Il était une fois un roi, Axwayoo, qui s’ennuyait en compagnie de ses courtisans. Il n’avait qu’une femme, Houbouboui, dont les gens disaient qu’elle était le mal incarné. Axwayoo se décida donc, suivant le conseil des vieux sages, à parcourir son royaume à la recherche d’une seconde épouse qui pourrait réjouir ses jours. Mais trouver une seconde épouse s’avéra plus difficile qu’il ne le pensait. En effet, quand il passait dans les villages de son royaume, le roi ne découvrait que des femmes qui ne lui convenaient pas : des femmes sans mari qui étaient trop vieilles ou trop jeunes, trop bavardes ou trop curieuses, trop coquettes ou trop sérieuses, trop grosses ou trop étiques. Malheureusement, parmi certaines femmes mariées, il y en avait qui avaient plu au roi: belles, intelligentes, bien en chair, joviales, mesurées, délicates. Mais, il ne voulait pas transgresser la loi qui stipulait que quiconque prend la femme de son voisin était passible de mort, y compris le roi. Et Axwayoo continua sa randonnée.
Un jour, après avoir visité tous les villages de son royaume, Axwayoo, encore plus las qu’au début de sa quête, décida de rentrer à la cour royale. Comme il atteignait un village perdu que nul ne connaissait dans son entourage, un vieillard, attiré par le nuage de poussière que soulevaient les montures du cortège, s’approcha et interrogea un des courtisans qui se tenait en avant-garde de la troupe :
– D’où venez-vous, avec des visages si défaits ?
– Nous cherchions une seconde épouse pour notre roi mais il n’y a dans ce royaume, aucune qui lui convienne; c’est pourquoi nous rentrons à la cour, tristes et las.
Le vieillard observa l’homme avec méfiance mais finit par lui dire : « Je peux faire quelque chose pour vous et votre roi, mais il faut me promettre de toujours protéger la femme que j’indiquerai, si le roi l’accepte comme seconde épouse. »
Le courtisan, trop heureux de voir enfin s’estomper ses peines, s’empressa d’accepter et convainquit le roi et ses compagnons, malgré leur lassitude, de se rendre dans l’une des cases qu’ils apercevaient à l’orée du village. Là-bas se tenait la célibataire que le vieillard avait indiquée. Prudent, le roi voulut observer, sans se faire découvrir, cette nouvelle prétendante. Il enfila les habits déchirés et sales qu’un pauvre paysan lui avait cédés. Il s’approcha de la case en prononçant les formules d’usage et réclamer l’aumône.
Une jeune femme sortit et lui fit signe de s’asseoir. Elle lui présenta un bol de bouillie. Le roi comprit bien vite qu’il avait devant lui, la seconde épouse qu’il lui fallait. Elle chantait en balayant le sol pendant qu’il avalait sa bouillie et elle ne prêta pas l’oreille aux propos malveillants que vociférait une de ses voisines.
Le roi fut séduit par tant de maîtrise de soi, de sérieux et de discrétion. Après avoir revêtu ses habits somptueux, il revint demander sa main. La jeune femme accepta d’un signe de tête, sachant alors que c’était le roi. Les jours qui suivirent furent consacrés aux cérémonies et autres rituels requis pour le mariage. Et justement le jour du mariage que le roi apprit le nom de sa seconde épouse : Tassignandè. A la fin des cérémonies, elle suivit son époux.
Mais, bien vite, dans sa nouvelle demeure, la jeune épousée surprit tout le monde : aucun de ceux qui visitaient la cour, princes ou paysans, ne la vit participer à leurs conversations ni donner son avis, comme si elle restait sourde aux propos qui se tenaient devant elle. Tous d’ailleurs, répétaient à qui voulait les entendre :
– Le roi a épousé une sourde. Est-il devenu fou à ce point ?
Mais le roi appréciait la discrétion de sa nouvelle épouse et avait pris plaisir à écouter sa belle voix quand elle chantait. Oui, Tassignandè aimait chanter. Le matin, à son réveil, elle chantait. En prenant son bain, elle chantait. Elle chantait toujours et partout, et jamais, elle ne se laissait voler sa joie, son sourire et sa bonne humeur. Paradoxalement, cette attitude joyeuse de Tassignandè ne faisait qu’enflammer la jalousie de la première épouse, Houbouboui, dont le mauvais caractère ne cessait de prendre des allures inquiétantes. Elle savait que le roi vouait un culte sacré pour ses poules, totem du royaume. Et pour provoquer la colère roi, un matin, elle se mit à tuer ses poules. Le roi, furieux, se mit à crier :
– Qui a tué mes poules ?
– C’est la sourde, répondit la première femme. Alors le roi déclara :
– On ne suit pas les paroles d’une sourde, il faut les jeter dans la brousse.
Vite, le roi appela ses dignitaires et devins et ils offrirent aux dieux le sacrifice de réparation requis par l’acte abject de Houbouboui. Mais tous ignorèrent le téméraire qui avait tué les poules.
Un autre jour, la jalouse tua le chien de garde du roi. Comme elle venait lui annoncer la mort de son fidèle gardien, le roi s’emporta encore :
– Qui a tué mon chien ?
– C’est encore ta femme, la sourde, répondit-elle.
– On ne suit pas les paroles d’une sourde. Jetez-les dans la brousse.
Une autre fois, la méchante femme tua le meilleur cheval du roi. Affligé par cette nouvelle épreuve, la mort de son animal préféré, celui-ci demanda :
– Qui a tué mon cheval ?
– C’est toujours la sourde.
Mais il se contenta encore de répéter :
– On ne suit pas les paroles d’une sourde, il faut les jeter dans la brousse.
Plus tard, la jalousie de la mauvaise femme lui fit perdre toute raison et c’est son propre fils qu’elle tua. Elle fit transporter son cadavre dans la case et se mit à pleurer.
– Pourquoi pleures-tu ? demanda le roi qui avait entendu ses plaintes.
– La sourde a tué mon enfant.
Le roi décida alors de punir cette femme qui tuait, les uns après les autres, animaux et personnes de son entourage. Il appela donc deux de ses fidèles courtisans : Lébénin et Hinnougblé !
– Roi, longue vie à toi ! Nous voici, répondirent les deux hommes.
– Cette femme, cette méchante sourde, celle que j’ai épousée et qui ne fait que naître le malheur dans ma cour, prenez-la pour la tuer, dans la forêt sacrée !
Mais Lébénin était ce courtisan qui avait promis de protéger la seconde épouse du roi. Il feignit cependant d’obéir aux ordres de son maître et prit son sabre. En compagnie de Hinnougblé, il entraîna donc la sourde à l’endroit où ils devaient verser son sang. Lébénin, convaincu de l’innocence de la femme qu’ils devaient faire mourir, prit le temps de dévoiler son ancienne promesse à son compagnon. Celui-ci savait déjà qu’elle était victime de la jalousie de la première épouse et accepta de la sauver.
– Connais-tu le chemin de ton village natal ? demandèrent les deux compagnons à leur victime.
– Oui, je connais la route pour y aller.
– Va t’y réfugier. Nous saurons comment faire croire au roi que nous t’avons fait disparaître.
S’entaillant légèrement le bras, ils enduisirent leur sabre de sang et rentrèrent pour rendre compte au roi de leur mission : ils avaient bien tué la sourde, le sabre ruisselant de sang en témoignait. Mais, la pauvre femme qui était revenue enceinte dans son village, accoucha d’un garçon.
Le temps passa, l’enfant grandit, sa mère lui acheta des instruments de musique fabriqués par elle-même, et lui apprit cette chanson :
« Nyonou wou han tor,
O wor nouvouin,
O wou ésron wo bé koklo wo, o bé égnin yé,
O wou yeb’avun koudo yé bé sor, o gba gblon bé égnin yé
O va wou ohountor évio, éyé o gba gblon bé éyin yé »
Traduction
« O femme très jalouse,
Tu as péché,
Tu as tué les poulets de ton mari, tu as affirmé que c’était moi,
Tu as tué le chien et le cheval de ton mari, tu as répété que c’était moi.
Tu as tué ton propre enfant et dit que c’était encore moi. »
Quand le jeune homme maîtrisa parfaitement la chanson, sa mère lui dit :
– Regarde cette route, si tu la suis, elle te mènera jusqu’à la porte de ton père. Là, vit une mauvaise femme. C’est elle qui m’a séparée de ton père. Quand tu seras là-bas, tu chanteras la chanson que je t’ai apprise.
Le moment venu, le jeune homme s’en alla à la cour du roi, son père, et chanta sa chanson. Dès qu’il l’eut entonnée, la première femme du roi, la mégère coépouse de sa mère, le maudit et le chassa. Mais, sans se lasser, le lendemain il revint et répéta sa chanson. La mauvaise femme le chassa à nouveau, en le maudissant, la peur au ventre, car elle savait parfaitement ce que cette chanson disait. Il rencontra alors une vieille femme qui lui demanda :
– D’où viens-tu ?
– Je dois mendier pour vivre, répondit-il. Est-ce que tu peux m’indiquer un lieu pour dormir ?
– Oui, ici, il y a une case où tu peux te reposer.
Le jeune homme déposa ses instruments et s’endormit. Le matin, il retourna chez le roi et commença à chanter. La première femme du roi le maudit encore et elle était sur le point de le renvoyer à nouveau, quand le roi l’aperçut et l’interrogea :
Sais-tu chanter ?
Oui je sais chanter, mais ta femme m’empêche de le faire.
N’aie pas peur, chante !
Le roi écouta la chanson du petit et lui dit :
– Vraiment tu sais chanter ! D’où viens-tu ?
Le jeune homme répondit sans hésiter et le roi réalisa qu’il venait du village où il avait trouvé sa seconde épouse qu’on surnommait la sourde. Il lui demanda alors le nom de sa mère.
– Tassignandè, qu’on a surnommée la sourde, répondit-il.
– Lébénin et Hinnougblé, cria le roi.
– Roi, que ta vie soit longue !
– Est-ce que vous aviez bien, autrefois, fait disparaître la femme qu’on surnommait la sourde ?
– Non, répondirent-ils, pleins de crainte. Non, nous n’avons pu nous y résoudre.
Vous avez bien fait. Voyez-vous ce jeune homme ? C’est le fils de cette femme. Allez me la chercher dans son village. Celle qu’on surnommait la sourde fut vite retrouvée et dit aux messagers du roi : Je veux bien revenir, mais je ne retournerai pas à pied chez le roi, mon époux. On lui trouva alors une monture et on déroula un tapis depuis sa case jusqu’au palais royal. Elle fut reçue en triomphe. Toute la capitale vibrait. Grande animation à la cour. C’était le retour de la seconde épouse du roi, sa préférée, celle qui lui procurait paix et joie.
Le roi était décidé à faire régner la justice. Il appela ses devins. Les dés furent jetés, et leur interprétation assez claire : la mauvaise herbe ne saurait subsister. Cette femme a gravement offensé les dieux. N’eût été la crainte des justiciers Lébénin et Hinnougblé, elle serrait passée de vie à trépas. Les dieux sont en colère et leur colère bouillonne et écume comme les vagues de la mer.
– Faites ce qui est prescrit, conclut le roi.
Sur la place publique, devant tout le monde, les justiciers, transpercèrent la méchante Houbouboui.
Tel est pris qui vouait prendre.
Moralité : Quel que soit le temps qu’elle fait, un jour, une semaine, un mois, un an, des années, un siècle, la vérité finit toujours par apparaître. Chacun a son étoile et sa vie, et à vouloir cacher les rayons du soleil qui brillent sur tout le monde, on finit par se brûler les ailes. « Si haut qu’on puisse monter aujourd’hui en se servant des autres comme échelle, on finit par descendre ou par être réduit en cendre. Pour sombre que soit la réalité d’aujourd’hui, il ne fait pas de doute que la vérité et la justice finiront par triompher ».
Superbe conte! Mais pourquoi cette seconde épouse ne s’adresse donc jamais à personne? Rester muet, en toute circonstance, est-ce une marque de sagesse?
Chère Yaba, en Afrique, on dit souvent que « le bien ne fait pas du bruit ». Cette épouse peut aimer la discrétion et comme elle est belle, sûrement que les gens attendent qu’elle se mêle des affaires. Mais dans la tradition, la femme connait bien sa place, même s’il arrive aujourd’hui de voir certaines participer à des réunions et prendre des décisions. Cette épouse a peut-être choisi de vivre ainsi encore qu’elle est la deuxième. A quoi bon faire du bruit.