Hamidou Dia, voilà un nom qui ne saurait laisser indifférent quiconque s’aventure dans les dédales de la poésie négro-africaine. A la vérité, dire, avec le recul, que « Les Remparts de la mémoire » est une poésie des souvenirs imagés, c’est redéfinir la poésie et l’arrimer à la fois aux images et aux souvenirs qui surgissent de l’inconscient de l’auteur et peuplent tout son univers psychique. Qu’on le définisse comme anamnèse, la poésie a cette capacité de réunir en un seul instant tous les instants de la vie de l’homme. Écoutons Hamidou Dia se replonger dans la plaise originelle de son enfance :
« Je me rappelle
les rires cadencés
de tes perles d’abandon
la tendre complicité des vagues
abreuvant la nostalgie des rivages
l’arpège du fleuve l’écho des falaises » (p.13)
Telle est la couleur du verbe de cette verve poétique qui sait que la noblesse d’un esprit gît dans sa capacité à s’approcher du lointain dans le dessein d’observer le cœur, d’observer les sentiments, l’âme et sa lumière s’éloigner et vaincre l’oubli pour accueillir la reconnaissance asséchant en l’homme le Léthé. Ô la pensée et les souvenirs, les souvenirs et les sourires et/ou, peut-être, un peu de larmes perdues dans les jardins de la nostalgie et de l’enfance, dessinent l’univers de l’homme et font montre par-là même, de tout ce que l’être humain a de précieux dans son existence ! Le poète perdu dans l’univers de son cœur en ouvre ainsi les portes:
« Je voudrais de nouveau fleurir
sous le fleuve d’hibiscus
et les sépulcres sacrés
le passé oublié
le long des ficus…
fleurissant le murmure perdu
des gazons émus du souvenir… » (p.9)
Hamidou Dia dans « Les Remparts de la Mémoire » sait de façon plus qu’évidente, que le souvenir est l’abri même de la gratitude. Ainsi dans ce recueil de poèmes, le poète montre combien il accorde une place de choix aux images de sa mémoire avec une originalité dans la façon de les exposer.
Il faut dire que chaque souvenir dans ce recueil de Hamidou Dia coltine l’image d’un humain et/ou d’un lieu. Le poète se rappelle parfaitement ses influences et la beauté de son royaume d’enfance. S’agissant de ses influences, Lilyan KESTLOOT en fait explicitement mention dans son article publié à la revue Ethiopique en 1999[1]. Senghor, Césaire, Cheikh Hamidou Kane, Boris Diop, Tchikaya etc. apparaissent à travers leur verbe dans « Les Remparts de la Mémoire ». Ces apparitions de ces hérauts de la littérature nègre sont aussi une occasion pour le poète d’accentuer, d’affirmer et d’assumer sa filiation comme l’indique KESTLOOT. Oui, les poètes aussi ont des maîtres et comment expliquer cela ? Apprennent-ils d’eux à dire leur sensibilité et à accoucher leur intimité ? Silence ! Silence total !
Hamidou Dia apporte néanmoins des précisions sur l’activité d’écrire et sur le poète à partir de la page 45. Ainsi, on peut lire toute la douleur qui ressort de l’activité de l’écrivain en général et du poète en particulier. « L’écriture est une épreuve pour le poète selon Hamidou Dia et « le poète n’est pas une voix mais un désert de clameurs », « Plagiaire de l’Eternel il pleure l’instant dans l’infini de son irrévélable solitude » p.49. Hamidou Dia nous dit ici toute la situation du poète dans la société. Ô éternel solitaire !
Et quid de sa grand-mère, Fama Dikkel aux sourires de maïs ? Hamidou Dia se rappelle le moindre trait de beauté d’elle : ses cheveux insulaires, la musique de son sourire, la ferveur silhouettée des pas de sa grand-mère. Cette description de sa mamie est aussi l’occasion pour le poète de magnifier la beauté de la femme peule au teint de lait qui brille dans la semi-pénombre. La femme peule aux dents blanches qui rend fou les foutankés attendris. Ah la beauté de la femme peule !
Qu’en est-il du Fouta pour le poète ? Hamidou Dia voit son royaume d’enfance d’un regard enfantin, donc beau. Ainsi dit-il :
« Rédimé je serai
ou de nouveau
le bâton pastoral
derrière la marche
des troupeaux
des Foutankés attendris » (p.28)
Hamidou Dia dessine ici non seulement l’image du berger peul avec son bâton pastoral qui surveille le troupeau de bœufs mais aussi et en même temps l’héritage de toute une communauté à la richesse infinie. On voit ainsi Fouta lorsqu’il mentionne un à un les lieux de son enfance :
« Je suis de Dianraguel-les-tamariniers
De Saka
Haraw
Helloum
hélas
je suis de béélel Sam Penda
de Toulel-Kédélé
des marigots qui bordent
la gloire de mon nom »
La fierté d’être peul et d’appartenir à cette belle ethnie bien localisée dans « Les Remparts de la Mémoire » est bien affichée. Quand l’un tait sa tigritude et l’autre proclame sa négritude, Hamidou Dia chante sa fierté d’être peul.
Et l’Afrique et ses héros ? Le poète n’oublie rien en réalité. L’Afrique et ses mythes et ses héros. Le poète se rappelle Chaka-Zoulou, Ghana et l’empereur du Wassalou (P.67), les mythes de l’hippopotame dans le marigot. Le poète ressuscite en effet les souvenirs d’anciens royaumes de l’Afrique (Wassalou ou royaume manding) et rend hommage au faama Samory Touré avant de se voir comme la pythie délivrant la bonne nouvelle à son peuple dominé p.59. Ah prédiction de l’espoir d’une victoire future ! Images sur images !
Et que dire de la façon d’exposer ces images dans « Les Remparts de la Mémoire » ?
L’originalité du recueil repose dans le fait que le poète ait étalé toutes les images de sa mémoire dans un seul et unique poème. En effet, chaque page du recueil affiche une partie de ses souvenirs et chaque souvenir dévoile une image de la vie et des sentiments du poète. Tableaux sur tableaux, expositions sur expositions, le poète dessine verbalement et de façon très claire tout ce qui défile au devers de son âme et tout ce qui capte son esprit ; tout ce qu’il veut et tout ce dont il se souvient ; tout ce qu’il voit et tout ce qu’il prédit.
En réalité, Hamidou Dia montre dans son recueil que la poésie est avant tout images et sans ces images, la poésie perd toute sa force et toute sa beauté. Dès lors, comme Goethe, l’auteur des « Les Remparts de la Mémoire » donne la preuve que la poésie est une pensée dans une image.
Par ailleurs, au-delà des images, la recherche de style du poète reste apparente dans « Les Remparts de la Mémoire ». À travers les intertextes, le poète cherche bien ses marques, affichant par la même occasion, toute l’esthétique de son recueil. Ainsi, non seulement plusieurs ouvrages célèbres de la littérature africaine d’expression française (aventure ambigüe, aux tambours de la mémoire, au feu de brousse etc.) mais aussi des expressions tirées d’autres ouvrages y apparaissent. Les jeux de mots et les figures de style peuplent son texte.
Néanmoins, il convient de préciser que les nombreuses et diverses expressions d’origine peule dans le recueil peuvent être perçues comme un temps faible du texte dans la mesure où celles-ci peuvent rendre très ambigüe la compréhension et la sensibilité des « Les Remparts de la Mémoire ». David Diop aurait même pu dire que cela rend un peu folklorique la poésie de Hamidou Dia. Folklorique en effet, un peu. Mais en tout état de cause, « Les Remparts de la Mémoire », dans l’ensemble, est un excellent recueil de poèmes dont l’originalité ne peut être minorée à cause de quelques faiblesses du livre. Ce recueil est à lire et relire, encore et encore pour que le poète ne soit pas oublié.
[1]« Ethiopiques » numéro 63 « revue négro-africaine de littérature et de philosophie » 2ème semestre 1999