BL: Bonjour Camille SEGNIGBINDE. Heureux de vous avoir sur Biscottes Littéraires. Présentez-vous à nos chers lecteurs.
CS: Je suis SEGNIGBINDE A. Camille, écrivain – journaliste et chef d’entreprise. En ma qualité d’écrivain, j’ai publié en 2014, le roman « Un si Long Voyage » qui a pour but de sensibiliser contre l’émigration des jeunes africains. Je suis par ailleurs, président de l’Association « Ecrivains Humanistes du Bénin » créée formellement en 2012.
BL: Votre passion pour la littérature a certainement une histoire…
CS: Oui, elle a une histoire. Elle a commencé en classe de la 4é avec mon professeur de Français, Hindémin Cosme que je remercie au passage. Il nous (ses élèves en ce temps) a faits tomber amoureux de la langue française. Ce fut un déclic parce qu’un an après, en classe de la 3è, j’ai commencé par griffonner et en classe de seconde, la passion s’est accentuée. Elle s’est manifestée par des écrits (romans et nouvelles) qui ont vraiment un sens et parmi lesquels, « Un si long voyage » est tiré. Donc, ce roman a été écrit depuis la classe de la seconde et édité finalement en 2014.
BL: Vous avez sorti en 2014 votre premier roman « Un si long voyage », que doit-on comprendre par ce titre ?
CS: « Un si long voyage« , juste pour dire, un voyage sans issue. A la fin du voyage, on aperçoit des personnages (migrants) qui marchent encore et encore pour fuir une vie qui, dans un passé très récent, apparaissait dans leur rêve de jeunesse comme l’eldorado à atteindre au péril de leur vie.
BL: Que répondriez-vous à un lecteur qui, après avoir lu votre roman, s’écrie: « mais, il a parlé de lui-même! »?
CS: Rire. Rassurez-vous, je n’ai jamais rêvé d’émigrer. Même formellement. Les opportunités n’ont pas manqué et ne manquent pas toujours. Ce n’est pas mon histoire. J’ai toujours cru que l’avenir se trouve ici en Afrique et que toutes les opportunités se convergeront vers l’Afrique dont le Bénin. Je me suis toujours concentré sur cette option avec des perspectives de voyages de courts séjours pour explorer d’autres réalités, m’inspirer des modèles qui méritent d’être copiés pour grandir et m’améliorer dans tout ce que je sais faire. Ce roman est alors le fruit de l’imagination de mon adolescence avec pour mission de sensibiliser. C’est une pure fiction qui colle bien à la réalité d’aujourd’hui. En 2017, le monde se scandalisait à l’information d’un marché d’esclave en Libye. Lisez le chapitre 10 de « Un si long voyage » de la page 85 notamment, vous verrez que j’y avais décrit une scène de marché moderne d’esclave alors que ça fait une quinzaine d’années que le texte a été écrit.
BL: Au-delà de la sensibilisation, Qu’est-ce qui vous a amené à écrire ce livre et quelle mission lui assigniez-vous en le commettant, quand on sait que d’autres voix se sont levées pour décrier le même phénomène migratoire?
CS: Le déclic est parti d’une histoire vraie vécue par une famille dans mon voisinage en ce temps. Cette famille a perdu son garçon unique parti pour faire fortune. J’ai assisté à l’annonce de la mauvaise nouvelle à la mère du garçon pourtant opposée au départ de l’enfant six mois un peu plus tôt. J’étais vraiment peiné par les pleures de cette dame. « Un si long voyage » n’a pris aucune partie de cette histoire mais c’est ainsi que le thème a été choisi et toute suite l’inspiration a suivi aisément avec pour mission de sensibiliser les jeunes africains contre l’émigration clandestine. Juste pour dire que ce n’est pas forcément mieux ailleurs. Maintenant, il ne faut pas refuser aux jeunes de voyager de découvrir d’autres réalités culturelles et sociales. Le monde est assez dynamique aujourd’hui pour qu’on empêche quelqu’un de circuler. Mais il ne faut pas le faire de façon illégale. Il faut bien préparer ce voyage et obtenir régulièrement les documents afférents.
BL: La mission est-elle accomplie?
CS: C’est un travail progressif et une lourde mission que mon seul livre ne saurait accomplir à lui seul. Vous avez observé une recrudescence du phénomène ces trois dernières années. Pour espérer inverser la tendance, il faut une politique globale qui tienne compte de la gouvernance des Etats africains, une meilleure prise en charge des jeunes dans leur processus d’insertion professionnelle, une bonne gouvernance pour une meilleure répartition des richesses nationales, une bonne politique d’accompagnement des jeunes qui voudraient découvrir d’autres réalités… Ce dernier point est autant important que toute autre initiative. Car il faut bien aller découvrir d’autres réalités pour un retour d’expériences au service du développement de la nation.
BL: Vos personnages en général, comment les forgez-vous? Sont-ils tirés du réel ou ils ne sont que le pur produit de votre imagination ?
CS: L’écrivain, c’est le dieu de son œuvre. Il donne vie aux êtres qu’il juge utile à l’accomplissement de l’objectif au démarrage de l’écriture du texte, il tue ceux qu’il veut, rend malades d’autres…. Rire. Dans ce roman, les personnages sont tous issus de mon imagination. J’ai une dizaine de manuscrits aujourd’hui qui sont des fruits d’histoires réelles, vécues par moi-même ou non, qui reprennent ainsi des personnages tirés du réel avec des noms imaginaires en fonction de leur rôle dans le texte.
BL: Qu’est-ce que cela vous fait de rencontrer vos lecteurs et de discuter avec eux de vive voix, lors des salons du livre par exemple, ou au cours d’autres événements littéraires?
CS: C’est toujours un plaisir de rencontrer un lecteur avec qui vous pouvez communier autour des idées, de vos perceptions des choses et des sujets évoqués dans votre œuvre. En même temps, c’est une opportunité de s’améliorer à travers d’autres œuvres en tenant compte des appréciations.
BL: Que faites-vous concrètement pour que le livre occupe une place importante dans la vie des lecteurs, puisque tout le monde dit, à tort ou à raison que les jeunes ne lisent plus?
CS: Les jeunes lisent. Nous ne pouvons plus, dans un contexte où le numérique a occupée une grande partie de la distraction de tout le monde (pas seulement les jeunes), rester dans notre coin à attendre les lecteurs venir vers nous. C’est à nous d’aller vers eux avec le livre. C’est à nous de rapprocher le livre des lecteurs à travers plusieurs occasions comme les foires, les rencontres littéraires… N’attendons pas les occasions. Créons-les. Ce que nous faisons alors aujourd’hui pour que le livre occupe une place importante dans la vie des lecteurs est de leur rappeler régulièrement qu’ils gagneront beaucoup (pour eux-mêmes et pour leur pays) à lire en multipliant les occasions d’aller vers eux.
BL: Vous êtes actuellement le Président du Conseil d’Administration de l’Association Ecrivains Humanistes du Bénin. Présentez-nous cette association.
CS: L’Association « Ecrivains Humanistes du Bénin » est créée formellement en 2012. Elle rassemble des femmes et des hommes qui croient qu’on peut opérer des changements positifs dans notre société en se servant du livre comme outil. L’Association a donc pour objectif global de promouvoir l’écriture, le livre et la lecture au sein de la couche juvénile en priorité. Cette association a, à ce jour, à son actif, deux ouvrages collectifs intitulés « La mort est dans l’attente » et « Les dieux sont en colère » parus sous ma coordination et issus du projet « le livre contres les maux de la cité » éditions 2013 ; 2014 et 2015. Nous avons, également, à notre actif, plusieurs actions qui vont de renforcement de capacités d’écrivains en herbe à travers le Bénin et la sous région ouest africaine à des rencontres littéraires nationales et régionales.
BL: Qu’est-ce qui différencie les « Ecrivains Humanistes » des autres hommes et femmes de lettres du Bénin?
CS: « Ecrivains Humanistes » c’est un concept. Nous ne nous arrêtons pas à l’écriture. Nous donnons une place importante à l’Homme dans chacune de nos actions puisque c’est pour l’Homme que nous écrivons. Ce ne sont pas les morts qui nous liront. Le livre à lui seul ne guérira pas les blessures de ceux qui nous entourent et qui sont malheureux. Donc, nous travaillons toujours à coupler nos actions de promotion du livre avec des actions humanitaires. Tous ceux qui s’identifient à travers cette manière de voir les choses peuvent nous rejoindre.
BL: Quels sont les critères à remplir pour devenir membre de votre association?
CS: Nous sommes accessibles. Le critère le plus important est qu’il faut être écrivain (en herbe ou confirmé). Pour les autres pièces, nous pouvons envoyer les détails à tous ceux qui le souhaitent et manifestent le désir en nous écrivant à : ecrivains_humanistes@yahoo.fr ou en nous appelant au 66 54 78 08 / 95 44 47 45.
BL: Quels sont les projets actuels de votre Association dont apparemment on n’entend plus tellement parler?
CS: Oui. Vous avez raison, depuis 2017, nous n’étions pas assez actifs même s’il a eu plusieurs actions dont la dernière est la coordination de la délégation béninoise à la Foire Internationale du Livre de Lomé en novembre dernier. Mais, les bonnes choses vont reprendre en 2019 car, 5 ans après sa création, il fallait une pause pour prendre des décisions importantes, opérer des reformes internes pour optimiser les impacts de nos actions. Je profite de l’occasion pour présenter toutes nos excuses à ceux à qui notre inaction ou dysfonctionnement a causé de torts… En 2019, nous nous relancerons avec de bonnes initiatives pour plus d’impacts avec le livre.
BL: Ne pensez-vous pas que le Bénin gagnerait davantage en mettant sur pied une grande association dotée d’un statut juridique et régulièrement enregistré au Ministère de l’Intérieur, et qui fédère tous les écrivains du Bénin?
CS: Nous, nous sommes ouverts et la preuve est que nous avons accepté adhérer à la grande fédération des acteurs de la chaine du livre du Bénin sur l’initiative de Mr Dénis AVIMADJESSI. Sinon, il y a à peine trois à quatre associations d’écrivains, je crois. Ailleurs, tous les écrivains se mettent dans un seul creuset et tout le monde y trouve pour son compte. Mais, c’est très compliqué chez nous de se mettre ensemble pour faire de bonnes choses. Chacun tire le drap de son côté selon les intérêts en jeu. Mais ne voulant pas risquer de porter atteinte à la cohésion de notre organisation, nous attendons que le secteur s’organise (et des initiatives sont en cours dans ce sens) pour suivre la nouvelle dynamique.
BL: Vous êtes aussi coordonnateur de deux recueils de nouvelles, outre les concours organisés par votre Association. Comment l’idée vous est-il venue et quelles conclusions tirez-vous de cette initiative qu’on ne vous voit plus réitérer?
CS: Sourire. Les deux recueils, je les avais évoqués un peu plus haut: « Les dieux sont en colère » et « La mort est dans l’attente » sont des recueils collectifs de nouvelles qui traitent, entre autres, de la corruption dans la société africaine, la traite des enfants, l’intolérance religieuse… Comme je l’expliquais, nous plaçons le bien être de l’Homme et la paix au cœur de nos initiatives. Chaque action que nous menons tient compte de ce paramètre important de nos valeurs. Ces recueils sont le fruit du projet « le livre contre les maux de la cité » qui revient dès 2019 avec pour missions de faire participer les jeunes notamment les talents latents en écriture aux débats de leur société tout en leur donnant une chance d’éclore et de devenir des acteurs du changement de la société.
Vous avez raison de dire que vous n’en entendez plus parler. Je précise que c’est depuis 2017. Nous avions rencontré des difficultés de deux ordres (financières et administratives) qui nous ont contraints à faire une pause. Ce n’est pas compréhensible que nous organisions trois éditions bien réussies de cette initiative dont le sérieux ne souffle d’aucun doute sur fonds propres et que d’autres acteurs ou décideurs à certains niveaux, qui font semblant de faire, empochent, à eux seuls, la cagnotte destinée à la promotion du livre dans le pays. Nous faisons du social. C’est certain. Mais à l’égard de l’ampleur que prenait l’initiative, nous ne pouvions plus continuer pas l’organiser dans les conditions des trois premières éditions au risque de la bâcler. Et d’ailleurs, les preuves sont là. La 4è édition pourtant mise en œuvre jusqu’à la phase de la sélection n’a pas abouti jusqu’aujourd’hui. Je profite pour remercier les différents candidats pour leur patience tout en les rassurant que nous reviendrons vers eux incessamment pour leur donner leur chance.
BL: Vous êtes dans la chose livresque depuis fort longtemps. Quel regard jetez-vous sur l’univers du livre au Bénin ?
CS: Il y a du potentiel dans le secteur à valoriser au-delà des acteurs très bien connus déjà. Il faut juste assainir le milieu pour inciter davantage les acteurs du secteur (ceux qui veulent vraiment bien faire) à donner le meilleur d’eux-mêmes. Par ailleurs, certains aînés qui font très bien leur travail (ils sont très bien dans ce qu’ils font, c’est évident), doivent éviter de continuer par considérer qu’ils sont les seuls génies du secteur et que les jeunes que nous sommes n’ont pas le droit d’écrire ou de s’affirmer. Certains vont jusqu’à blâmer des animateurs d’émissions littéraires pour avoir donné la parole aux jeunes écrivains. Il y a trop de mythe autour de l’écriture chez nous. Ce qui n’est pas le cas ailleurs comme en Côte d’Ivoire, par exemple, où deux générations se donnent la main pour préparer la relève continuellement. Au niveau de notre association, nous sommes pour cette logique. Parce qu’au-delà de nous écrivains, individuellement pris, il y a l’image et la représentativité du Bénin à l’international.
Aussi, constate-t-on que les écrivains béninois ne font pas assez d’efforts pour aller à la rencontre des lecteurs. C’est vrai que la collaboration avec les libraires et autres acteurs de diffusion des livres est un peu compliquée mais il revient, dans un tel contexte, à l’écrivain de sortir pour se faire connaître et d’être à l’écoute des opportunités de rencontres internationales.
De toute façon, je vois des choses qui se dessinent et qui donnent une lueur d’espoir. C’est à nous, acteurs de la chaine du livre, de saisir l’opportunité. .
BL: Le Ministère de la Culture et la DAL (Direction des Arts et du Livre) viennent de mettre sur pied le Grand Prix National du Bénin et le salon du livre qui aura lieu en Novembre 2019. Que vous inspirent de telles initiatives? Auriez-vous des réserves à émettre par rapport à ces initiatives? Quelles sont vos suggestions?
CS: Je n’ai pas pu assister, il y a environ un mois, au lancement de l’initiative, étant à la Foire Internationale du Livre de Lomé 2018, mais j’ai eu les informations et j’avoue que le Grand Prix National du Bénin est une initiative qui fait rêver et qui donne envie aux acteurs du livre, que nous sommes, d’améliorer quotidiennement nos œuvres. Nous ne demandons qu’une seule chose: que le livre soit à l’honneur, à tout moment. Des réserves, non. Juste un souhait et des encouragements. Je ne doute pas des compétences des acteurs autour de l’initiative mais je voudrais juste qu’elle connaisse un heureux aboutissement avec la sélection des œuvres, unanimement, de qualité. J’encourage alors tous ceux qui sont impliqués de tenir bon jusqu’à l’aboutissement.
Pour le salon de Novembre, c’est une bonne nouvelle. Tous les pays francophones autour de nous bougent en matière littéraire. Nous devrons suivre le rythme. Je veux prêter un concept à nos amis ivoiriens, il nous faut développer notre « diplomatie littéraire » à nous. Cela peut être aussi profitable à l’économie nationale.
BL: Si vous étiez en charge du secteur du livre, comment le réorganiseriez-vous?
CS: L’actuel Directeur des Arts et du Livre (DAL), monsieur Koffi ATTETE, a déjà bien commencé. Il faut déjà regrouper les acteurs de chaque sous secteur. Diagnostiquer, avec eux, les maux qui entravent leurs activités. Chercher des pistes de solutions ensemble et élaborer maintenant des politiques qui tentent d’apporter des solutions aux problèmes identifiés. Et ceci, en veillant à ce que les brebis galeuses, au nom des intérêts personnels, n’entravent pas la mise en œuvre de ces politiques.
BL: Vous avez certainement des projets personnels pour les mois à venir: un livre à faire paraître, un événement littéraire à organiser. Parlez-nous-en.
CS: Pour 2019, avec l’Association Ecrivains Humanistes, notre projet phare, qui impact chaque maillon de la chaîne du livre, « le Livre contre les maux de la cité » revient. Des tournées de promotion des livres de jeunes écrivains sont en vue ainsi que des participations à des rencontres internationales. Pour moi-même, je cherchais un équilibre entre ma vie professionnelle et mes activités littéraires mais, je crois que les choses se précisent et je devrais avoir de temps pour moi-même pour sortir les manuscrits des tiroirs.
BL: Un mot à l’endroit de vos lecteurs et de tous ceux qui vous soutiennent…
CS: Pour nos lecteurs, nous leur donnons rendez-vous pour 2019. Nous serons plus près d’eux. Quant à ceux qui nous soutiennent, nous leur réitérons notre engagement à nous relancer et à atteindre les objectifs pour lesquels l’association est créée.
BL: Votre mot de la fin
CS: Je voudrais remercier toute l’équipe de Biscottes Littéraires pout le travail abattu quotidiennement pour le rayonnement de la littérature béninoise et de ses acteurs. Je vous souhaite beaucoup de courage et que ceci ne soit pas un coup d’essai.