« Climbié » Bernard Binlin DADIÉ

« Climbié » Bernard Binlin DADIÉ

            Les beaux moments sont puérils. Les reliques de l’enfance sont parfois les stigmates merveilleux qui restent en l’Homme. Enfant, l’Homme est innocent, ignorant des vicissitudes auxquelles il est confronté dans les vastitudes de la vie. Tout lui sourit et tout à ses yeux fleurit le bonheur, la joie et plus le sourire. Quand l’enfant prend de l’âge, il commence par cerner petit à petit la vie et développe des facultés de discernement.  Et comme un poète,  l’enfant observe sa société,  mène des réflexions, fait des analyses et si possible écrit son histoire à partir des faits sociaux de son époque. Bernard Dadié a suivi également ce sentier pour écrire Climbié, le premier roman ivoirien.

            Au début du roman,  on découvre le héros Climbié au bivouac chez son oncle N’dabian. Climbié aidant son oncle dans ce campement à faire diverses tâches, profita pour apprendre le métier de ce dernier. Dans l’enfance, Climbié fut un garçon turbulent et très musard, aimant courir après les papillons, les oiseaux, les margouillats, les libellules… Dépassée par les comportements de l’éponyme, Bèniè, la femme de N’dabian recommanda à son mari de l’inscrire à l’école. C’est ainsi qu’une nuit, Climbié quitta son village natal avec toute sa famille pour Grand-Bassam où il commença ses études primaires. Et le temps lui fit oublier la vie au champ et à la campagne. Désormais ses uniques soucis sont : obtention d’une bonne note et place à l’école.  De jour et nuit, il mit de l’ardeur dans son travail.  Ce qui lui valu après la mort de son oncle N’dabian, l’accès à l’école régionale avant d’aller à Bingerville pour préparer le concours d’entrée à l’Ecole Normale William Ponty de Dakar. Quand il réussit le concours, il continua ses études à Dakar où, il sortit commis d’administration à la fin de ses études. Après douze ans de travail à l’étranger, il décida de rentrer au pays-Grand-Bassam- . Climbié, accusé de semeur de désordre fut arrêté et jeté en prison avant d’être libéré plus tard.

            Climbié est un roman écrit en deux parties qui se complètent. De par ces parties, construites dans un enchainement totalement séquentiel, d’épisodes de vie, DADIÉ nous plonge dans les méandres de son enfance, de son parcours scolaire et ceux de l’époque coloniale. Témoin de plusieurs faits sociaux de son époque, DADIÉ nous laisse ses avis sur chacun de ces faits à travers Climbié tout en proposant une viable solution : « Comme l’arme donne de la force, et transforme un homme ! Ces hommes sont sans doute de braves gens qui, en toute circonstance ne feraient pas de mal à une mouche. Mais ils ont un revolver en main, des munitions en réserve, et ces sataniques inventions des hommes qui leur donnent une autre allure, une autre mentalité. L’homme pour eux n’est qu’une cible, pareille à la cible des champs de tir et il faut faire une mouche à chaque coup. On croit résoudre des problèmes en supprimant des bouches, des têtes. Tant qu’on n’aura pas supprimé les causes qui font penser les têtes, crier les bouches, on n’aura pas fini de supprimer les bouches et les têtes, qui a leur tour feront supprimer  d’autres bouches et d’autres têtes. Page 154». Ce passage montre combien de fois le pouvoir transforme l’Homme et le rend parfois invincible. Combien de fois, les colons ont colonisé les Africains jusqu’à chaque point de leurs cerveaux. L’auteur dénonce d’une part la colonisation en nous exposant ses conséquences sur les Africains et d’autre part nous montre le sentier à suivre pour l’idéalisme du panafricanisme.

De par Climbié, l’auteur expose les traitements qu’infligeaient les Européens aux Africains dans les bureaux; montre  aux pages 134-135 comment nous gaspillons les ressources financières dans le colportage des funérailles qui pour lui est un véritable commerce, une exploitation de la douleur, de la sympathie, de l’affection. Il montre aux pages 133-134 que les Africains  au demeurant appartiennent à deux cultures ; l’une héritée des ancêtres et la seconde léguée par les colonisateurs blancs : «  Et si j’affirmais à mon tour que nous devons lire beaucoup, peut-être plus d’aucun peuple au monde, parce que nous sommes précisément à la croisée de deux civilisations ?(…). Nous, écartelés entre l’Européen qui a ses traditions et les vieux appuyés sur la coutume qui fait leur force, que devenons-nous ?

            Bernard aborde plusieurs thèmes surtout importants à la littérature africaine à travers Climbié. La solidarité raciale qui se perçoit dans le  mode de vie des Africains ; la vie au village ; le rôle de l’école et de l’instruction ; l’éducation traditionnelle, le visage du colon, l’héritage culturel, la lutte pour l’égalité, l’équité et la justice ; l’idéal et l’ambition de l’Africain : ses interrogations face à son existence…

            Lire Climbié, c’est voyager  et vivre dans le temps colonial et dans les souvenirs puérils. C’est revivre l’enfance et des moments de folies. C’est aller à l’école coloniale et être témoins des faits de cette époque. Le mérite de l’auteur est de nous avoir fait vivre et revivre l’époque coloniale. Néanmoins le livre manque de souffle par moment et endroit. Ce qui laisse le lecteur assoiffé dans l’imagination, en manque d’informations ou précisément à une intériorité, notamment psychique, très limitée.

Corneille ANOUMON

 

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