Introduction
Quand j’ai reçu sur Lirico l’annonce de la parution prochaine du livre » Errances dans nos sables mouvants », j’ai instinctivement pensé à Errance chenille de mon cœur de Daté, et je me suis demandé ce que ces auteurs nous réservent avec cette notion d’errance. En appréciant la première de couverture du livre de COLBERT TACHEGNON DOSSA, j’ai été frappé d’étonnement par ce qui est écrit en italiques: « Autofictions ». L’insécurité est là, déjà présente dès la première de couverture. Comment des errances dans nos sables mouvants, pourrions-nous atterrir dans un univers d’autofictions? Quel sens l’auteur donne-t-il à son « nos »? Est-ce un « nos » générique ou est-il relatif a contrario à l’auteur qui parle de lui-même à la première personne du pluriel en dérivant le « nos » d’un nous de majesté? Le temps de regarder la couleur sombre de cette première de couverture du livre où vient briller le titre peint en jaune or et le genre éclaté de son blanc frêle, s’offrent à mes yeux les enseignes des Editions Plurielles. Levant un peu plus haut les yeux, je vois griffée en caractères d’imprimerie l’identité de l’auteur. Presque le même décor (à l’exception du genre) est reproduit au dos du livre. A la quatrième de couverture, sur le fond sombre, se superpose un cadre bleu où se frétillent un extrait de l’avant propos, la photo de l’auteur et une brève présentation de ce dernier. Totalement en bas est posté le code ISBN du livre. La couleur sombre dominée par de petits carreaux taillés en losange m’intrigue. Et telle une mouche importune, revient la question de départ: » Comment des errances dans nos sables mouvants, pourrions-nous atterrir dans un univers d’autofictions? » Quels liens peut-il y avoir entre cet auteur et nous? Quel type d’accord entend-il signer avec nous dès les premières lettres de son œuvre? Je m’empresse alors d’ouvrir le livre. Je tombe sur l’avant-propos signé de l’auteur qui conclut la présentation qu’il fait lui-même de son livre en ces termes: « Quand à savoir si tout cela relève de ma vie ou non, inutile de s’attarder là-dessus. A vous de voir si vous vous retrouvez dans les tranches de vie qui vous sont livrées. Si elles vous ressemblent, elles me ressemblent. Si elles vous arrachent, chacune, un brin de sourire, j’aurai tenu mon pari. » La présentation de cette œuvre suivra un plan tripartite qui ira du résumé et de la structure à l’actualité du livre en passant par le style et les intertextualités qui y figurent.
1- Résumé et structure de l’œuvre
1-1- Résumé
« Errances dans nos sables mouvants » s’ouvre sur un titre renversant, à la limite absurde : « 3 × 4000=13 000. » Un message insolite met l’auteur-narrateur en branle : « Concours de recrutement d’enseignants contractuels de l’Etat. » Une course contre la montre est engagée. Apprêter les pièces à fournir. Acheter les quittances… Cette situation donne lieu à des intrigues de tous genres. Longues files d’attente devant les guichets. Impatiences et angoisses dans les rangs de ceux qui veulent postuler. Nouveautés au sujet de la table de multiplication renforcée par une addition originale. Alors qu’il a fait le tour de la ville de Cotonou et s’est proprement égaré, l’auteur-narrateur retrouve enfin le guichet où il doit acheter les quittances. Altercations entre lui et la dame qui les vend. On le conseille. Il revient et reconnaît son erreur : trois quittances font 13.000f et non 12.000f vu qu’une quittance coûte 4.000f. Les 1.000f en ballottage servent de motivation à la dame. Pour avoir enfin compris cette nouvelle manière de faire la multiplication, la dame le sert comme un roi. Arrivé à Porto-Novo pour le dépôt des dossiers, il doit faire face à des surenchères et des supercheries inimaginables où les agents commis à la réception des dossiers créent des pièces supplémentaires fictives qu’ils sont les seuls à octroyer moyennant des sommes faramineuses. Un coup de fil fictif décante la situation. Panique à bord. C’est aussi ça, être dynamique.
Dans le récit intitulé « Une question de dynamisme« , l’auteur, vacataire de son état, apprend à ses dépens que ceux qui prospèrent dans son pays, ce ne sont pas toujours les plus probes. En effet, la possibilité de se voir octroyées des heures de cours de vacances est subordonnée à la présence obligatoire à la rencontre préparatoire. Le vacataire honore de sa présence active et effective cette rencontre. Son ami Babatoundé y a brillé par son absence. Le jour où il doit recevoir l’emploi du temps, il réalise qu’il n’est pas retenu. Par contre, Babatoundé l’est. Pire, son camarade Aladji, vacataire lui aussi, avec qui il a participé à la réunion, s’est vu retiré ses heures. Les deux pauvres vacataires doivent comprendre qu’il faut être dynamique dans cette république et faire comme Yolange: se faire parrainer par les puissants. Solidarité oblige!
Avec « Soyez solidaires« , nous assistons aux tribulations de l’auteur qui se voit refusé son droit. En effet l’établissement doit lui verser 11.000f comme prime de Professeur Principal. Il se réfère à qui de droit. On l’envoie chez le censeur. Le pauvre vacataire, avant de s’y rendre, contracte une dette de 7.000f de vivres. Il est sûr de rentrer à la maison avec un peu d’argent, ainsi épongera-t-il sa dette. Le censeur revoie les notions d’addition à la baisse et celle de la soustraction à la hausse. Le pauvre vacataire rentre bredouille. Que dire à sa créancière qui l’attend pour aller au marché? Qu’il rende grâce pour avoir au moins retrouvé sa carte d’identité. Les frais de solidarité, c’est plus important que la vie du vacataire sans ressource, livré pendant les vacances à la vindicte du dénuement et de la mendicité.
La justice requiert qu’à chacun soit rendu ce qui lui est dû, « A Allah ce qui est Allah« . C’est l’heure de la paye. Seysath débarque. Les aiguilles tournent. Les agents de la comptabilité semblent ne pas se soucier ni du temps qui passe, ni de la situation des pauvres vacataires. Le premier appel du Muezzin retentit. Seysath remet à plus tard son devoir de se lever pour aller adorer Allah à la mosquée. Un autre appel. Même attitude du côté de Seysath. L’heure de la prière passe. Les agents de la comptabilité avec fière arrogance ferment les bureaux. Seysath n’a pu toucher son dû ni rendre à Allah l’hommage qui lui est dû. Pire, il voit monter à bord d’un véhicule luxueux, imposant, parmi les agents de la comptabilité, une se des anciennes élèves. Il est momifié de honte et projette son regard « Le long de la route des faux-fuyants« . A la vérité, les agents de la comptabilité ne sont pas très différents du colocataire qui après avoir donné plusieurs faux rendez-vous, demande une énième fois à son créancier de l’attendre à la maison. Ce dernier y est quand un cou de fil met sa femme dans tous ses états. Celui avec qui il a rendez-vous vient de faire un accident mortel. Adieu son argent? Pauvre vacataire…
« Si jamais ça s’abîme! », est le titre du sixième récit où il est question d’un jeune homme qui a réussi à échapper aux braqueurs qui le pourchassaient pour lui prendre sa moto, sa Wave 110, en lui criant de prendre garde d’abîmer le joyau: « Si jamais ça s’abîme!« . Le jeune homme rentre à la maison en trombe et répète la phrase des braqueurs : « Si jamais ça s’abîme!« . Récit fou, plein de péripéties palpitantes… La malice et le vol qui ont cours dans ce récit, se retrouvent aussi dans « Le gâteau à bonus » où un enfant vend des gâteaux avariés à l’auteur et lui en offre un comme bonus. Ce dernier se rend compte de la roublardise du petit qu’il retrouve quelques instants plus tard. Le temps de lui poser des questions, il voit une foule les entourer. Le petit se met à mentir et se sauve. La police débarque. Le mensonge et l’usage de faux ne sont plus l’apanage exclusif des grandes personnes. En effet la société est prête à innocenter le fautif et condamner le juste à qui on inflige la sentence implacable: « Erreur humaine, châtiment animal« . A la vérité, les conducteurs de taxi moto ne sont pas toujours tendres envers les gens. L’auteur en fait les frais. Il fait une mauvaise manœuvre pour acheter de l’essence où il est d’ailleurs escroqué. Un zém dont la moto portait : « Pas d’erreur. Qui si frotte si pique » lui déverse un panier d’injures chaudes et puantes sur la tête. Quelques instants plus tard, à l’allumage du feu vert, la moto de Monsieur « Pas d’erreur » tombe en panne. L’auteur ne l’a pas raté, tout comme la demoiselle du récit « Un Senghor en puissance » a pu bien se moquer de son professeur en pleins ébats autour de la fameuse phrase : « Elles sont libres« .
Le dernier récit proche de la science fiction nous renvoie dans l’Afrique des mystères où « La nuit, c’est la nuit« . Un vieux passe et repasse devant deux jeunes assis sous un lampadaire. Intrigué par son allure, l’un d’eux le prend en photo. Mais le vieux n’était présent sur aucune des images. Attention, la nuit, c’est la nuit.
1-2- La structure du livre
« Errances dans nos sables mouvants » couvre 139 pages. Il est subdivisé en deux parties de cinq récits chacune. La première partie s’intitule « Les funambules de la famille » et comprend les récits suivants:
– « 3 4000=13 000. » Pp 17-42
– « Une question de dynamisme » Pp 43-52
– « Soyez solidaires » Pp 53-64
– « A Allah ce qui est Allah » Pp65-80
– « Le long de la route des faux-fuyants » Pp81-93
La deuxième partie, « Les relents de nos sueurs d’aisselles » est constituée de :
– « Si ça s’abîme! » Pp 97-101
– « Le gâteau à bonus » Pp103-112
– « Erreur humaine, châtiment animal » Pp113-118
– « Un Senghor en puissance » Pp 119-132
– « La nuit, c’est la nuit » Pp 133-139
2- Etude du style et intertextualités
2-1- Etude du style
De prime abord, le lecteur remarque que le récit est à la première personne du singulier. Le narrateur se confond à l’auteur. Assez de traits communs entre eux deux: tous deux sont jeunes, enseignants vacataires, béninois. Bien plus, dans le septième récit « Le gâteau à bonus« , un autre trait apparaît : tous deux sont journalistes. Le récit est tissé de sorte à rendre floue et presque inexistante la frontière entre la réalité et la fiction, au point que nous pourrons oser risquer que nous sommes ici en face d’un coffret de récits diégétiques. Mais en faisant attention à l’Avant propos, nous comprenons que l’auteur embarque le lecteur dans les faits divers vrais et authentiques de la vie sociale au Bénin. Si Stendhal écrit que « le roman est un miroir promené le long d’un chemin« , « Errances dans nos sables mouvants » se veut une mise en abîme du vécu des vacataires chez nous. En s’établissant comme avocat défenseur de la cause de ces derniers, l’auteur a eu recours à l’ironie.
Dès l’entame du livre, le lecteur bute sur un titre rocambolesque qui porte en creux une aporie, une équation-inéquation résolue par une formule tout aussi originale qu’énigmatique: « 3 ×4000=13 000« . Et l’auteur-narrateur de conclure avec une pointe de dérision en se culpabilisant presque : « Excusez-moi, madame, c’était une erreur de calcul de ma part. Les trois font 13.000francs. Veuillez m’aider. Dès cet instant, quel empressement pour me servir. (…) Quelle métamorphose! Pour 1 000FCFA)! » (p. 33). L’ironie dans le livre, comme on peut le soupçonner, sert d’arme à l’auteur pour dézinguer et mettre à nu les tares de notre société. Qu’il cite volontiers des extraits de Riss Cool ou de Sagbohan Danialou ou de Somadjè Gbessoh, l’auteur orchestre un concert de rigolades à la fois aiguës et graves, avec à la clef des narrations épiques et épicées où il met par exemple en exergue le dilemme et les déchirements intérieurs vécus par Seysath dans l’épique autofiction baptisée « A Allah ce qui est Allah » : « Mais … et Seysath dans tout ça? Ah! Le voilà cloué sur le banc là-bas. La tête entre les mains. Point de prière, point d’argent. La prière sacrifiée sacrifia l’argent sur l’autel duquel on le sacrifia » (p 76).
Dans l’avant-propos de 1842 à La Comédie humaine, Balzac écrit « En dressant l’inventaire des vices et des vertus, en rassemblant les principaux faits des passions, en peignant les caractères, […] peut-être pouvais-je arriver à écrire l’histoire oubliée par tant d’historiens, celle des mœurs ». Le livre de COLBERT TATCHEGNON DOSSA, sans être un roman à proprement parler, s’inscrit dans cette dynamique où l’écrivain sert d’yeux pour révéler aux hommes ce qu’ils côtoient tous les jours sans y être sensibles ou attentifs. Fin observateur, il a pu dénicher un fait social chez nous : les espoirs et les convictions placardés sur les plaques d’immatriculation des motos par les zémidjans : « Pas d’erreur. Qui si frotte si pique« . Adieu la syntaxe, la morphologie, la grammaire et l’orthographe. Ecrire au son, c’est aussi une marque d’authenticité.
D’autres traits de cette ironie figurent dans les descriptions et les analyses que l’auteur fait des faits sociaux qui l’intriguent et qu’il essaie de soumettre à l’appréciation des lecteurs en faisant allusion à des citations et des parodies qui fondent l’intertextualité dans son livre.
2-2- Etude de l’intertextualité
L’intertextualité pour être définie comme « l’ensemble des textes mis en relation (par le biais par exemple de la citation, de l’allusion, du plagiat, de la référence et du lien hypertexte) dans un texte donné. » (Sources wikipedia). En lisant « Errances dans nos sables mouvants » l’on est frappé par quelques allusions à certaines citations que l’auteur s’approprie et adopte comme ligne de crête de son récit. La première allusion qui retient l’attention est le titre de la quatrième nouvelle: « A Allah ce qui est Allah« , en référence à ce passage biblique : « Rendez à dieu ce qui est à Dieu, à César ce qui es à César« . (Lc 20, 25) Ce passage, il le parodie si bien qu’il a pu trouver une formule cocasse : « A Allah ce qui est à Allah. Mais pas à Seysath, ce qui est à Seysath » (Pp 76-77). Remarquons la proximité introduite par l’auteur entre les sonorités César et Seysath. A cette intertextualité biblique, se joint cette autre « A chacun de mes jours sourit sa peine » (P 54) en référence à ce passage de l’Evangile selon Saint Mathieu : » A chaque jour suffit sa peine. »(Mt 6,34).
L’auteur a aussi fait allusion à Francis Cabrel et à des musiciens béninois tels que Riss Cool.
« Nous n’avons pas de problème,
Le Béninois n’a pas de problèmes.
Nous aimons les réjouissances ;
Nous aimons la fiesta ;
Nous aimons vivre en paix.
Mais là où nous sommes mauvais,
Là où nous, Béninois, nous sommes mauvais :
Nous aimons les combines,
Nous aimons les jeux de coulisse.
C’est vrai que tout ne saurait être à découvert,
C’est d’ailleurs pourquoi il y a les couvents,
C’est pourquoi il y a la notion de secret.
Mais le secret est différent de la corruption
Que nous pratiquons. Kanflan,
Même si tu vends des excréments
Les gens vont réclamer leur part ;
Même si tu vends des fagots de bois,
Le Béninois va réclamer sa part.
Etre zémidjan, C’est un pis-aller ;
Etre fossoyeur ou bucheron, C’est un pis-aller.
Mais aujourd’hui dans ce pays,
Pour vendre des fagots de bois,
Il faut passer par des combines.
Il faut avoir vraiment des connaissances
Pour être zémidjan.
Tout est politisé,
Et plus personne n’a d’égard pour les lois.
Seuls les enfants des dirigeants
S’en tirent à bon compte.
C’est le système béninois
Et nous y sommes rodés déjà. » (Pp 32-33)
Sagbohan Danialou: « Celui qui siffle du champagne dans son immeuble ne veut pas permettre à son prochain de boire son tchakpalo dans son cagibi ; celui qui consomme de la viande ne veut pas laisser son prochain manger tranquillement son anchois« (p 52)
Somadjè Gbessoh « Lorsque tu es fortuné, (…) et qu’il n’y a aucune femme sous ton toit, tu es mal noté… Donc un point d’honneur à la femme. Et ma femme, à moi, poursuit-il, doit savoir modeler cinq types de cris d’amour car ces cris de la femme sont source de plaisir et bercent notre sommeil : alors, toi, ma femme, d’abord, au lit, tu dois allumer la lanterne car je dois pouvoir contempler la beauté de ton corps et toi de même ; ensuite dès l’entame des activités, tu dois glisser ta main vers mon entrejambe et entraîner mes attributs à la place qui leur est réservée chez toi ; cette étape doit s’accompagner d’un maximum de baisers ; la quatrième étape doit être celle qui consiste à souffler comme si tu appréciais la saveur d’un piment rebelle ; enfin je veux me délecter de tes pleurs factices dont vous les femmes avez le secret ; tu dois pleurer sans cesse, et moi j’essuierai tes larmes au moyen de ma langue. » (Pp 124-125)
Toutes ces allusions et citations intégrales ont une double finalité : d’une part, rendre l’œuvre fille du terroir authentiquement béninois, lui donner une teinte culturelle et sociale identifiable parmi tant d’autres, et d’autre part, l’insérer dans la valse universelle où la culture se vit au coeur de la mondialisation comme le trait d’union entre les diverses races et nations, et aussi comme la commune sève qui circulent dans les différents veines de l’unique humanité que tous les peuples ont en partage. Tout ceci rend l’œuvre plus actuelle que jamais.
3- Actualité du livre
L’auteur soulève trois problèmes majeurs dans ce livre: la question des vacataires, la qualité de l’éducation et « le social ».
3-1- La question des vacataires
C’est là une épine dans les pieds de l’éducation au Bénin. Ces jeunes recrutés comme main d’œuvre « gratuite » pour résoudre le problème de pénurie d’enseignants ne sont pas déclarés à la Caisse de Sécurité Sociale. Ils ne sont pas assurés. Ils sont payés au prorata du nombre d’heures de leçons données par mois. Pendant les vacances, ils ne perçoivent rien. Ils sont un peu comme les parents pauvres du corps enseignant. Et à en croire COLBERT TATCHEGNON DOSSA, ils sont exploités par l’Etat : « L’Etat nous utilise pendant sept ou huit mois et nous envoie crever pendant les vacances » (P53). Il s’agit là d’une situation d’injustice qui pourrait déteindre sur la qualité de l’enseignement donné. En élevant la voix dans son livre contre le sort réservé à ses frères de craie, l’auteur fait toucher du doigt le vécu de ces enseignants laissés pour compte, lésés, bafoués. Le constat suivant confirme les affirmations de l’auteur:
« Non-paiement des loyers, difficile gestion des besoins quotidiens, manque d’engouement aux activités pédagogiques et consorts. A chaque fin du mois, l’enseignant honoraire (Lire vacataire) doit attendre les dates 20 ou 25 pour espérer entrer en possession de son modique salaire. Voilà ce qui caractérise la vie de l’enseignant honoraire béninois communément appelé vacataire. Et pour cause, les salaires du mois de décembre restent encore impayés dans plusieurs établissements publics. Les motifs énoncés par certains responsables d’établissement sont divers et moins convaincants. Au Ceg le Méridien à Abomey-Calavi, la perception a donné comme motif le manque de liquidité. Des propos recueillis auprès d’un vacataire qui a préféré rester sous anonymat, les responsables de la maison ont affirmé que les sous devant servir à payer les honoraires ont été utilisés pour payer les agents permanents de l’Etat lors de l’opération de contrôle effectué sur ces derniers par le paiement main à main des salaires en décembre 2016.« (http://news.acotonou.com/h/96231.html).
Plus près de nous, alors la rentrée a commencé officiellement le 18 septembre, les vacataires, eux, ne sont autorisés à prendre leur emploi du temps qu’après le 30 Septembre pour ne commencer les cours qu’à partir du 02 Octobre. Rien à espérer donc du mois de Septembre après une longue période de vacances sans ressources…
Par ailleurs, des concours soient organisés pour les reverser dans la fonction publique, COLBERT TATCHEGNON DOSSA donne de voir que bien de candidats sont déjà admis avant même d’avoir composé, pire, il y en a qui ne composent même pas et qui pourtant réussissent et décrochent des postes juteux. La vie des vacataires devient de plus en plus un sujet préoccupant. Et s’il est vrai que « ventre affamé n’a point d’oreille » et que « le travailleur mérite son salaire« , il n’en demeure pas moins évident que pour une éducation équilibrée et sérieuse, il faut prendre soin des acteurs qui s’y investissent et s’échinent à former les citoyens dont la nation a besoin.
3-2- La qualité de l’éducation
L’éducation va mal, peut-on oser conclure après avoir lu ce livre. Certes, tout n’est pas mauvais, mais les conditions de travail tant des apprenants que des enseignants sont des plus déplorables. Quel résultat peut-on attendre des apprenants quand les effectifs dans les classes avoisinent la centaine? L’auteur décrit : « Salle bondée. Et quelle salle? Un périmètre entouré d’un mur d’un mètre de hauteur à peine. Tables-bancs alignées jusqu’au tableau. Si bien que ceux qui sont devant peuvent écrire au tableau sans se lever. » ( p86); Il poursuit : « Salle P. Paillotte ouverte à tout vent. (….) Ils doivent s’accommoder des rayons solaires qui leur disputent la moitié de la salle. Ils s’empressent alors de remplir tout ce qu’il y a d’espace à l’ombre. Les moins habiles, laissés sur le carreau, au soleil malgré tout, n’ont d’autre choix que d’enlever leur chemise kaki et de s’en servir pour se couvrir la tâte. Ceux qui sont sans sous-vêtement se sont alors retrouvés nus. (…) « (p 87). A cette situation critique, s’ajoute le manque de professeur qui puisse surveiller les élèves pendant les devoir.
L’auteur évoque aussi la baisse drastique du niveau des apprenants. Par ailleurs, il soulève l’irresponsabilité de certains parents qui ne suivent pas leurs enfants à la maison. Voici une séquence du livre :
» – Arrange-toi pour finir la cuisine avant l’heure de El Capo, hein!
– Oui, maman.
Et l’auteur de conclure:
« Ah oui! L’heure de El Capo. Qu’elle s’apprête pour être disponible avant la diffusion du feuilleton. C’est ça. On ne lui a pas demandé de se rendre disponible pour faire ses révisions. C’est ça, le semblant d’éducation qu’on donne à l’enfant » (P 92)
Mariama BA a écrit : « Déformer une âme est aussi sacrilège qu’un assassinat » (Une si longue lettre). Et Danton de renchérir : “Après le pain, l’éducation est le premier besoin d’un peuple”: Et pourtant la réalité décrite dans le livre que nous étudions ici révèle une éducation presqu’en panne. Le droit à l’éducation fait partie des droits de l’enfant. Et la fille autant que le garçon y a droit. L’on ne comprend pas alors comment ni pourquoi certains professeurs débauchent des filles en grossissant leurs notes pour leur assurer le passage en classe supérieure. Le critère de passage est d’être performante en classe et non dans la chambre d’un professeur, encore moins dans son lit. Que le Directeur et son professeur soient en conflit à cause d’une fille que l’un ou l’autre voudrait garder pour soi, comme propriété privée, (P 121), cela donne lieu à des réflexions sérieuses sur l’avenir de l’éducation. Mais par-delà cette affluence des filles derrières les professeurs, se trouve la question de la pauvreté, « le social ».
3-3- Le social
Le livre reste dominé par des relents de pauvreté et de misère de toutes sortes : misères intellectuelles et morales, misères pécuniaires. Tout ceci est caractérisé par une atmosphère de corruption et de vénalité où se complaisent certains Agents Permanents de l’Etat. De la vendeuse de quittance à la Poste au vendeur d’essence frelatée, en passant par le vendeur du gâteau à bonus et le débiteur insolvable, l’auteur met en relief la situation sociale de son pays. Cette dernière est dominée par la course au lucre, tous les moyens étant bons pour se faire un peu d’argent. Le panier de ménagère est en souffrance tandis que le favoritisme hisse une frange de la population au sommet des biens mal acquis. A travers les personnages de Yolange et de Babatoundé, l’auteur met à nu la corruption, le népotisme et « le droit de cuissage » qui ont cours dans nos administrations. En outre, il focalise l’attention sur l’épineuse question des Zémidjans, une corporation qui regorge pourtant de diplômés. La question du social va de paire avec celle de l’emploi dans un Etat où les promesses électorales donnent souvent lieu à des discours fallacieux et sans contenance ni consistance. C’est d’ailleurs le premier dard que sort l’auteur dans la toute première phrase du livre : « Dans mon pays, il nous faut attendre les périodes électorales pour assister à la foire aux emplois. C’est là que nous voyons nos dirigeants qui s’occupent vraiment de nous. Et les emplois, on nous en met plein les yeux. Plein les oreilles. » (P 17). Il s’interroge sur le sort des « vingt mille emplois » agités par l’un de ces politiciens qui savent miroiter les espoirs et les rêves qu’ils ne réalisent jamais pour le bonheur des populations. Or pas d’emploi, pas d’argent. Pas d’argent, pas de respect du bien d’autrui, d’où le vol.
L’auteur fait de son livre à la fois un cri de détresse et un cri de ralliement au coeur des errances socio-politico-économiques où pataugent les citoyens. Ces derniers, laissés à eux-mêmes, se posent la question fatidique : « A quand la fin? Jusques-à-quand? » Toutefois, une lueur d’espoir transparaît en filigrane dans le jaune de la première de couverture qui se laisse deviner comme le signe évident qu’il se lèvera un jour le soleil de l’espérance et du bonheur qui mettra fin à la longue nuit d’errance, chenille qui danse sur les sables mouvants de nos rêves étranglés. Le noir de nos errances n’est pas une fatalité. Nos vies crevassées, représentées sur la couverture par les petits carrés, auront un avenir radieux.
Conclusion
Ce tour d’horizon nous a permis de nous plonger dans les « Errances dans nos sables mouvants« . Ce livre se révèle, in fine, comme une fresque sociale qui dépeint les maladies qui minent notre société. L’auteur emballe le lecteur dans ses histoires propres à lui, et chacun de nous se retrouve concerné par ce qui est écrit au point qu’à l’auteur-narrateur, tout lecteur peut s’identifier et clamer : « mais, … c’est de moi aussi qu’il parle. Mais, … c’est vrai ce qu’il dit, puisque je l’ai vécu moi aussi, mutatis mutandis. » Dans ce cas, ces autofictions s’invitent dans nos vies comme des pages de nos histoires que nous donnons la permission à COLBERT TATCHEGNON DOSSA d’écrire pour nous et avec nous. La survie de notre société dépend des semences d’avenir que nous mettons en terre aujourd’hui dans ces sables mouvants que nous pouvons arroser et féconder avec le vœu sérieux et sincère de rompre d’avec les activités des ténèbres pour faire briller en nous et pour le monde la lumière du bon sens et du patriotisme qui vacille en nous. C’est possible. Il suffit d’y croire et de s’y mettre, en gardant à l’esprit que la nuit a beau être la nuit, il faudra rendre à Allah ce qui est à Allah. Tout est question de dynamisme.
Destin Mahulolo
C’est un livre à lire absolument.
Merci pour la lecture partagée.