOUNDJO et Enock GUIDJIME dont le livre ‘’Les Délires de l’Inconscience’’ a été une réussite totale tout comme ceux des autres sus cités.

Aujourd’hui nous faisons un bon bilan mais on espère encore mieux. Et notre niveau actuel nous donne espoir.

 BL: Votre mot de la fin

NN: Merci à toute l’équipe de BL pour votre combat au quotidien dans le but de rendre plus visible les auteurs. Merci à tous ceux qui prennent du plaisir à me lire et à lire les livres édités par les éditions Milca. A tout mes collaborateurs, je dis également merci.

Vive la littérature africaine

Vive la littérature béninoise

Vive les écrivains et écrivaines

Je vous remercie.

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