ANGELA KPEIDJA : « J’AI OFFERT EN SACRIFICE MA VIE PRIVEE POUR

ANGELA KPEIDJA : « J’AI OFFERT EN SACRIFICE MA VIE PRIVEE POUR

« Les libertés de choix en rapport avec le mariage, le divorce, l’accouchement… sont un droit fondamental reconnu par de nombreux Etats. C’est juste intolérable que nos mâles bien aimés sous des couverts de conservateurs décident pour nous…« 

 

Angela Kpeidja

En prélude à la célébration de la Journée Internationale de la Femme, votre blog a reçu pour vous Angéla KPEIDJA (AK). Elle nous parle de ses combats et de ses rêves pour une société plus juste et plus humaine.

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BL : Pour le grand bonheur de nos internautes qui nous suivent de très près, nous vous accueillons en ce début d’année pour un échange, que nous espérons fructueux et riche, autour de vos actions, luttes et de votre livre… Biotechnologiste, écrivaine et journaliste
cheffe du service web à l’ORTB, chère Angela KPEIDJA bonjour et soyez la bienvenue ! Qu’est-ceque vous avez envie de nous dire de plus sur votre personne ? 

AK : Je suis Angela KPEIDJA, je ne suis pas que journaliste mais précisément spécialiste en communication pour la santé. J’ai une maitrise professionnelle en communication pour un changement de comportement et un master 2 en management des médias. Et puis, je suis une femme amoureuse, forte de ses 15 ans d’expérience dans le mariage. Orpheline de mère et de père, j’ai du vécu dans le traitement réservé aux filles en ce qui concerne l’héritage. J’ai connu la faim, le chômage et plusieurs autres violences sexuelles et sexistes…

BL : L’un des débats qui secouent l’univers en ce moment est bien celui du féminisme. Quel est votre féminisme à vous ?

AK : Je peux vous convaincre que je me bats pour un monde beaucoup plus égalitaire. Je ne me bats pas contre les hommes, mais plutôt pour un meilleur vivre-ensemble parce que nous subissons tous des violences. Que nous soyons femme ou homme, il y a ces normes que la société nous impose. Mais dans la balance, il semble que c’est une malédiction que d’être femme parce que notre vie entière est une fiction dont les rôles nous sont imposés dès notre enfance. Lutter pour l’élimination de ces inégalités reviendrait ainsi à équilibrer la balance.

BL : Washington. Vendredi 24 juin 2022. Ce lieu et cette date doivent vous rappeler la décision des Etats-Unis portant dénégation du droit de la femme à décider de garder une grossesse ou non, ce qui était, jadis, autorisé par l’Arrêt Roe V. Wade dans l’ensemble du pays mais ne parait pas très normal chez les partisans de la droite dite « conservatrice ». Vous y voyez un recul historique alors que tout avortement met en danger la vie de la femme?

AK : Qui vous dit que tout avortement met en danger la vie de la femme ? Que dire de l’accouchement alors ? Cet acte par lequel la mère donne la vie est beaucoup plus incertain que l’avortement surtout dans les pays africains. Et quand je parle de recul, ces gens-là ne peuvent pas accepter, concevoir et défendre le mariage pour tous au nom des droits de l’Homme et retirer à une frange de la population non moins importante le droit de choisir ou de décider pour elle-même. Les libertés de choix en rapport avec le mariage, le divorce, l’accouchement… sont un droit fondamental reconnu par de nombreux Etats. C’est juste intolérable que nos mâles bien aimés sous des couverts de conservateurs décident pour nous… Mais ça reste aussi des instruments de communication et de bataille entre les politiques.

BL :  Si les Etats-Unis qui sont à un niveau très élevé en matière de soins sanitaires prennent une telle décision à cause des conséquences négatives de l’acte sur la vie de la femme et l’atteinte à la vie humaine, que dirions-nous dans notre contexte où ce droit est accordé à la femme alors que notre système sanitaire est encore embryonnaire et précaire, surtout en ce qui concerne les matériels et produits de travail ?

AK : Savez-vous que ce sont quatre femmes qui meurent chaque jour au Bénin en voulant donner la vie ? Savez-vous pourquoi ? Parce qu’elles ont des grossesses rapprochées ou précoces responsables des hémorragies de délivrance. C’est la première cause de mortalité maternelle dans notre pays. Qui sont ceux qui nous mettent enceinte ? Nous sommes dans des sociétés où la femme n’a pas le droit de décider pour sa santé. Elle est chosifiée par son mari qui a droit de vie et de mort sur elle. Figurez-vous qu’elle ne peut pas choisir une méthode contraceptive sans l’accord de son mari et que parfois elle est sommée de l’enlever pour pouvoir être disponible sexuellement chaque fois et toutes les fois qu’il en a besoin. Et aussi curieux que cela puisse paraitre, ce sont les femmes mariées qui ont le plus recours à l’avortement parce que la contraception a échoué. En plus, nous femmes d’aujourd’hui n’inventons rien. L’avortement est une pratique aussi vielle que l’accouchement. Il a souvent été fait avec des potions, des racines qui mettent en danger la vie de la femme exactement comme l’accouchement autrefois réalisé par les matrones. Sécuriser les services d’avortement aujourd’hui, c’est exactement réduire les décès maternels. Pour les jeunes filles, c’est une inégalité d’encourager et de permettre au jeune homme de commencer à chasser quand ses caractères secondaires apparaissent et de lui demander à elle de se protéger de lui… L’éducation sexuelle reste taboue alors que nous vivons à une époque où le monde est devenu un gros village… Doit-on laisser mourir ces jeunes filles qui font l’expérience du sexe sans être préparées et prêtes parce qu’elles ont décidé de mettre un terme à leur grossesse ? Notre éducation conservatrice pêche et nous devons faire face aux conséquences macabres en faisant des choix plus judicieux et éclairés.

BL :  De nos jours, nous remarquons que beaucoup de femmes appelées influenceuses, ont fait des réseaux sociaux une plateforme où elles enseignent à leurs jeunes sœurs, sciemment ou non, à travers leurs prises de position et leurs témoignages personnels, qu’elles n’ont pas besoin d’un homme dans leur vie. Quel est, selon vous, l’avenir d’une telle société où une certaine aisance financière est synonyme de proclamation de l’inutilité de l’homme, du mâle ?

AK : Je suis heureuse que vous vous offusquiez de ce genre de chose. Mais comment est-ce que ma vie en tant que femme devrait-elle se résumer au bon vouloir d’un homme ? Un homme ne devrait pas me définir. Je SUIS et c’est parce que je SUIS que je finis par choisir de me marier ou de ne pas le faire. Et puis, ce n’est pas une question actuelle. Encore une fois, ce n’est pas une invention de notre époque. Ma mère me l’avait toujours dit en ces termes : « ton premier mari est ton travail ». C’est une question de cohabitation, de vivre-ensemble.
Nous avons besoin l’un de l’autre et dans ce partenariat, l’autre partie ne peut pas choisir délibérément de répondre de la vie et de la mort de l’autre. Donc je suis d’accord pour dire à mes filles, mes jeunes sœurs… que le mariage n’est pas synonyme d’accomplissement. Plus vous êtes autonome financièrement et indépendante dans vos prises de décisions, mieux ça vaut et plus votre conjoint vous respectera… Les hommes n’épousent pas les femmes qui ne leur parlent que de pizza, frite au poulet, chawarma, mèche brésilienne, crédit, iphone…

BL : Que comptez-vous faire, de quelle manière pensez-vous le faire, pour que le féminisme, sous nos cieux et tous les combats pour l’émancipation des femmes puissent se faire pour devenir une lutte de la société et non un combat mené par les femmes pour la dignité des femmes contre les hommes ?

AK : Les féministes ne se sont jamais battus contre les hommes. Il y a d’ailleurs plusieurs hommes et artistes hommes qui sont de potentiels féministes. Puisque vous qui me posez ces questions, êtes éduqué dans un environnement sexiste, je comprends que vous soyez braqué avec une peur à peine voilée de perdre une parcelle des pouvoirs que la société vous a conférée au détriment du sexe féminin. Et que vous n’arrivez pas à aller au-delà des mots pour comprendre que lutter pour effacer ces inégalités, c’est promouvoir une meilleure cohabitation
entre hommes et femme. Cela dit, je ne fais pas seule le monde et je ne peux pas toute seule changer la société béninoise. Il s’agit de nous donner la main en tant qu’éducateurs pour espérer un monde beaucoup plus équitable pour les hommes et les femmes. Je peux être un précurseur de nouvelles habitudes mais je n’ai pas cette prétention.

BL : Nous rebondissons sur la question. N’avez-vous pas l’impression que le féminisme et l’approche genre sont parfois vécus et prônés comme une discrimination à l’endroit des mâles ? Et que pensez-vous des violences conjugales perpétrées sur les mâles ?

AK : Je ne suis pas bonne à tout faire. Qui d’autres qu’un homme pour en parler ? Je suis spécialiste en communication, et qui trop embrasse mal étreint. A chacun son combat. Tous les hommes ne sont pas mauvais et toutes les femmes ne sont pas des anges. 

BL : Nous venons maintenant à votre ouvrage « Bris de silence » paru en 2020 chez les Editions ABCD et appartenant à la grande catégorie générique du témoignage, puisque mentionnée en première de couverture. Mais nous, nous voyons un Essai-témoignage autobiographique. Entre sauvegarder ses événements et informez le grand public, qu’est-ce qui était votre objectif ?

AK : J’ai offert en sacrifice ma vie privée pour que ça cesse. Malheureusement, beaucoup ne sont pas mâtures pour comprendre parce qu’en réalité j’ai survécu à toutes ces agressions. Avant 2020, j’ai toujours été un modèle pour beaucoup quand ils suivaient mes chroniques sur Week-end Matin. Donc, en mettant des mots sur ces blessures, j’aspirais moi-même non seulement à une aventure thérapeutique mais je voulais aussi que les acteurs de ce combat y trouvent les leviers sur lesquels il faut actionner pour faire bouger les lignes. Malheureusement, non seulement on a mis ça sur les réseaux sociaux mais également on s’est moqué de mon vécu…

BL : En ce même temps, le prix de vente du livre (10.000 Francs CFA) constitue la barrière qui empêche le jeune public lecteur de s’en procurerEst-ce que le livre ne s’adresse pas à ce jeune public lecteur ou vous l’avez produit pour les plus grands ?

AK : Le livre a un coût. J’ai sorti un livre pas comme les autres dans un environnement très difficile, avec à la clé des pratiques occultes macabres. Je n’ai pas fait un manuscrit que j’ai photocopié pour distribuer. Et même là, ça aura un coût. En plus, les librairies ne mettent pas un ouvrage dans leur rayon sans un intérêt financier. Je pense qu’au Bénin, les gens n’ont pas le temps d’apprécier les actes hautement sociaux que certains citoyens posent. Pourquoi l’Etat ne mettrait-il pas ce livre au programme ? « La secrétaire particulière » a traité de la même problématique, et il est vendu depuis des années afin que Jean PLIYA en jouisse. Aujourd’hui, une victime prend son courage à deux mains pour faire un témoignage écrit de son vécu, mais elle doit céder ça à la jeunesse !!! Encore que je ne fais pas de bénéfice sur l’ouvrage…

BL : Et quel est l’avenir que vous projetez à ce livre ? Voudriez-vous le laisser à la littérature ou faire de lui un livre trans-arts (qui peut se trouver demain au théâtre et après-demain au cinéma) ?

AK : J’ai pour ambition d’aller sur les planches avec l’ouvrage. Le théâtre est déjà prêt mais je n’ai pas assez de ressources financières pour le moment pour prendre encore ce risque. Mon ouvrage, je vous le rappelle a été mis sur les réseaux sociaux et je n’ai déjà pas pu rentrer ne serait-ce que dans les coûts de sa production. Je prends mon temps pour la réalisation de ce projet. En attendant, vous pouvez espérer mon second ouvrage sur le viol pour les mois à venir.

BL : « S’il-vous plait Dr, les résultats de fin d’année viennent d’être affichés ce soir même, mais je ne suis pas admise. Faites quelque chose pour moi. Je suis prête à tout, à tout ce que vous me demandez. ». Extrait du message illustré par une nude qu’une jeune étudiante envoie à son prof par WhatsApp. Qu’en pensez-vous ?

AK : C’est suffisamment grave… Et c’est parce qu’il y a des corrompus qu’il existe des corrupteurs. C’est vraiment dommage pour le pays tout entier parce que le harcèlement sexuel, les notes sexuellement transmissibles ou encore la promotion canapé sont un frein pour notre développement économique … Ne voyez-vous pas que notre éducation a péché de nous faire croire qu’en tant que femme notre atout principal, c’est notre corps, notre sexe ? Toute la contradiction est là. Vous vous offusquez que certaines influenceuses disent aux filles que c’est d’abord leur indépendance. Et quand la fille propose son sexe à son professeur pour passer en classe supérieure, vous n’êtes pas non plus d’accord … Voilà … Mais il va falloir faire un choix.

BL : Instant divertissement. Le point noir que Dieu, Le Grand Artiste de tous les temps, a mis juste à côté de votre œil gauche attire toujours l’attention quand nous vous regardons (sourire). Veuillez nous dire quelque chose sur ça.

AK : J’ai été contrainte pour des raisons sanitaires de l’enlever. Mais je n’aurais pas pu vous dire quelque chose là-dessus puisque je ne sais d’où je le tiens.

BL : Un grand plaisir pour nous d’échanger avec vous sur. A présent, quel est votre mot de la fin ?

AK : Simplement merci. Œuvrons ensemble pour une société plus juste et plus humaine.

Interview réalisée par Roland Vivian Kovenon (Sessi), pour Biscottes Littéraires.

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