Bonjour les amis. Nous recevons pour vous aujourd’hui, l’écrivaine ivoirienne Hamitraore: « Etant moi-même une survivante d’une violence, j’ai voulu mettre en lumière les violences cachées derrière nos murs dont les victimes sont généralement les femmes. »
BL : Bonjour Mme Hami Traoré. Nous sommes heureux de vous recevoir sur Biscottes littéraires. Veuillez vous présenter aux aimables lecteurs.
TA : Traoré Aminata à l’état civil avec nom de plume Hamitraoré. Ecrivaine, activiste, championne dans la lutte contre les mutilations génitales féminines. Présidente de la Fondation Gnitrésor. Agée de 41 ans, mère d’un garçon de 19 ans.
BL : Vous êtes auteure de deux ouvrages : « Le couteau brûlant » paru en 2012 et « Cachée derrière le mur » paru en 2016, tous deux axés sur la femme et des violences faites aux femmes. Pourquoi un tel choix de faire de la femme la vedette et l’héroïne de vos livres ?
TA : Etant moi-même une survivante d’une violence, j’ai voulu mettre en lumière les violences cachées derrière nos murs dont les victimes sont généralement les femmes.
BL : Guerrière, chevronnée défenseure de la cause féminine. Aucun de ces termes n’est galvaudé s’il faut vous qualifier au vu de la noble bataille que vous menez pour que la fille et la femme jouissent pleinement de leurs droits. Votre arme pour vaincre cette guerre n’est autre que la littérature, le livre. Pourquoi cela ?
TA : L’écriture a été une thérapie pour extérioriser un vécu douloureux et traumatisant. Ayant une licence en lettre moderne, je me suis servie de la plume pour partager une douleur, ma révolte mais également l’espoir en un lendemain meilleur. Mais j’ai aussi ajouté à cette guérison psychologique, le travail communautaire qui reste également un enrichissement pour soi et pour les autres.
BL : Pensez-vous que la littérature soit l’arsenal idéal pour remporter une si grande et délicate lutte?
TA : Chaque personne utilise le moyen qui sied pour extérioriser un ressenti, ses douleurs, ses joies mais également ses espérances. Quelle que soit la voie empruntée, le plus important, est de faire passer un message pour un changement de mentalité et de comportement.
BL : « Le couteau brûlant » est votre livre-thérapie, une œuvre autobiographique dans laquelle vous vous tentez de soigner vos propres blessures et, sans doute, celles de nombreuses autres filles et femmes victimes de mutilations génitales. Ce livre a-t-il tenu ses promesses ? Vous a-t-il permis d’évacuer toutes ces douleurs intérieures ?
TA : Le livre a reçu un très bon accueil. C’est toujours un grand pas de briser le mur du silence et surtout de partager cette expérience à travers la publication d’une œuvre autobiographique. Cette décision à contribuer à ma guérison psychologique. Je ne suis pas fière d’être une victime mais si ce livre peut permettre de sauver des filles de cette pratique, alors l’objectif est atteint.
BL : Comment fait-on, quand on a été mutilée à seulement huit (08) ans pour survivre, avoir un brillant parcours comme vous l’avez eu et être aussi déterminée et aussi forte comme vous l’êtes aujourd’hui ?
TA : Mon état de survivante d’une violence a réveillé mon engagement à travailler pour plus d’équité et d’égalité prenant en compte la lutte contre les violences faites aux femmes. Il faut aussi transformer les épreuves de la vie en une force et une motivation pour aller de l’avant.
BL : La question des droits de la fille et de la famille est aujourd’hui plus que jamais d’actualité. Longtemps désintéressée par les débats, l’Afrique semble prendre de plus en plus conscience de l’urgence de protéger la gent féminine des violences dont elle est victime. Le constat reste cependant déplorable que ces violences persistent sur le continent, encouragées par une culture et des traditions africaines phallocrates et délétères pour l’émancipation féminine. Peut-on dans ces conditions espérer un quelconque changement de la condition de la femme sur le continent noir ?
TA : Le changement de comportement et de mentalité est à long terme mais le plus important c’est la prise de conscience. Et aujourd’hui bon nombre de femmes ont décidé de briser le mur du silence et de dénoncer les cas de violences. Les femmes ont compris que personne ne viendra faire leur combat à leur place. Egalement l’action et la pression de la société civile surtout des féministes ont amené les gouvernements à reconnaitre ces atteintes à l’intégrité physique et psychologique. Ce qui a permis d’apporter des réponses psychologiques, médicales et juridiques. Aujourd’hui force est de reconnaitre le rôle important de la femme dans la société. Elles occupent des fonctions jadis masculines brisant ainsi les règles traditionnelles établies depuis des lustres. Il faut saluer toutes les avancées, les acquis en matière d’égalité, de parité et surtout dans la lutte contre les violences.
BL : En plus de mener le combat par l’écriture, vous présidez une fondation destinée à la même cause. Parlez-nous de Gnitrésor, de sa genèse et de ses ambitions.
TA : La fondation Gnitrésor a vu le jour en 2012, dans l’optique de faire du livre un moyen de sensibilisation contre les violences faites aux femmes et aux enfants surtout en milieu scolaire. Mon objectif est de créer d’une part, un centre d’accueil, d’écoute, d’échange pour la promotion des droits de la femme et des enfants et d’autre part assurer une assistance aux victimes des violences basées sur le genre. La plus grande difficulté est le manque de moyens financiers et j’espère que je trouverais les ressources nécessaires pour mettre en œuvre ce projet.
BL : Quelles sont, à ce jour, les grandes réalisations de Gnitrésor ?
TA : Nous avons organisé des cycles de conférences dans plusieurs villes du pays particulièrement en milieu scolaire avec des dons de livres aux bibliothèques de ces établissements scolaires.
- Le livre comme moyen de sensibilisation contre les mutilations génitales féminines,
- Zéro grossesse à l’école, j’y adhère
- La lutte contre les violences basées sur le genre (le mécanisme de prise en charge)
- L’autonomisation de la femme
- La scolarisation de la jeune fille
Ces projets ont reçu l’appui financier des ambassades de France et d’Allemagne, de Sunu Assurances (maison d’assurance) et du Fonds des Nations Unis pour la population (UNFPA)
BL : Quelles raisons ou motivations avez-vous aujourd’hui pour continuer cette lutte harassante et immense pour la cause de la fille et de la femme ?
TA : C’est surtout les messages de remerciements et d’encouragements. Chaque jour est une bataille, mais je suis heureuse d’apporter ma contribution à cette lutte. Car mon objectif c’est de motiver l’opinion à aider les femmes et les enfants, qui sont les plus touchées, à briser le mur du silence et surtout d’apporter une réponse à leur entente.
BL : Pendant que certaines femmes, comme vous, vont au front et mènent courageusement la lutte, d’autres choisissent la résignation, victimes silencieuses et complaisantes. Quel(s) message(s) avez-vous pour elles?
TA : La décision d’extérioriser voire de partager son récit, n’est pas évidente pour chaque personne. On redoute le regard des autres, la stigmatisation, le rejet. Mais le témoignage de d’autres victimes peut aider les autres femmes à parler et à recevoir de l’aide. A toutes ces femmes, je dis juste qu’il est temps de penser à elles ; à leur bien-être. Qu’elles ont le droit de prendre cette décision pour mettre un terme à cette souffrance muselée. Et surtout de se regarder à nouveau dans un miroir. Briser le mur du silence, c’est prendre à nouveau le contrôle de sa vie et de réécrire à nouveau son histoire en tenant compte de ses propres choix, de ses convictions.
BL : La femme victime et martyre s’illustre malheureusement sous certains cieux comme la complice voire l’instigatrice de son propre malheur. En témoignent les cérémonies dites d’initiation où des filles sont mutilées par des femmes, en témoignent aussi l’éducation donnée par des mères pour qui le seul droit de la femme est de se soumettre ou les interventions de femmes qui développent une sorte de syndrome de Stockholm vis-à-vis de leurs bourreaux. Ne peut-on pas dans ce cas affirmer que l’ennemie de la femme est la femme elle-même ?
TA : Les femmes vivent dans des sociétés dont les taches et les rôles ont été établies par les hommes. Certes les pratiques traditionnelles sont perpétuées par les femmes mais adressées aux hommes.
On hérite d’une pratique qu’on transmet de mère en fille en se disant que c’est un devoir. Cependant il faut reconnaitre que la scolarisation de la fille, les sensibilisations de proximités et les renforcements des capacités des leaders féminins communautaires, sur les conséquences de ces pratiques, ont contribué à susciter une prise de conscience. On assiste aujourd’hui à une solidarité féminine même si on constate des méfiances de la part de certaines femmes face à ce bouleversement socio-culturel.
BL : Ce combat que vous menez fait incontestablement de vous une féministe. De quel féminisme vous réclamez-vous ? Celui qui prône la femme, seulement la femme, rien que la femme ou un autre ?
TA : D’une part, C’est un féminisme qui prône la femme. Je suis de la génération égalité. Et d’autre part les questions abordées sont des thèmes d’actualité et de société, donc nous devons impliquer les hommes dans ce changement de comportement et de mentalité.
BL : Vous qui avez voué presque toute votre vie à la cause féminine, quel diagnostic faites-vous de la situation de la fille et de la femme ivoirienne lors des dix dernières années ?
TA : La situation de la fille et de la femme ivoirienne a beaucoup évolué. La preuve, nous en tant que jeune génération, nous bénéficions de ses retombées. Grâce à la société civile, plusieurs actions de plaidoyer ont abouti à l’adoption de lois (interdiction des mutilations génitales féminines, l’âge légale pour le mariage, les rites de veuvage et de successions, les violences sexuelles, la parité, la scolarisation de la petite fille, …) et aussi l’appui à l’autonomisation de la femme, la mise en place de programme d’alphabétisation, l’accès aux soins. Cependant beaucoup reste à faire surtout l’application effective de ces dispositions juridiques, l’insuffisance de centre d’accueil sur toute l’étendue du territoire dans la prise en charge des victimes….
Force et respect à toutes ces femmes inspirantes, qui ont brisé le mur du carcan renfermant leur condition de femme, mère, épouse d’une société régie par des règles patriarcales pour revendiquer une communauté plus juste prenant en compte leur aspiration.
Une pensée pour les femmes qui ont initié une marche violemment réprimée sur Grand Bassam (Côte d’Ivoire) du 22 au 24 décembre 1949 pour demander la libération des responsables politiques emprisonnés par les autorités coloniales françaises. Elles ont ainsi apporté leur contribution à l’accession du pays à l’indépendance le 7 aout 1960.
BL : Votre noble lutte reconnue et saluée vous a valu d’être lauréate du prix franco-allemand des droits de l’homme en 2018. Quels sentiments nourrit-on après un tel sacre ? Celui d’avoir achevé le combat, d’avoir vaincu ?
TA : Une reconnaissance du combat mené. J’ai dédié ce prix à toutes les survivantes de violences basées sur le genre en particulier des mutilations génitales féminines. Le combat n’est pas achevé car j’espère une génération sans violences. Le prix franco-allemand des droits de l’Homme et de l’Etat de droit a été créé en 2016 par les ministres des affaires étrangères des deux pays à l’occurrence la France et l’Allemagne. C’est un prix qui est décerné chaque année à 15 personnalités du monde qui ont contribué de façon exceptionnelle à la protection et à la promotion des droits de l’Homme dans leur pays et au niveau international. Suis la première ivoirienne à recevoir ce prix qui m’a été remis le 20 décembre 2018 en présence des deux ambassadeurs et des autorités ivoiriennes.
BL : Membre actif de l’association des écrivains ivoiriens, quelle place estimez-vous que la femme occupe dans le milieu littéraire ivoirien ?
TA : Les femmes ont une place importante dans le paysage littéraire ivoirien. Dans chaque domaine littéraire (la poésie, le roman, la nouvelle, le conte), on enregistre des plumes féminines avec des œuvres à succès et primées pour certaines. Cependant on dénombre peu d’écrivaine en théâtre. La femme demeure un personnage important dans les différents récits. On la retrouve comme héroïne dans plusieurs genres littéraires. Par ailleurs, l’association des écrivains de Cote d’Ivoire (AECI) a eu deux écrivaines comme présidentes à sa tête et le bureau actuel enregistre une parité avec 14 écrivaines et 14 écrivains.
BL : Depuis 2016, votre plume semble en berne. Il se murmure cependant la sortie d’un projet roman intitulé À l’aube des lendemains incertains. Une bonne nouvelle pour les lecteurs. Parlez-nous de ce projet et des autres projets en cours ?
TA : Deux projets : Un recueil de nouvelles [A l’aube des lendemains incertains] (sur les thèmes évoquant l’immigration, la participation des femmes en politique, la stérilité, le feminicide et l’avortement) et une œuvre jeunesse – [Flirt avec le danger] (l’utilisation des réseaux sociaux).
Je reste toujours dans la même mouvance de lutte contre les violences faites aux femmes et aux enfants.
BL : Votre portrait chinois à présent :
-Un personnage historique Marie Séry Koré figure emblématique historique ivoirienne
-Un héros ou une héroïne Ma mère
-Un livre Amkoullel, l’enfant peuhl
–Un auteur Mariama Bâ
–Un plat Riz à la sauce arachide
–Un animal La biche
BL : Merci Mme Hami Traoré pour votre disponibilité. Votre mot de la fin.
TA : Merci à vous et à toute l’équipe pour ce temps d’échange. Merci à mes partenaires qui continuent d’apporter leur soutien à notre structure, aux amoureux de lettres qui ont réservé un très bon accueil à mes œuvres. Des livres disponibles en ligne et en libraire Le couteau brûlant – Frat Mat Editions 2012 COLLECTION TROPIQUES et Cachée derrière le mur- Edition Harmattan -2016.
A tous les jeunes, il faut croire en soi et en ses capacités. Ne jamais baisser les bras quelles que soit les épreuves car il y a toujours une étincelle au bout du tunnel.
Je vous remercie !