Quand le chaos s’immisce, bouleverse, controverse tout ordre et évide les hermétiques, une question se peut être posée : faudrait-il que ce chaos soit plénier ? Hier le jeudi noir, et aujourd’hui le mars rouge, teinte du coronavirus, du boom démographique des personnes atteintes ; expression de la flopée des moribonds, et de la flambée des morts. Mars rouge dans le monde ; mars rouge à la mi-mars au Bénin : le 16 mars, le premier cas du coronavirus. Les alertes, les alarmes annoncent, véhiculent le tragique, le vague à l’âme, la mort dans l’âme, aussi souvent les impasses que lorsqu’on se retrouve sur le qui-vive, quand l’on tique, quand le relai des chaînes médiatiques ne délaie point l’information sur le coronavirus, quand entre deux émissions, deux courts-passages ; quand entre deux prestations, deux mixages, un glas à l’ambulance tinte et sans cesse : « alerte coronavirus ! ». On se retrouve en état d’urgence et peut-être pas encore en guerre. Ou peut-être encore c’est ce qu’il faut éviter au creuset d’un travail entre acteurs actant dans le domaine de l’art : l’art plastique, la musique, la comédie et l’art par excellence la littérature ; un travail concerté donc comme celui-ci : l’anthologie Rafale de plumes contre la covid19.
Cette œuvre nait du cataclysme émotionnel dans lequel plonge ce minuscule macro-opérationnel. Elle nait du constat de l’inaction des hommes de lettres, un déficit criard et mortel car chaque génération semble-t-il a une mission et il suffit de la découvrir pour ne pas la trahir. Quelle autre aurait été la nôtre, nous, écrivains témoins de cette pandémie si nous ne posions ou n’avions posé ces encres luisantes sur des papiers endeuillés. Et le résultat, c’est ce joyau flambant neuf, ce bébé littéraire hors-commun, cet enfant accompli, cet enfant né dense à la mâchoire, cet enfant, nous voudrions dire, quasi protéiforme. Avant de l’ausculter en minutie, permettez qu’elle soit resituée dans les généralités qui lui sont les plus connues.
Dans ses atouts extérieurs, la maquette trame un fond de couleur rose éclaircie, sur laquelle sont peints les insignes particulièrement évocateurs en ce qui concerne l’œuvre. Ainsi, à la première de couverture, l’inscription de la FAEGLA, (Fédération et Association des Ecrivains, Gens de Lettres et Associés), justifiée au centre de l’en-tête en minuscule script, indique l’organisme auquel revient la paternité de l’œuvre. En dessous et en retrait vers la gauche, s’affiche imposant le titre de l’œuvre Rafales de plumes contre la covid-19 entièrement mis en majuscule script. Une différenciation de couleur remarquable attire tout de même l’attention sur la COVID-19 qui est mise en couleur sang. Le rouge, à son sens ordinaire, indique le danger, l’alerte. Et à côté, sur la droite, une circonférence peinte d’une même couleur, sillonne des ondes à l’intérieur autour de la représentation de la COVID-19 qui étreint les neuf pays participants de cette anthologie. On peut y lire une assignation à domicile de la COVID-19, un rubicon que représente le périmètre de la circonférence et que ne peut franchir la COVID-19. Le rouge de la circonférence rime alors avec le courage des figures d’auteurs mises en exergue sur la gauche et qui selon leur posture, qui selon leur mine arborent la fierté de la responsabilité d’une telle réclusion de la COVID-19. En dessous de ces photos, la nature de l’œuvre est précisée : “Anthologie de textes sur le coronavirus sous la direction de Florent Eustache HESSOU.” Et enfin au centre du bas de page la maison scientifique de l’œuvre, Editions ORI 2020.
A la deuxième de couverture, à la suite de l’inscription de la FAEGLA mise en en-tête, au centre de la page, une indication encadrée sur l’œuvre l’identifie comme un harcèlement textuel contre la COVID-19 et en bas de page, l’équipe scientifique : “sous la direction de Florent Eustache HESSOU, président de la FAEGLA, assisté de Chédrack DEGBE, et Noudjiwou C. ALLOSSOU. En sautant la troisième de couverture pour la quatrième, on se retrouve en face d’un sobre aperçu sur le livre que suit un extrait de texte signé par le Président de la FAEGLA et en dessous, en bande multicolore, défilent les drapeaux des pays représentés. Aussi, cette anthologie, en s’étendant sur 181 pages, est-elle bigarrée de la semence littéraire de soixante-six (66) auteurs de neuf nationalités différentes et qui signent environ une centaine de titres, tous répartis par rubrique selon les genres littéraires : Poèmes, slams, Acrostiches, Chroniques, nouvelles, fables et théâtre.
Mais au-delà de cette répartition formelle et arbitraire, l’œuvre concourt dans les moindres lettres au réveil de la conscience africaine face à la mondialisation, face aux défis du marché international, face à la manipulation médiatique, pour un retour sur soi identitaire partant de cette pandémie. L’avant-propos plante assez suffisamment le décor, un ras-le-bol affiché face aux objectifs économiques dissimulés sous la prétendue pandémie, face à la décimation programmée des peuples : « La Covid-19 n’a pas été fabriquée de toute pièce en labo pour que l’humanité se protège contre ! Non ! C’est pour une extermination. » P. 13, face au mépris des populaces : « Je dénonce le mépris des “non-suffisamment hellénisés”, enveloppé dans l’orchestre Covid. ». p. 98. Ce ras-le-bol devient le tremplin de l’œuvre dans les moindres dimensions qu’elle aborde à savoir : la sociologie, l’économie, la politique et même la géopolitique.
Sur le plan sociologique, l’état des lieux émotionnel de l’Afrique est représenté. Qu’il plaise que nous la peignions dans les mots du poète marocain Essaid Manssouri « Ô Monde, Dans vos yeux la peur Joue à la mourre. Le dégoût et la stupeur effrayent mes amours, Assis, j’écoute un jappeur Chien récitant la mort, Coronavirus est en vapeur, Il tue faisant ses mamours ! Un monde, un esprit frappeur Qui tisse une mort d’humour. Mes enfants n’ayez pas peur. Allons, la vie et l’amour ! » p.68. Evidemment, en laissant monter la tension, en laissant s’installer la peur, c’est à la vie et à l’amour que l’on tient. C’est à l’aune de ces deux que l’on peut activer l’instinct de survie, p.93, en se trouvant pris dans un échange de tirs contre l’invisible, il faut la vaincre : vaincre l’invisible. P.87. Plus qu’une option, c’est un défi et savoir le relever, c’est faire un retour sur soi nécessaire, une introversion à la découverte du potentiel proprement africain, du matériel à piocher dans le carquois de la médecine traditionnelle, des feuilles aux vertus naturelles : « Je veux l’Artémisia. Pas leur Chloroquine » p.18. Un rapport de force inéluctable s’installe. Puisqu’on ne peut plus le dire : l’Afrique est gorgée de ressources et on ne doit surtout pas dire qu’elle est fragilisée à la mondialisation, mère devenue enfant mendiant et le monde à l’envers… p. 57, l’Afrique devenue Dossou le lépreux dont la légende prophétique est plus qu’actuelle ; un renversement de la situation en faveur de l’Afrique, présumée cible de l’orchestration et si c’est effectif, la COVID-19 est la bévue du siècle, p.122.
Sur le plan économique, la note est particulière sur le ralenti des services de l’entreprenariat et ceci à l’interne comme à l’externe. La méfiance, les mesures barrières pour la sécurité, le confinement l’emportent sur l’économie individuelle. « L’espoir est-il très vivant pour les affaires ? » p.116. L’impact est visible sur la macro-économie et si l’on veut être plus perspicace, tout se trouve au service d’un nouvel ordre économique qu’impose la mondialisation qui prend corps dans la covidisation. Les vaccins subventionnés, les milliards promis et injectés dans les pays à cas confirmés, solidarité financière, assistanat ou un plan d’actions ? Tout le monde y passe. Le mal a bouleversé toute l’économie mondiale. « Pauvres, Riches, Prolétaires, Bourgeois, tous se sont retrouvés entre ses mailles. » p.84. Et les yeux tournés vers la métropole, l’Afrique est étreinte par les made-in, les produits importés, p. 104. L’assistanat et ses imports, ce sont elles qui lui dictent sa politique compte tenu de sa position et de sa situation géographique. Quelle issue pour elle ?
Les appels sont insistants et incessants. La nostalgie de l’ante-covid poignante, le passé devient un rêve. « Mon rêve, que l’école ouvre et qu’à son bureau la directrice revienne, Que le surveillant pour ne pas m’être lavé les mains après avoir écrit au tableau, me taquine. Mon rêve, que je puisse tousser librement sans craindre les regards inquisiteurs, (…) Mon rêve, qu’avec tous, le curé puisse à nouveau célébrer, (…) Que la vendeuse de riz de la rue puisse revendre, Et que les matins, notre appétit ne se lasse d’en dépendre. Mon rêve, que la paix puisse revenir dans tous les cœurs » p.92. Autant de rêves qui n’appellent qu’une seule imprécation « Coronavirus, quitte notre sphère pour air sans peur ! Laisse-nous circuler sans masque, sans distanciation sociale » p.101.
Mais en attendant, il faut prendre du temps pour soi, p.111, prendre du temps, en pensant à soi, penser à l’autre, prendre le temps de vivre chaque bol d’air respiré, prendre le temps à l’appétit vorace d’emmailler dans les étreintes littéraires cette œuvre qu’à peine, nous avons pu indexer sommairement. Prendre du temps…
Noudjiwou Carlos ALLOSSOU