« Il est urgent que l’on inculque des valeurs aux enfants dès le bas âge », Christine ELONG.

« Il est urgent que l’on inculque des valeurs aux enfants dès le bas âge », Christine ELONG.

Bonjour les amis. Nous recevons pour vous cette semaine, une écrivaine camerounaise, Christine ELONG:  » De plus, la Drépanocytose n’est pas l’unique obstacle au bon épanouissement d’un couple. Faire le test d’électrophorèse, avant tout engagement, est important pour d’une part avoir la bonne l’information sur notre état de santé et d’une autre part, pour avoir l’esprit tranquille ».

BL : Bonjour Madame. Nous sommes heureux de vous recevoir sur notre blog Biscottes Littéraires. Nos lecteurs sont impatients de connaître l’auteure de  « Piégée par mon sang ». Vous voudrez bien vous présenter, s’il vous plaît ?

CE : Bonjour, Je suis Madame Tsalla Ngono Christine épouse Elong. Je suis Camerounaise d’origine établie à Nantes. Après une dizaine d’années en Italie où j’ai suivi mes études universitaires, j’ai finalement déposé mes valises en France.

BL : Nous vous accueillons sous votre manteau de femme de lettres. Pouvez-vous nous dire à quand remonte votre contact avec les lettres ? Autrement dit, qu’est-ce qui justifie votre passion pour l  littérature ?

CE : Je ne saurais vous situer avec exactitude à quand remonte mon contact avec les lettres. Je sais simplement que j’ai toujours eu un amour plus poussé vers les calculs, les mathématiques. Mon intérêt pour les lettres remonte néanmoins à une période où j’étais en quête d’attention, attention venant de mon père. Il a longtemps été quelqu’un d’assez calme et réservé, voire fermé. À cette époque-là, je cherchais le moyen de me faire remarquer. Et lui, souffrant d’une addiction livresque, il m’est venu en tête qu’en commençant à m’intéresser à la lecture, je réussirais peut-être à attirer son attention sur moi. J’ai mis une stratégie sur pieds qui consistait à choisir un livre dans sa bibliothèque et à m’installer bien en vue (à la véranda). L’idée était qu’à son passage, il me trouve en pleine lecture et qu’il soit fier de moi. J’attends toujours qu’il me le dise. (rire).

BL : A quel moment avez-vous senti le besoin de vous épancher en prenant par la voie scripturale ? L’écriture serait-elle pour vous un exutoire ?

CE: Ma rencontre avec l’écriture est par contre plus récente. Ayant fréquenté un établissement privé confessionnel, nous avions une bibliothèque. Parmi les activités proposées en dehors des heures de cours, nous pouvions nous rendre à la bibliothèque pour des prêts de livres. Et après chacune de mes lectures, je me disais toujours : « S’ils ont réussi à écrire, je pourrai le faire moi aussi. » Et le projet restait en suspens. Pour dire vrai, j’étais toujours très admirative devant un livre. Ce n’est qu’à partir de 2015, que le projet va réellement prendre forme et je vais décider de me lancer.  

BL : Vous faites votre entrée dans le cercle littéraire avec votre « Piégée par mon sang », votre premier roman. Quel est le postulat d’écriture de ce livre ?

CE : Piégée par mon sang est un roman qui entre dans le registre Réaliste – tragique. Il s’inspire de l’histoire d’une jeune femme courageuse qui en très peu de temps et de manière assez violente va perdre en cascade plusieurs personnes qui constituent son cadre familial restreint. Tout part d’une vie normale dans un environnement tout aussi normal. Deux individus qui tombent amoureux l’un de l’autre et décident de se marier. C’est cette vision réaliste qui est mise en avant dans le livre, la description des lieux, l’accent mis sur le détail sont importants et vous accompagnent tout au long de votre lecture. La deuxième partie, toujours très réaliste, nous plonge dans le drame avec cet incendie qui se déclenche et qui va consumer les deux enfants du couple.  La suite, qui ne sera pas moins fatale va mettre à rude épreuve les sentiments de notre personnage principal, Angela.  

BL : Au-delà des affres de la vie subies par Angela, la principale thématique qu’essaye de creuser votre plume est la Drépanocytose. L’intrigue que renferme ce livre serait-elle une façon pour vous de sensibiliser les gens sur l’existence et les cruelles conséquences de ce mal ?

CE : Plus d’une fois, j’ai eu des retours de lecteurs qui semblaient ne pas voir la corrélation entre l’histoire qui est racontée et le titre. Et je le justifie en disant qu’ils sont trop pressés. Pour comprendre un livre, il est nécessaire de le posséder, de s’imprégner en le lisant bout en bout. Et ceux, parmi mes lecteurs, qui ne vont pas au bout de leur lecture restent sur leur soif.

Bien que le thème principal soit la Drépanocytose, c’est à dessein que j’ai choisi de ne pas révéler dès les premières lignes de quelle maladie souffrait ma jeune enfant Maya.

Avant même de connaître les affres de la vie, Angela était déjà un vecteur, dans ce sens qu’en elle, et surtout à son insu, elle portait cette maladie fantôme qui attendait impatiemment le moment propice pour se manifester. Et bien entendu, son mari Franck, aussi. Le cas de Angela n’est pas isolé, nombreux sont des porteurs du gène de la Drépanocytose qui s’ignorent. Le seul moyen de savoir qu’on n’est pas porteur est de faire son test d’Electrophorèse. Plus qu’une sensibilisation, je souhaiterai que ce livre soit ce signal d’alarme qui remet chacun face à ses responsabilités.

BL : Pour résumer autrement ce livre, peut-on dire que : ‘’l’amour ne doit pas l’emporter sur les résultats du test d’électrophorèse qui présentent une incompatibilité au niveau des deux partenaires ?’’ Si oui, mais, l’amour surmonte tout, dit-on…

CE : Résumer le livre de cette manière est, à mon avis, trop superficiel et simpliste. L’amour, lorsqu’il survient ne vous avertit pas. C’est un sentiment qui naît entre deux personnes, à un moment donné. De plus, la Drépanocytose n’est pas l’unique obstacle au bon épanouissement d’un couple. Faire le test d’électrophorèse, avant tout engagement, est important pour d’une part avoir la bonne l’information sur notre état de santé et d’une autre part, pour avoir l’esprit tranquille. Le test nous aide à prendre des prédispositions quant à la suite de notre relation. L’amour peut l’emporter à condition de faire des concessions, à condition d’être prêt à renoncer. Le couple peut, par exemple, décider de ne pas avoir d’enfants. C’est un choix difficile mais qui peut s’avérer salutaire pour eux. Dans ce cas, ils peuvent recourir à l’adoption. Il faut surtout noter que la difficulté majeure dans le cas de la Drépanocytose est l’ignorance par les concernés de leur statut hémoglobinique. Mettre l’accent sur la diffusion, créer des liens pour en parler, Mettre en place des cellules d’accompagnement, d’informations sur cette maladie qui, à ce jour, est la plus chronique au monde sont autant de chose à faire pour rendre moins tabou ce mal.   

BL  : Ce livre révèle aussi l’amour d’une jeune femme très attachée à son Cameroun natal. Serait-ce de la nostalgie ? Ou une façon d’exprimer tout ce que vous ressentez pour votre pays d’origine ?

CE : Le Cameroun, ce cher pays. « Soit on l’aime, soit on l’aime. » Tout simplement. Ce n’est un secret pour personne, le Cameroun c’est définitivement l’Afrique en miniature. On ne quitte jamais complètement le Cameroun. On part toujours avec l’espoir d’y retourner un jour. Le Président de la République ne manque pas de le souligner dans ses discours, lui-aussi. Prenons l’exemple de nos grands sportifs. C’est à l’extérieur qu’ils brillent souvent le plus, mais c’est à la maison qu’on brandit le trophée, avec honneur. Le vrai bonheur, c’est chez soi. 

BL : « Mexico » est votre dernière signature. Alex refuse de rester impuissant face aux démons du passé d’Aline qui refont surface. Cette intrigue serait, vue sous un autre angle, la confirmation de l’assertion ‘’l’apparence est trompeuse’’, ou encore de ‘’ il n’y a pas histoire d’amour sans obstacle’’ ?

CE : Dans Mexico, Alex est un habitué des déceptions amoureuses. Il se retrouve dos au mur lorsqu’enfin, il découvre la vérité sur le passé tumultueux d’Aline, cette femme qu’il aime énormément. De plus, il est conscient qu’il doit la protéger du fait de la distance par rapport au pays d’origine, de la dangerosité que peut comporter une vie désordonnée au Mexique pour une migrante qui met ses pieds où elle ne devrait pas. Après avoir réussi à percer l’abcès du traumatisme que cette dernière traîne au quotidien, Alex se sent investi d’une mission. Il doit faire quelque chose. Le comble c’est lorsqu’il découvre qu’en plus de son passé sombre, Aline fréquente des narcotrafiquants mexicains.

BL : Vous avez opté pour l’autoédition dans le cadre de la publication de vos œuvres. Quelles sont les raisons qui sous-tendent un tel choix ?

CE : Au départ, mon choix n’était pas porté vers l’autoédition. J’ai envoyé plusieurs manuscrits par voie postale à certaines maisons d’édition sans jamais recevoir de retour. Celles parmi les maisons, sur internet, qui m’ont gentiment répondu me proposaient des contrats participatifs. Ce qui était loin de m’arranger. Après réflexion, j’ai engagé des recherches puisque j’avais entendu parler d’autoéditions. J’ai intégré des groupes dans le but d’avoir le plus d’informations possibles, j’ai suivi des témoignages de personnes qui avaient opté pour l’autoédition. Au final, je me suis dite, pourquoi pas? En plus, travailler en autoédition me permettait de voir de près, tout le processus suivi par mon manuscrit. Malgré ce choix de l’autoédition, ma porte reste ouverte pour les maisons d’édition classiques.

BL : Y a-t-il des auteurs qui vous inspirent dans votre projet scriptural ? Si oui, qui sont-ils, et qu’aimez-vous chez chacun d’eux ?

CE : Bien entendu, j’en ai plus d’un. Ceux qui m’inspirent le plus sont dans l’ordre Ferdinand Oyono car je me retrouve dans sa construction stylistique, l’environnement raconté dans ses romans. Une autre écrivaine contemporaine qui m’attire beaucoup c’est Imbolo Mbue qui, elle aussi a un style très réaliste qui est en fin de compte celui avec lequel je me sens mieux. En ce moment, je suis en train de découvrir une Leila Slimani…

BL : Si vous êtes une admiratrice de Chimamanda Ngozi Adichie, vous devrez donc avoir une opinion personnelle sur le thème du féminisme qui est très cher à l’écrivaine nigériane. Quelle est votre conception de cette approche ?

CE : Je suis une admiratrice de Chimamanda Ngozi Adichie, j’aime lire ses livres en général. En ce qui est du féminisme, j’ai un avis qui n’est pas forcément calqué au sien. Il s’agit pour ma part d’une question de bon sens. Je trouve normal de qu’il y ait une égalité dans le traitement du genre. Pourquoi un homme devrait-il être mieux payé qu’une femme sur un même poste de travail et à diplôme égal ? Il n’y a pas de raison à cela. Ce que je peux dire en étant sûre de ne pas tomber dans l’exagération est que, chez nous, le mot féminisme rime avec indépendance. Notre culture est ce qui nous rend mentalement prisonnières dans nos attentes envers le sexe opposé. Aujourd’hui encore, nombreuses sont celles qui pensent qu’elles ne réussiront leur vie de couple uniquement que si elles sont soumises à leur conjoint. Je me demande souvent si elles mesurent la portée de ce seul mot. D’un côté, vous réclamez l’égalité, de l’autre vous brandissez la soumission envers l’autre comme condition première. Ce qu’elles oublient c’est que plus tu donnes, plus l’autre en redemande. Il n’existe aucune limite à la soumission. D’où l’importance de l’éducation.

BL  : Pensez-vous qu’avec ce concept, on parviendra à endiguer les disparités observées dans les rapports femmes et hommes ?

CE : Si seulement les mots, les concepts suffisaient. Hélas… Tout comme Chimamanda Ngozi Adichie, je suis pour une prise de conscience collective. Il est urgent que l’on inculque des valeurs aux enfants dès le bas âge. Toutefois, les veilles habitudes ont la peau dure. Un début de solution serait de promouvoir une éducation basée sur l’égalité des genres. Les sociétés évoluent, les changements se feront au fur et à mesure. Notre génération est beaucoup plus libre aujourd’hui que celle d’hier, celle de nos parents.

BL : Quelques conseils à l’endroit des jeunes qui désirent faire aventure dans l’univers littéraire ?

CE : La littérature est un monde très passionnant. Tout le monde peut s’essayer, je le pense. Nous avons d’ailleurs, tous, une belle histoire à raconter. Il faut juste savoir la raconter. Pour cela, il faut travailler, beaucoup travailler. Il faut surtout lire, et ça nécessite beaucoup de sacrifices, de l’abnégation. Il est important de savoir choisir le registre littéraire, le type de tonalité à adapter au texte, la stylistique. Bref, il faut une bonne préparation en amont.

BL : Votre mot de la fin

CE : Je remercie les Biscottes Littéraires pour ce bel entretien.

×

Aimez notre page Facebook