Charles Gueboguo: « savoir c’est savoir aussi se taire. »

Charles Gueboguo: « savoir c’est savoir aussi se taire. »

BL : Bonjour M. Charles Gueboguo. Nous sommes honorés de vous recevoir sur notre blog. Veuillez vous présenter.

CG : Bonjour, c’est moi qui suis honoré de me retrouver en la compagnie de vos admirables lecteurs. Je suis Charles Gueboguo. Un être humain…. Hahahahahaha ! Plus sérieusement, je ne saurais pas par où commencer, euh… fils, oncle, cousin, neveux, enseignant, comparatiste, chanteur amateur, amoureux de Barbara Hendricks, passionné d’écriture…

BL : De quand date votre amour pour la littérature et comment est-il né ?

CG : Houlà ! De quand est-ce que j’ai pris conscience de mon attraction pour la chose littéraire ? Je pense que c’était quand j’étais adolescent. Je lisais avec passion tout ce qui me tombait sous la main. Petit à petit, j’ai appris à affiner mes goûts littéraires au point d’acquérir la liberté de lire aujourd’hui seulement ce que je veux, c’est-à-dire ce qui me parle par delà les cinq sens.

BL : Sociologue, comparatiste, enseignant. A cela s’ajoute le titre tant ronflant qu’astreignant d’écrivain. Pourquoi avoir choisi d’écrire ? Comment s’est faite la prise de décision ?

CG : Ecrivain ? Je ne sais pas. Et vous l’avez dit, il est ronflant ce titre, donc ouste !

Passionné d’écriture, assurément. J’ai du mal avec les labels que je trouve limitatifs, parce que je reste convaincu qu’on est des êtres en perpétuel devenir. Je ne pense pas avoir décidé d’écrire au départ. Je ne faisais que répondre aux exigences académiques dans lesquelles il faut faire et rédiger des travaux de recherche. Ils ont pour vocation d’être sanctionnés par des diplômes ou des certificats dans le milieu universitaire. C’est ainsi que j’ai eu le bonheur d’avoir un encadreur académique qui m’a encouragé, très tôt, à écrire avec l’optique d’une publication. Il s’agit de la gente Dame Béat-Songué Paulette. Depuis lors, je ne me suis pas encore arrêté, bien que j’aime à dire que j’ai pris ma retraite… (rire). Je dois absolument tout à cette grande dame qui a toujours été un modèle d’existence dans mes rapports à moi-même et aux altérités.

 BL : En tant qu’écrivain, que visez-vous et quelles missions vous assignez-vous?

CG : Je ne vise rien. Je ne m’assigne aucune mission.  Pour s’assigner une mission, il faut déjà se penser comme ayant la légitimité pour ce faire, même quand on en a l’autorité. Parce que, faut-il la rappeler, gagner l’expertise de pouvoir dire un mot sur tout, vous amène à saisir que savoir, c’est aussi savoir se taire et laisser parler le silence. Je ne parle que si c’est nécessaire, parce que dire. C’est se dire, parfois. Se contredire, souvent.

Si l’on pose qu’il n’y a pas nécessairement négation à ce qu’énoncer se fasse, encore faut-il apporter à nos énonciations une dimension ayant pour portée un ajout dans l’accomplissement de nos êtres. Essence, grandir comme but à atteindre.

BL : Les cacophonies des voix d’Ici est votre premier-né, votre premier fait d’arme dans la littérature. Parlez-nous de la genèse de ce projet.

CG : La genèse de ce premier roman est aussi banale que la poussée de la première dent de la souris de mon voisin. J’ai été encouragé  par Steve-Léo Mekoudja d’abord, puis Baltazar Noah à me mettre à l’écriture de fiction, parce que disaient-ils, ils trouvaient dans mon style écrit une prose poétique. Après plusieurs esquives de ma part, et moult insistances de la leur, je me suis mis à cette écriture de fiction pour leur apporter la preuve que je ne savais pas écrire. Et lorsque d’autres amis ont lu le premier chapitre, ils s’y sont mis aussi. Bref, c’était mon monde contre moi, mes gens contre moi, et je me suis laisser vaincre (rire). Parfois, c’est si doux de mourir… Ça c’est pour le côté anecdotique qui est « avéré ».

BL : Pourquoi ce titre ? Qu’est-t-on censé y comprendre ?

CG : Comme son nom l’indique, Cacophonies c’est d’abord la saisie auditive (les sonorités sont les liants conducteurs dans tout le récit) d’une multiplicité de voix qui font bruit. Ici, c’est où je me trouve en tant que lecteur, je parlais de portée universelle tantôt. Cacophonies…imite donc la sonorité de la situation d’un pays, des Afriques, qui est plongé dans un chaos à ciel fermé. La langue qui y est utilisée suit la même trajectoire, c’est-à-dire qu’elle imite la sonorité de ce chaos observe depuis cinquante ans. Cacophonies…en fait, c’est un travail sur la langue qui imite les codes de la complexité de la vie socio-politique de ces “Ici” africains.

En fait, sachant que j’étais en train de me dire autour de la période postcoloniale en Afrique, qu’allais-je y dire qui ne soit pas redondant? Il s’agit d’un champ saturé, la thématique sur les postcolonies, mais comment vous le dire est devenu l’enjeu qui allait apporter la “differance”avec un “a”, et partant une originalité sans origine préétablie.

Pour ce qui est des thématiques soulevées dans Cacophonies…j’ai laissé courir mes doigts et je me suis rendu compte, au fur et à mesure de leur déploiement, qu’était arrivé le moment de dire (on y revient encore) ma part de souvenirs sur les histoires des Afriques de la période postindépendance à 2015.

Dans dire, entendez l’oralité. Puisqu’il était temps que je parle, après une longue hibernation dans les secrets du silence. Je ne cessais de me poser la question, pendant que j’écrivais, de savoir comment linguistiquement rendre compte de la complexité des crises dont j’avais souvenance, dans toutes leurs complexités, tout en faisant preuve de subtilité.

Autrement dit, comment l’oralité pouvait servir une écriture moderne sans perdre peu ou prou de son intégrité oratoire ? Tel fut alors mon défi, entre autres.

BL : Il s’agit d’un livre bruyant et tapageur de voix et de réalités dichotomiques que vous ficelez et raccordez pour restaurer une harmonie gâchée et perdue. Que pensez-vous de cette analyse?

CG : Je n’aurais pas mieux résumé !

BL : Qu’est-ce qui vous a inspiré « Les cacophonies des voix d’Ici? » ? Et pourquoi le recours au rêve, au mysticisme et au paranormal ?

CG : Ce qui a inspiré ce roman, c’est la résurgence des souvenirs ou de la mémoire une fois que l’on est parti de cet espace qui fut un jour un chez-soi. Mais puisque le chez-soi c’est le lieu que j’habite, il y a croisement à la fois des expériences migrantes avec les habitus qui l’ont précédés. Cacophonies des voix d’Ici c’est aussi ce voyage en apnée à l’intérieur de soi-même, tandis qu’on reste physiquement sur des terres nouvelles qui sont devenues nos provinces.

Pour le recours au rêve, je dirais que : tout comme l’art oratoire, la cosmogonie en Afrique puise dans ses espaces temporelles physiques et paranormaux pour dévoiler ses vérités. Le paranormal par exemple reste le domaine des possibles aux voies/voix multiples, et permet de rendre compte des formes de réalité qui n’auraient pas pu se dessiner autrement. Parler des Afriques, c’est également assumer l’onirique et le réel y sont vécus de manière non pas chronologique, mais superposés et dialoguent de façon continuelle. C’est là la voûte de son harmonie que les religions dites révélées n’ont eu de cesse de vouloir réduire à néant.

BL : « Ici », c’est le pays empêtré dans le chaos objet de votre récit. Ici, c’est peut-être le Cameroun, la Guinée, la Côte-d’Ivoire, le Gabon n’importe lequel de ces pays africains aux traits très ressemblants au fameux Ici. N’a-t-on pas affaire là qu’à une réplique satirique de la situation vécue par plusieurs pays africains ?

CG : Dans le roman, j’ai donc opté pour le son de la Kora, qui est désigné au Cameroun par « Mvet » dans le groupe Béti. C’est pourquoi l’instrument qui porte la voix contée par le griot des Cacophonies, c’est la « Kora-Mvet », subtile manière de mettre en dialogue l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique Centrale. Cela a eu pour conséquence heureuse de porter le pays éponyme d’Ici vers les universaux, vous l’avez dit : Cameroun, Guinée, Côte d’Ivoire, Gabon, Sénégal, Bénin.

Simple réplique satirique de la réalité vécue dans les Afriques ? L’argument serait court, parce qu’on passe à côté de la complexité sous-jacente. A travers Cacophonies…j’ai essayé d’ouvrir l’apparaître à la nécessité d’une recréation de la langue pour donner du sens et guider la puissance de cette épopée-Afrique qui couvre, disais-je, la période coloniale jusqu’en 2015. Une fois de plus, c’est la traduction de ma part de version, sur le ton d’une fiction orale, de l’histoire des cinquantenaires des « indépendances » en Afrique.

BL : Et il y a aussi Là-haut, probable caricature des pays occidentaux ou d’ailleurs. Pourquoi Ici, Là-haut et pas d’autres noms ?

CG : Dans les Afriques, le nom c’est la chose qui est habitée par les savoirs dans lesquels j’ai baignés. Et ces derniers se déploient dans les esquives de styles langagiers. Ainsi, on ne désigne pas nommément un tel, c’est un affront. Mais on use et abuse de subterfuges pour désigner, dire, et se dire. C’est ce modèle-là que suit la narration : tout est donc dans le non-dit des choses énoncées ; et partant, il s’agit des codes partagés par les communautés et qui peuvent être spécifiques. Or de mon amie Sénégalaise, en passant par mon collègue Camerounais ou encore Nigérian, tous se sont retrouvés dans cette Ici sans que je n’eus besoin de nommer leur pays, parce qu’au final, l’identité des nos Afriques ne résident pas en ces noms hérités de la colonisation pour la plupart, mais en leur us et habitus forgeurs. Ici réconcilie les clivages malheureux, orchestrés lors de la Conférence de Berlin, des groupes dans les Afriques. Et Là-Haut permet à notre tour d’effacer les identités de tous les héritiers de cette conférence-là. Ils ne deviennent pas plus Là-Haut qu’Ici-bas, puisque Là-Haut devient interchangeable Ici-bas, pour se transformer en Là-bas, c’est-à-dire nulle part : c’est le néant. Effet boomerang.

BL : Atang’na, c’est l’ivresse du pouvoir qui, cyniquement, laisse son peuple croupir dans le chaos. L’Afrique a-t-il encore aujourd’hui, selon vous, son lot de Atang’na?

Regardez autour de vous, et dites-moi si vous n’en croisez pas un seul.

BL : « Les cacophonies des voix d’Ici », c’est finalement un roman au fort accent politique puisque qu’on a affaire ici à un « Ici « chaotique et déliquescent. On y lit votre envie de pointer du doigt des réalités socio-politiques précises. Charles Gueboguo serait-il à la fin un pessimiste ou un réaliste qui ne croit pas sur le continent noir se lèverait un jour le soleil d’un lendemain meilleur ? puisque tout sonne in fine « vacuité » et « chaos »

CG : J’ai eu une formation comme sociologue politique. Ce roman est aussi le reflet de cette expérience-là. Un roman politique, en effet, et qui est saturé d’hyper réalisme. Si parfois le récit est souvent noir, n’en voulez pas au messager, je ne fais que rendre vocale ce qui se voit et s’entend.

Lendemain meilleur ? Bien sûr, puis qu’Atang’na se donne la mort. Et que le griot peut alors tendre le témoin à la jeunesse pour porter le nouveau souffle qu’il vient d’instiller en eux. C’est comme cela que la vacuité va s’effacer, et le chaos donnera la voie à un nouvel ordre qui lui soit propre, sans le mondial.

Bien plus, il s’agit d’une cacophonie en apparence, mais elle est savamment orchestrée. Comme parallèle certaines sociétés en Afrique paraissent parfois chaotiques, mais c’est un chaos bien organisé par la mainmise des pouvoirs internes et de l’héritage du joug colonial.

BL : Le roman s’ouvre sur l’allocution d’un griot, griot auquel vous prêtez d’ailleurs votre voix et vos mots pour conter l’histoire d’Ici, de Bitomo. Pourquoi le griot? On se doute qu’il ne s’agit pas là que d’un simple choix scriptural. Expliquez-nous.

CG : Pourquoi déduire que le griot, c’est la voix de l’écrivain et non pas tout simplement celle du narrateur hétérodiégétique? Nulle part dans le récit, il ne s’est agi d’une narration en « Je », même un « Je » imitant un « Il » à la manière de Camus dans son Etranger.

Il s’agit bien plutôt d’une allégorie. J’ai choisi la voix d’un griot. Il n’a pas de nom. C’est lui qui transmet oralement les savoirs des Afriques aux générations à venir, après le constat de l’échec des générations post-indépendances, et néocoloniales dans la gestion des choses politiques. Les cacophonies des voix (soit quatre générations qui se croisent sans vraiment se rencontrer) et des voies (parcours différenciés desdites générations) des Africains restent un jeu dont l’enjeu est ficelé autour de la langue pour faire passer ce message-là (les savoirs africains). Et puisqu’il s’agit d’une épopée, le message est nécessairement codé et il appartient au lecteur/auditeur de décoder. C’est ce qui permet in fine la restauration de l’harmonie perdue, quand on décrypte le symbolisme final du passage du témoin du griot à l’un des enfants qui constituent son auditoire, c’est-à-dire, vous.

BL : Quel regard portez-vous sur la sexualité et l’homosexualité dans ‘’l’Afrique d’aujourd’hui’’.

CG : Je n’y ai aucun regard, je n’y vis plus. Par conséquent, je ne pense pas avoir la légitimité de continuer d’en parler comme lorsque j’y vivais. L’autorité, oui. La légitimité, non. Et comme je disais au début, savoir c’est savoir aussi se taire.

BL : Quelles sont les lignes qui, dans ce sens, doivent bouger au regard de l’évolution du monde ?

CG : Les sexualités en Afrique seront ce que ses enfants auront décidé qu’elles seront. Et on en prendra note.

BL : Du SIDA au Corona Virus en passant par  Ebola, quelle lecture faites-vous de ces maladies dans la manière dont l’Afrique  réagit à toutes ces calamités qui s’abattent sur elles ?

CG : Je choisis de faire une lecture de comment la pandémie est gérée pour le moment où je vis et paie mes impôts. Et croyez-le ou non, on n’y est pas encore sorti de l’auberge.

BL : Face à ces calamités qui s’abattent que l’Afrique, soutiendriez-vous les arguments qui vont dans le sens la théorie du complot ou ceux qui pointent du doigt celle de l’apprenti sorcier ?

CG : Ni l’un, ni l’autre. Tout cela relève de la spéculation sans épaisseur. Laissons le temps à ce continent de continuer d’apprendre de ses manquements. Les autres qu’on pose pour modèles ont connu leur part de calamités et de gestions hasardeuses, c’est en forgeant qu’ils ont fini forgerons. Les Afriques aussi.

BL : L’écrivain et son éditeur. On vous a vu faire cas de toutes les démarches que vous avez dû entreprendre avant qu’une maison d’édition ne daigne vous verser vos droits. L’écrivain, dans ce cas, ne ferait-il pas mieux de se passer des maisons d’édition, et « se débrouiller » pour que son livre paraisse ?

CG : Euh… je n’en ai pas souvenance.

BL : Parlez-nous de vos projets littéraires.

Je commence dès cet été l’écriture de mon second roman. Le titre provisoire : Le clan des Lucifers

BL : Comment et où se procurer « Les cacophonies des voix d’Ici ? »

CG : Il est disponible sur Amazon, le site de la FNAC et sur le site de l’éditeur.

https://www.amazon.fr/Cacophonies-voix-dici-Charles-Gueboguo/dp/2378770421

BL : Votre portrait chinois à présent :

-Un personnage historique : Aimé Césaire

-Un héros ou une héroïne : Ma mère

-Un auteur : Sylvie Kandé

-Un plat : Poulet Yassa

-Un animal : Aucun

-Une phobie : La bêtise qui fait foule

-Un hobby : Chanter

BL : Merci Charles Gueboguo pour votre disponibilité. Votre mot de la fin.

CG : C’est moi qui vous remercie pour cette opportunité, et vivement que nous devenions tous des lecteurs engagés.

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