Interview avec Yahn AKA, l’homme qui entend « vivre de livre et d’eau fraîche »

Interview avec Yahn AKA, l’homme qui entend « vivre de livre et d’eau fraîche »

Il est très polyvalent. On pourrait, sans exagérer l’appeler « factotum ».  A première vue, on pourrait être tenté de le considérer comme un « sapologue », vu son élégance vestimentaire, mais il est du pays de Bernard B. DADIE et nourrit l’ambition de « vivre de livre et de l’eau fraîche ». Il s’appelle Yahn AKA, patron des « Editions Maïeutique ». Nous l’avons rencontré pour vous, chers amis de Biscottes Littéraires.

BL : Bonjour Monsieur Yahn. Fils d’instituteur, écrivain, poète, nouvelliste, romancier, guitariste, passionné de philosophie et de psychologie, communicateur marketeur et publicitaire (tout ça pour vous seul !), vous avez été, dès l’âge de trois ans, inscrit par votre père à la bibliothèque paroissiale. Et le résultat est là: vous faites le choix acétique de « vivre de livre et de l’eau fraîche ». Rires. En guise de présentation, que pouvez-vous dire, vous-même de ce que vous êtes devenu ?

Y.A : Je réalise que vous avez fait de véritables investigations que ne sauraient réussir un inspecteur Colombo (rires). Je ne suis pas sûr d’être tout ce que vous avez cité. Pour mes épaules trop frêles, c’est trop lourd à porter et pour ma forme chétive, tout cela n’épouse pas mes mensurations. Je ne suis qu’un passionné de culture et de littérature qui a commencé dans la vallée de l’imperfection et qui s’efforce d’y arriver en apprenant de ses erreurs.

BL : De par votre formation, vous êtes communicateur marketeur et publicitaire. Mais vous voilà aujourd’hui dans la littérature et l’édition. Une reconversion ? Qu’est-ce qui n’a pas marché ? ou qu’est-ce qui a trop bien marché ?

YA : Juste une continuité. Je dirai une virgule et non un point, car l’édition n’est qu’une activité parmi le champ culturel dans lequel j’exerce. Pour vous répondre franchement, l’art est boulimique en liberté et très possessif. Un artiste dans l’âme devra affronter à un moment de sa vie, l’épruve de s’affranchir de toutes activités contraignantes à l’expression de sa créativité et de sa passion artistique. J’ai juste fait mon choix que j’assume.

BL : Vous étiez, jeune, fasciné par les poètes maudits. Que leur trouviez-vous de si attrayant ? La même fascination demeure-t-elle ?

YA : Je reste toujours fasciné par la construction des images qui font la beauté de leurs vers. La force de leurs figures de styles dans leur lyrisme. Dans le livre « Mon combat contre le diable »  du père Nobert Abékan ( que j’ai lu très jeune), il a expliqué la même chose. C’est dans son livre que j’ai vu pour la première fois l’expression « poètes maudits », j’ai fait des recherches et j’ai aussi été fasciné par leurs textes.

BL : Vous avez signé votre entrée dans le monde littéraire en 2005 par « Exode moral », un recueil de 195 poèmes. 195 poèmes ! Oh mon Dieu ! C’était quoi le projet ?

YA : La première édition de ce livre était en 2005 mais j’ai eu des soucis avec l’éditeur et le livre n’a pas été vraiment publié. C’est officiellement en 2016 que « Exode Moral » a été publié avec une quarantaine de textes. J’ai fait une sélection de 40 textes sur les 195 structurés en 3 thématiques : poésie didactique, lyrique et satirique.

 BL : Six ans plus tard, vous publiez ‘’Le pouvoir de la vanité’. Et là, vous griffez les hommes politiques. Que vous ont-ils fait de mal ?

YA : (rires) Pas que les hommes politiques, aussi les religieux. Je ne fais que décrire la relation entre ceux qui détiennent un certain pouvoir ou influence sur le peuple et le peuple lui-même. C’est-à-dire : Hommes politiques et peuple d’une part et hommes religieux et le peuple d’autre part. Je me sens à l’aise dans le style satirique, cela donne un sens à mes textes. A cet effet, j’ai mis en épigraphe un texte de Senghor dans mon livre «  Le Pouvoir de la Vanité :

« Notre noblesse nouvelle, n’est pas de dominer le peuple mais d’être son rythme et son cœur

Ce n’est pas de paître les terres, mais comme le grain de milet de pourrir dans la terre

Ce n’est pas d’être à la tête du peuple mais d’être sa bouche et sa trompette. »

BL : « Le pouvoir de la vanité » c’est aussi la vanité du pouvoir, car en définitive, tout finit par finir. Mais il faut quand même des hommes et des femmes pour faire la politique. Ce ne sont pas des anges qui exerceront le pouvoir politique, mais des hommes faits de sang et de chair. Quelle esthétique du pouvoir préconiseriez-vous ?

 YA : Il me semble que c’est Platon ou Socrate qui disait  que tant que les philosophes ne seront pas rois et que les rois ne seront pas philosophes, il n’y aura pas de trêve des maux  dont souffre la société.

BL : « Le pouvoir de la vanité », c’est aussi le livre qui repose le problème fondamental de la foi chez les Africains. Avec le recul du temps, pensez-vous que les peuples africains aient fait des bonds qualitatifs dans ce domaine ?

YA : La thèse de ce livre est toujours d’actualité et je l’ai reprise dans mon œuvre Démon-cratie : La foi n’exclut pas la raison. La réapparition et la montée du fondamentalisme religieux prouve l’échec des politiques à améliorer les conditions de vies des citoyens qui ont recours à la religion et la superstition comme baume. La religion a à son tour échoué de rapprocher ses adeptes vers les valeurs morales car elle perpétue la logique du capitalisme par leurs messages et actions polarisés sur le profit et l’exploitation de leurs ouailles. Les centres religieux sont le plus souvent des camps de propagande de terrorisme, d’intolérance religieuse, d’apologie d’évangile de prospérité, de fuite de responsabilité, de fabrication de citoyens paresseux qui ont plus foi aux miracles qu’aux fruits dignes de leur labeur.

BL : Vous prépariez un livre dont le titre ne peut laisser personne indifférent : « La saveur de nos excréments’’. Qu’est-ce que ce projet est devenu ?

YA :  J’écris aussi sur l’élection d’un pape noir qui rencontre Hitler qui n’est pas encore mort en réalité. Cela provoque la résurgence du racisme dans l’Eglise Catholique, la vrai question de l’inculturation et l’acculturation, la bipolarisation du Vatican entre les progressistes qui veulent un nouveau Concile contre des ultra conservateurs opposés à toutes sortes de réformes et réclament même le retour au concile du Vatican I. J’aborde même le problème du scandale du IOR ( la banque du Vatican) et les complots d’assassinat des papes…  Il me faut vraiment de la culture pour terminer ces manuscrits et je lis beaucoup pendant ce temps et peut-être que c’est dans 15 ans que je terminerai ces manuscrits.

BL : Quelle est la place de Jean-Marc ADIAFFI dans votre vie d’écrivain ?

YA : Adiaffi ? C’est un génie ! et ce qualitatif est même un euphémisme. Très jeune j’avais toute sa bibliographie et son œuvre à titre posthume « Les Naufragés de l’Intelligence » m’inspire toujours. Je l’ai acheté une dizaine de fois (ce qui venaient me l’emprunter ne me le ramenaient jamais) en me privant à l’époque des frugales économies de ma besace perforée.

BL : Votre roman « Démon-cratie », une manière de rendre autrement la fameuse citation de Karl Marx : « La religion est l’opium du peuple » et cet autre propos prêté à l’ancien président français Jacques Chirac  « L’Afrique ne serait pas prête pour la démocratie ! » ?

YA : Le lecteur donnera sa propre interprétation après avoir lu l’œuvre. Mais en tant que l’auteur je résume mon interprétation par cette citation de Victor Huguo : «  tant qu’il existera, par le fait des lois et des meurs une damnation sociale créant artificiellement en pleine civilisation, des enfers, et compliquant d’une fatalité humaine la destinée qui est divine ; tant que les trois problèmes du siècle, la dégradation de l’homme par le prolétariat, la déchéance de la femme par la faim, l’atrophie de l’enfant par la nuit , ne seront pas résolus ; tant que, dans certaines régions, l’asphyxie sociale sera possible ; en d’autres termes, à un point de vue plus étendu encore, tant qu’il y aura sur la terre ignorance et misère, les livres de la nature de celui-ci pourront ne pas être inutile »

BL : Vous êtes le Directeur de la maison d’édition Maïeutique. Comment cette idée est-elle née et quelle sont les objectifs que vous visiez en créant Maïeutique ?

YA : La Maïeutique de Socrate aide à accoucher les esprits parallèlement à sa mère matrone qui aidait à accoucher les corps. Les Editions Maïeutique aident à accoucher les œuvres artistiques. Je suis un fou amoureux de Socrate. J’ai même voulu donner le nom Socrates à ma fille malgré l’opposition de sa mère (rires).

« Directeur Général’ ne me convient pas pour plusieurs raisons, même pour des raisons organisationnelles ; surtout pour la logique Maïeuticienne.

BL : N’y a-t-il aucun danger à ce qu’on s’édite soi-même ? On peut quand même se dire, «c’est moi le Directeur Général, le dernier mot me revient. Je veux éditer mon livre, aucune instance ne saurait m’en dissuader».

YA : Je ne sais quoi répondre

BL : Quelle a été votre plus grande joie en tant qu’éditeur ?

YA : La joie de la Matrone ( rires)

BL : Vous venez de publier chez vous, c’est-à-dire, chez Maïeutique « La rébellion des poètes ». Contre qui les poètes se rebellent-ils ? La poésie ne peut-elle autre chose que cris, râles quand on sait que malgré tout ce font les artistes, les pouvoirs en place continuent de fonctionner sans inquiétude, le monde évolue comme il l’entend. On pourrait dire « le chien aboie, la caravane passe ».

YA : J’ai fait l’effort d’équilibrer cette œuvre avec 3 parties ; poésie satirique, didactique et lyrique. Donc il y a plusieurs sujets, des thématiques riches avec un langage très accessible tout en étant fidèle à la versification que j’adore et qui est mon style. Les lecteurs me disent que ce livre se lit facilement en moins de 30 mn entre rires, révoltes et rêves.

BL : La première de couverture montre une musicienne toute concentrée sur son instrument et un homme les mains nues aux cheveux ébouriffés, tournant orientant vers le ciel des hagards. Tous deux sont suspendus entre ciel et terre ou flottent dans les nuages. et pourtant c’est sur terre que se mène le combat de la vie avec des armes bien spécifiques…

YA : Le choix de la couverture est fait pour séduire le lecteur potentiel et ça marche ! La poésie est de moins en moins commerciale. Mais mon livre « La rébellion des Poètes » se vend très bien !

BL : Récemment, vous avez eu la joie d’accueillir dans vos bras votre fille. Le poète n’a pas été insensible à ces moments. Partagez avec nous vos sentiments.

YA : Je pourrai dire avant de mourir que j’ai vu et connu le bonheur par la naissance de ma fille et notre relation si complice depuis sa naissance. Comme je le disais le jour de l’anniversaire de ses 1 an ( 15 juillet 2019), elle m’a permis d’apprendre beaucoup de choses : bosser dur et me dépouiller pour elle, apprendre à interpréter ses émotions, ses pleurs ( puisqu’elle ne pas parfaitement), j’ai appris à lui porter des couches, faire sa toilette, son bain, la faire dormir en lui chantant des berceuses, j’ai appris à supporter ses jeux quand elle mord ou me frappe, j’ai appris à supporter contre mon gré ses supplications larmoyantes qui me réclament auprès d’elle pour jouer alors que je dois la laisser à la maison et aller chercher le pain quotidien. Je suis béni quand elle m’appelle papa. Je l’ai appelé Nolyvé en référence au Poète Senghor car c’est ma fille ma Muse et la source de mon inspiration.

 BL : Parlez-nous de votre projet dénommé « La Fresque ».

YA : C’est dans cette activité que je m’épanouis le plus et que je prends tout mon plaisir. C’est une messe artistique qui regroupe toutes sortes de disciplines: théâtre, danse chorégraphique, exposition d’œuvres d’art, ventes d’objets d’art, slam, prestations d’instruments de musiques, photographie etc. Cette activité déplace l’art et la culture dans les entreprises et fais l’effort de montrer que l’art et l’entreprise ne sont pas deux mondes parallèles mais plutôt complémentaires. Nous l’avons démontré dans plusieurs entreprises et le personnel a témoigné des avantages de cette activité sur leur culture et leur rentabilité.

BL : Quels sont vos autres projets dans le domaine de la littérature ?

YA : Je préfère tenir mes projets loin des projecteurs et des projectiles

BL : Votre mot de la fin

YA : Nul n’est Poète chez soi !

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