À Noël, tout se fête

À Noël, tout se fête

 

Pari gagné pour Gbèbada. Tout lui souriait en ce mois de décembre où les fêtes de fin d’année s’annonçaient dans toutes les rues de Somè dans la commune d’Abomey-Calavi. Somè fait partie des nouveaux quartiers logés dans la périphérie du centre de la commune. Il accueillait la vie des nouveaux nantis et des jeunes adeptes de l’exode rural. Une nouvelle génération de citadins s’y logeait et vivait d’artisanat, de commerce et de petits métiers. Chômeur endurci, Gbèbada n’avait jamais travaillé de sa vie mais vivait dans l’opulence. Sa richesse, il la devait à ses femmes qu’il eut d’ailleurs sans grand effort. Il avait décidé d’organiser les 15 ans de décès de sa mère et voulait d’une fête grandiose étalée sur toute une semaine. Bien sûr, il avait prévu cela en inscrivant ses deux épouses dans une tontine annuelle appelée « adôgbè ». Il savait que ses moitiés (ses 2 quarts puisqu’elles sont 2) se démèneraient durant les 12 mois de l’année pour offrir une fête spectaculaire à leur belle-mère défunte, à leur mari plus précisément.

Il y a 8 ans, Gbèbada débarquait à Somè quand il quitta son Savalou natal. Il vint d’abord vivre avec un cousin lointain qui était chef-menuisier de son état. Ce dernier avait loué dans la maison paternelle de ses deux actuelles épouses. C’est bien cela. Il était le mari de deux sœurs du même père et de la même mère. C’est d’abord la grande sœur Miwakonou qui s’était entiché de lui. Elle allait passer des nuits entières dans sa chambre quand le cousin était en voyage. Ce ne fut pas long pour Miwakonou, commerçante de son état de tomber enceinte de Gbèbada. Très rapidement, elle négocia une chambre auprès de son père pour y vivre avec son mari. Un an et demi après, Miwakonou était à nouveau enceinte mais cette fois-ci en même temps que Doudoudié, sa puînée. Doudoudié était l’image même de tous les vices. Elle était hargneuse, jalouse, gourmande et vindicative. Miwakonou aux portes des 35 ans voulait rapidement faire des maternités pour ne pas vivre les affres d’une ménopause précoce. Doudoudié prompte au bonheur disait à qui veut l’entendre « À quoi bon chercher loin, ce qu’on a chez soi? ». Apprentie-coiffeuse, elle avait arrêté sa formation car sa maîtresse l’avait renvoyée. Elle avait écumé tout le quartier de ses assiduités avec les hommes et plus personne n’en voulait comme épouse.

À l’annonce de la grossesse de Doudoudié, tout le monde fût étonné. On savait qu’elle avait la jupe légère mais on n’en avait jamais la preuve. Un matin, où Miwakonou devisait avec son mari par des blagues de tout genre, Doudoudié émit un profond raclement de gorge et vint se tenir devant Gbèbada puis, dit:

– Je vais à l’hôpital pour ma dernière visite gynécologique. Donne l’argent.

C’est ainsi que Miwakonou découvrit que le père de la grossesse de Doudoudié était son précieux mari. Les deux sœurs s’insultèrent plus que jamais. La dispute éclata et dura des heures. Miwakonou à bout de force jeta les affaires de son mari dehors. Elle le chassa de chez elle.  Doudoudié récupéra les affaires de l’homme et l’installa chez elle dans la même maison. La vie continuait son cours jusqu’à l’accouchement des deux sœurs. Quelques semaines après, les disputes reprirent de plus belle. C’était d’ailleurs leur hobby. Gbèbada nourri et blanchi par les deux sœurs ne se gênait pour rien. Quand l’atmosphère était invivable chez lui, il allait jouer à la belotte avec ses amis et ne revenait que le soir pour le dîner. Ceci durait depuis 8 ans. Miwakonou eut 5 enfants et Doudoudié, 4 du même homme.

Il y avait assez d’enfants dans cette famille pour fêter Noël et ce Noël promettait d’être particulier. Les deux sœurs ramasseront leur « adogbè » (tontine annuelle où l’on est remboursé en cannettes ou casiers de boissons, en tissus, en produits vivriers et électro-ménagers). Il ne restait que les bâches et les chaises pour que les festivités du 15è anniversaire de décès de la mère de Gbèbada qui coïncident avec Noël se déroulassent à merveille. Gbèbada était sur son petit nuage. On aurait dit un petit enfant ébahi devant l’avènement de Noël. Il pensait déjà aux différents tissus à coudre pour cette période. Il pensait à du lessi, deux vliscos et un 3e tchigan qui lui servira à faire du agbada (modèle traditionnel 3 pièces). Il pensait même à quel tissu ferait des ancos (uniformes) avec ses épouses…

24 Décembre. Matin sec et froid. C’était le réveillon de Noël. Le jour se levait timidement sur Kandévié. Pour la première fois, Miwakonou et Doudoudié s’entendaient à merveille. Elles avaient mijoté un plan d’attaque pour punir leur mari d’avoir enceinté une autre femme dehors. Pour ce faire, elles mandatèrent leur tante d’informer leur époux qu’il y avait une cérémonie urgente chez elle au village mais qu’elles reviendraient à temps pour la cérémonie de décès de leur belle-mère.

Les deux sœurs avaient, grâce à leurs revenus et aux victuailles obtenues pour la tontine organisé une magnifique réjouissance à Kandévié. Elles avaient réuni tous les enfants de la région. Rien n’altérait leurs joies. Chez Gbèbada, c’était la désolation. Il avait invité tout son village à Somè pour le agô qui s’avéra être un fiasco total. Il était devenu la risée de la région et plus personne ne croyait en sa parole. À Noël, tout se fête. Même les déceptions.

Fin!!!

Myrtille Akofa HAHO

 

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