Gogotinkpon et ses 401 coups (1/2), Adebayo Adjaho

Gogotinkpon et ses 401 coups (1/2), Adebayo Adjaho

Koun ! Ekolèya ! Ça y est encore. Ça redémarre, et ce vilain téléphone fabriqué certainement par un chinois soulard, ce téléphone qui se décroche de lui-même se met à vomir des sonorités que je n’y avais même enregistrées. Et puis ça sonne et crie cette sonnerie qui m’est bien familière. Celle que j’avais attribuée au contact de mon cher ami Gogotinkpon NOUBADA. Le type aux frasques délirantes. L’amoureux universel. Le mari des filles. Le gars qui porte le  premier brouillon de cœur que Sègbo créa. Eh bien, le téléphone sonna. Nous étions le 14 Février 201…

-Allo ! Mon frère, comment vas-tu ? Et la tablature matinale ?

– Laisse ça mon frère, j’ai un dossier grave à gérer. C’est une question de vie ou de mort.

– Ok, on se voit à l’endroit habituel. Dis-je.

Le connaissant pour la longueur qui caractérise  ses intrigues, je pris mes précautions en prenant soin d’annuler tous mes rendez-vous de ce matin au bureau. Avec ce chaud lapin on ne finissait jamais de deviser à tort et à travers.  Je pouvais confier la plupart de mes dossiers en instance à mon assistant Zankoumandor en qui j’ai une entière confiance. Un garçon assez pratique, doté d’une capacité d’adaptation remarquable.  J’ai souvenance que pendant l’une de mes escapades dans le septentrion il finit à lui seul les fondations d’une villa présidentielle de type R+5. Il est trop fort. En fait je l’ai bien initié à l’art de la truelle et de la pelle. Je n’avais donc rien à craindre quant aux travaux en cours actuellement à Porto-Novo sur l’éternel chantier de l’Agora Local. Dès que j’eus réglé ce détail, je courus illico au « Restau Angélique » où m’attendait Gogotinkpon. A mon apparition il fit des yeux de merlan frit. Je l’arrêtai  tout de suite.

– Et bien qu’est ce qui te prend de me faire des yeux doux ? Serais-tu passé de l’autre côté ? On n’est jamais assez prudent en ce 21ème siècle. Tout vous tombe dessus comme un sac de ciment. Seuls les initiés supportent cette charge. En tout cas moi, chef maçon de mon état, je ne crains pas la charge. Je me mis à deviser tout seul sur ses œillades suspectes sans plus chercher à savoir de quoi il voulait me parler. Tellement j’avais en aversion ces comportements immoraux.

– Ne me confonds pas avec ces attardés de même sexe qui s’accouplent, lui assénai-je pour finir mes jérémiades. Que puis-je pour toi ?

– Je suis dans la merde, mon frère, commença-t-il. Te rappelles- tu Judith ? Céline ?

– Bien sûr que oui. Comment puis-je oublier une histoire de Gogo aussi alléchante !

– Figure-toi que les deux m’ont planté pour la Saint Valentin. C’est la merde à tous les niveaux. Judith prétend que je ne fus pas sage au cours du mois de Janvier et pour ce faire elle préfère aller prendre les cendres que d’aller au bal avec moi. Tu t’imagines ? Elle me traite comme un nourrisson. Céline n’en parlons pas; elle s’est trouvé un Libanais mal pigmenté et Pfft !  Elle a pris la clef des champs. Nous étions déjà à la veille de la Saint Valentin et je me retrouvais sans compagne pour le bal des cinglés du 21ème siècle.

– Qu’as-tu donc fait, mon petit cinglé du 21ème siècle ?

– Improvisé! J’ai improvisé.

-Comment ? Avais-tu des provisions ?

– Un p’tit cinglé du 21ème siècle n’a pas besoin de faire des provisions pour pouvoir improviser en son temps. Je pris mon Infinix HOT5, fonçai sur Facebook. Je tapai dans le moniteur de recherches «  filles disponibles pour soirées payantes ». Facebook est génial, mon gars. Je me suis retrouvé dans un groupe de filles : «Les généreuses d’un soir ». Elles avaient des pseudonymes électriques. « Minou la chaude », « Gbadou gueule d’enfer », « Bisou-Bisou », « Anile popotin » etc…De quoi faire rêver un cinglé du siècle perdu. Mon choix s’est porté sur « Minou la chaude ». Elle me rappelait Minourath, la fille de notre Directeur au cours primaire. Elle était bien bâtie, poitrine en place, rondeurs assurées et tout le reste. Son front dégarni me faisait penser à Céline. Ses lèvres molles, son arrière train me renvoyaient les images de Judith. Je crois d’ailleurs que c’est pour ces ressemblances  que je l’ai choisie. Tu t’imagines, c’est le tout en un. Trop cool ! Donc j’avais retrouvé espoir et en plus il y avait moyen ce soir. Nous étions allés en boite de nuit pour le bal. Malgré la morosité économique tout s’est passée dans des conditions optimales. J’étais assis prêt de mon ami le 007 d’Akpakpa de blanc vêtu, coiffé d’un chapeau XXL à large bord. Moi je portais un body Rouge sur un Jeans Destroy sorti tout droit des piles de vêtements-friperies de Tassi-Yéyéla, petite-fille de mon ancien propriétaire Aladji- Yéyé. Mes pieds chaussaient la chaussure Quito de mon bavard de colocataire. En gros, j’étais « dans mon comportement comme » on le dit.  Ensuite j’intégrai un groupe de frimeurs baptisés les sapologues du siècle. Rien n’augurait de l’orage qui se préparait.

La surprise est le piment de la vie, dit-on. J’ai d’ailleurs toujours eu en aversion ce dicton au ton narquois et arrogant. Mais j’allais en avoir la confirmation au cours de cette soirée. Le DJ passait un vieux morceau Zouk love des années perdues dans le lointain. Tu sais, ces morceaux du genre « la belle histoire » de Pierrette Adams. Une sonorité du temps où les hommes portaient de larges chemises enfoncées dans des pantalons surdimensionnés « taille haute ».

Qui a dit que ce modèle n’était réservé qu’aux femmes ? En fait ce sont les femmes qui pour une fois sont allées puiser dans le style de nos ancêtres pour s’en faire un modèle. Justement ce soir-là, Minou la chaude exhibait ses courbes dans un jean taille haute. Et une chemise de soie offrant une vue plongeante sur sa poitrine. Par moment elle jetait des coups d’yeux furtifs au barman. Mais chose intrigante, elle n’enleva à aucun moment les grosses lunettes qui trônaient sur son nez. Au bout d’un moment, elle s’invita sur la piste de danse. Jusque-là je ne savais pas encore ce qui m’attendait.

–  Tu as fini par savoir, je suppose. Mais c’est que tu es incroyable mon frère. De toute ma carrière de maçon, je n’ai encore jamais rencontré un cas insolite tel que toi. Ton cas me désespère. Tu n’as pas fini de gérer les deux autres et tu te jettes encore dans cet engrenage. Je savais cependant que je jetais de l’eau sur le dos d’un canard nageant dans la marre.

Il pataugeait déjà sans se noyer depuis son enfance. Ah ! Cette enfance ! Si maladroite ! Si gauche que nous avions. Déjà à neuf ans Gogotinkpon furetait déjà dans les tenues kaki des filles. L’épisode avec Minourath la fille du directeur, t’en souviens-tu Gogotinkpon ? Tu as failli y passer inh ! Tellement le directeur t’a molesté que tu as perdu quelques dents dans la foulée. Oh purée ! Ah saignée ! C’étaient les plus blanches et les plus belles que tu avais. Tu agonisais au sol pendant que je  ramassais tes dents dans l’espoir de les confier à dame fée pendant ton sommeil. Mais cette brute de Kouèssi me les arracha menaçant de les jeter sur le toit de l’école en pâture aux magouillas de sorte qu’elles ne puissent plus jamais repousser. Gagalobor l’élancé pour sa part suggéra de les vendre au marché. Pourquoi  tant de méchanceté de leur part ? C’est cinq ans après que je compris. Kouèssi caressait le rêve d’épouser la fille du directeur. Finalement c’est peut être toutes ces épreuves subies dans l’enfance qui font ta carapace aujourd’hui, mais tu en fais trop. Laisse les filles tranquilles. Ce qui est marrant, c’est qu’elles t’appellent Gogotinkpon l’édenté mais tu t’y plais bien. Tu parles d’une connerie éternelle.

Le père de Minou t’a marqué à vie. J’ai ouïs dire que c’est à cause de toi qu’il a rebaptisé sa fille en ajoutant « Rath » à son prénom. De Minou elle est passée à Minourath. Parce que, dit-il, tous les salopards qui s’approchent de sa fille rateront leur coup. Lol ! C’est ça que j’appelle une frasque à la Gogotinkpon à effet de conversion immédiat. Mdr ! Pour un directeur d’école ce n’est pas terrible du tout. Il aurait pu trouver mieux. Maintenant la fille a un prénom comme nos amis en boubou. Je parlais tout seul, mon ami lui, me regardait avec dédain de ses petits yeux qu’il prit le soin de cacher sous un pull-over à capuchon qui couvrait toute sa tête et son visage. A peine je voyais ses dents. Au fait je ne les voyais même pas. Il n’en avait plus beaucoup d’ailleurs….

Adebayo Adjaho

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