« Dans le ventre du Congo » : Pour une écriture cathartique des fantômes du passé colonial.

« Dans le ventre du Congo » : Pour une écriture cathartique des fantômes du passé colonial.

 En littérature, il existe de ces plumes dont l’horizon d’attente surpasse l’entendement du lecteur. Pas parce que ces plumes appartiennent à « la bonne et grande littérature », mais parce qu’elles sont tout simplement à la fois insolentes et audacieuses. Ces genres de plume n’ont aucune limite dans leur démarche d’écriture. Elles se permettent sans crier gare d’exhumerles horreurs du passé, de tisser sans pudeur les inhumanités de notre société, de visiter sans aucune autorisation l’intimité perverse des plus grands hommes de notre siècle, de défaire et de refaire à leur guise la grande histoire et surtout de questionner constamment sans réserve les rapports ambigus existants entre le passé et le présent. D’ailleurs, on ne trouve pas à tout bout de champ, à tout hasard ce genre de plume chez n’importe quel écrivain. Non ! Car elles sont très rares, ces plumes. Elles appartiennent à ces auteurs rebelles, indociles, indomptables, impudiques, intrigants et qui possèdent par-dessus tout un talent de raconteur hors pair. 

Et justement, l’écrivain congolais Blaise Ndala en a plus d’une de ce genre de plume. En effet l’auteur des œuvres à titre-choc comme J’irai danser sur la tombe de Senghor (2014) ou encore Sans capote ni Kalachnikov (2017) vient encore une fois d’illustrer sa brillante plume incisive à travers sa toute dernière parution romanesque intitulée Dans le ventre du Congo (2021). Le livre qui d’ailleurs lui a permis d’être lauréat du prix Ahmadou Kourouma 2021. Dans le ventre du Congo est un récit singulier et poignant qui se permet d’immerger le lecteur in medias res d’un spectacle sadique sans pareil : « le zoo humain » d’indigènes congolais. En réalité, dès 1958, s’ouvre à Bruxelles la fameuse et grande Exposition universelle. Son organisation est confiée au commissaire artistique Martens De Neuberg et à son adjoint Robert Dumont. Le palais royal belge qui souhaite mettre en place « un village congolais » pour vanter au monde entier tous les mérites de sa mission civilisatrice du fait colonial effectué au Congo. Pour ce faire, un groupe d’indigène sera déporté illico presto du Congo à Bruxelles pour un spectacle d’exhibition forcée.
Dans ce groupe, figure Tshala, princesse et fille de l’intraitable roi des Bakuda. Le parcours périlleux de cette dernière nous est livré depuis son Kassai natal, son passage à Léopoldville, jusqu’à Bruxelles où elle disparait mystérieusement sans laisser aucune trace. Le récit prend alors une tournure contemporaine quand en 2004, Nyota, nièce de la princesse Tshala, débarque en Belgique pour faire ses études. Nyota s’engage dans une enquête difficile pour retrouver les traces de sa tante. C’est alors que son chemin va croiser celui de Francis Dumont, fils de Robert Dumond, sous-commissaire de l’Expo 58 où l’on a aperçu pour la dernière fois la princesse Tshala. Dès lors, les évènements s’enchainent et l’on finit par découvrir le secret pesant de la grossesse de Tshala puis de sa mort tragique pendant l’Expo 58.


Dans le ventre du Congo est un puissant récit dont la narration est prise en charge par plusieurs personnages. Il faut donc une attention particulière et une extrême patience de la part du lecteur pour ne pas perdre le fil de l’histoire enchevêtré de nombreuses disgressions narratives. Courant d’une époque à une autre (1958-2004), ce roman s’inscrit dans une dimension à la fois historique et contemporaine qui interroge l’histoire et les relations plus ou moins ambigües qu’entretient le Congo avec la Belgique. Blaise Ndala, par son récit, soulève une question cruciale : celle de savoir si le passé peut-il vraiment passer ? La réponse à cette question permet à Ndala d’aborder une multitude de thèmes sur une mélodie de rumba générée tout au le long du récit par la somptueuse voix de l’artiste Kolosoy. Cette mélodie apparait ici comme un marqueur temporel traversant toutes les générations du récit (1958-2004). Dans le dénouement du récit, Ndala visite des thématiques pertinentes comme le racisme, l’amour, l’amitié, les abus coloniaux, l’acceptation de l’autre, le brassage culturel, la perversité des hommes politiques, mais surtout le pardon, symbole fort et nécessaire pour panser les plaies profondes issues de l’histoire commune qu’entretiennent le Congo et la Belgique. Malgré le sérieux du sujet dont il traite, Ndala fait montre d’un humour poétisé (les blagues à répétions de Jeff l’africain), d’une écriture donnant voix aux êtres d’outre-tombe (Lumumba, Mobutu, Tshala), d’un discours sensuel (les scènes de masturbation de Tshala et la perte de sa virginité avec René) : le tout dans un registre de langue particulier qui mêle harmonieusement le français et le lingala congolais. Dans le ventre du Congo est une expérience plaisante qui ne laissera sans doute aucun lecteur indifférent.

 MONBLE AMATSIA KADER
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