« La sensibilité est tellement abstraite qu’elle n’est souvent pas comprise. Heureusement, la poésie et d’autres genres savent ressortir ce pan de l’émotion pour rendre le monde plus vivant »
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BL : Bonjour Madame Akofa Myrtille HAHO. Heureux de vous recevoir sur ce blog vôtre. Commençons par la présentation.
MH : Je suis Myrtille Akofa HAHO, auteure-écrivaine béninoise. J’ai à mon actif plusieurs nouvelles écrites dans des anthologies et deux recueils de poèmes. Je suis gestionnaire-comptable de formation, passionnée de voyages et de belles lettres.
BL : Dans vos relations, vous êtes avec la crème de la littérature béninoise. Est-ce que ces fréquentations influencent votre écriture ?
MH : (Rires). Je dirai oui et non. Oui parce que c’est toujours agréable et distrayant de lire des contemporains et de s’en inspirer. Non parce qu’au-delà de mes fréquentations, je garde mon identité d’écriture, j’ai ma propre perception de la sensibilité et du savoir qui se dégage de chaque inspiration.
BL : Quel bilan faites-vous de vos collaborations avec vos paires, les femmes écrivaines ?
MH : Un bilan positif. J’ai eu diverses expériences de collaboration avec les écrivaines du Bénin et d’ailleurs et j’en garde toujours le meilleur. Car elles ont des plumes innovantes et chaleureuses.
BL : Ken Bugul, elle vous inspire quoi, cette écrivaine ? De quelle écrivaine vous réclamez-vous en tant qu’elle est votre modèle/mentor ?
MH : Ken Bugul c’est une école à elle seule. De par ses écrits, son parcours et sa diversité de culture. Je me suis toujours délectée de ses œuvres avec la soif de découvrir une histoire originale et émouvante. J’ai beaucoup d’admiration pour plusieurs plumes féminines que je ne saurai les citer. Permettez donc que je sois polyandre sur ce coup. (Rires)
BL : Que pensez-vous de l’arène des écrivains au Bénin ? Est-elle politique ou réellement culturelle ?
MH : Elle est florissante et diversifiée. Chaque milieu avec ses réalités intrinsèques. L’écrivain béninois même dans son engagement et dans ses prises de position sait rester neutre quand il le faut. Je prends ça comme un atout dans un contexte politique africain où le moindre mot en français peut être sujet à controverse et où les réseaux sociaux ont donné la parole à tous d’opiner. L’arène des écrivains béninois garde sa culturalité, que ça soit pour la valorisation de notre patrimoine culturel ou pour la représentativité du Bénin à l’extérieur.
BL : Femme sensible vous êtes, parce que sensible aux mots. Dites-nous : faut il libérer la sensibilité envers et contre tout?
MH : La sensibilité est tellement abstraite qu’elle n’est souvent pas comprise. Heureusement, la poésie et d’autres genres savent ressortir ce pan de l’émotion pour rendre le monde plus vivant. C’est vrai que notre culture du silence aurait voulu taire certaines choses mais tout est dans la manière de l’exprimer pour éviter les heurts.
BL : Pour vous, qu’est-ce que faire de la poésie ?
MH : La poésie est l’art d’éprouver des expressions, des mots, de les ressentir et d’en sortir le beau.
BL : A la question de savoir pour qui vous écrivez, vous avez répondu ceci : « J’écris pour me sentir bien, pour exprimer des émotions, partager des émois avec mes semblables. La poésie a toujours eu pour moi quelque chose de fascinant qui ne s’explique pas. Chaque poète a sa particularité et son répondant par sa plume. C’est ce qui fait son identité. » Quelle est votre particularité? Votre identité personnelle?
MH : La communication avec l’insignifiant. Un simple mot peut suggérer mille choses à la fois, laisser rêveur ou perplexe. C’est cela ma particularité.
BL :Vous maniez aussi bien les chiffres que les lettres. Vous êtes polyvalente : Nouvelliste. Poète, romancière. Vous avez déjà publié deux recueils de poèmes et participé à plusieurs œuvres collectives dédiées à la nouvelle. Parlons un peu de vos deux recueils de poèmes : « Escalades » et « Comme un funambule ». Qu’est-ce qui vous a motivée à vous y mettre?
MH : La motivation est venue des lecteurs, du regard des autres sur mes écrits. Il n’y a pas plus belle motivation que l’humain qui croit en vous.
BL : Après avoir lu Escalades, on est tenté de dire : » Escalades c’est le deuil de la jeunesse qui malgré elle laisse le trône à l’âge adulte. Nostalgie d’un passé pas tout à fait accompli. Des fleurs trop vite fanées. Espoirs gelés trop tôt ». Dites-nous : pourquoi tant de douleur dans Escalades?
MH : Il y a de la douleur partout où il y a la vie. Pourquoi se démettre d’une réalité qui est nôtre et quotidienne ?
BL : Escalades, c’est aussi un retour aux sources, en témoigne les noms empruntés aux langues nationales du Bénin. En aviez-vous assez de penser et de ne vous penser que par le prisme du français?
MH : Ce n’est pas forcément dans ce sens que cela s’exprime. Mais plutôt dans un désir de pluralité. De rendre aussi universelles nos langues que le sont le français ou l’anglais.
BL : Le style y est fort enjoué. Mais dans le poème Houéfa, vous avez semblé opter pour les incantations. De quoi s’agit-il en effet?
MH : Il y a des appels qui ne se font et ne se feront jamais en phrases communes mais uniquement en jonctions de mots significatifs que les sens et l’intelligence captent rapidement.
BL : Avec « Comme un Funambule », le ton est plus gai. Les problèmes soulevés dans « Escalades » ont-ils été résolus avant que vous ne vous mettiez à l’écriture de votre dernier recueil?
MH : Le ton a été plus gai dans « comme un funambule » pour exuter la peine consentie dans Escalades. Quoi de mieux que de la douceur pour affranchir la douleur… Comme un funambule n’est pas une suite d’escalades mais est un autre couloir de la vie.
BL : Dans « Comme un funambule » il y a ceci :
« Ici
Ici, nous sommes l’ombre des autres
Ici nous inventons les autres
Mais jamais nous-mêmes
Moi Akofa, j’écris en langue française
Je veux réfléchir en langue Akofa mais je suis
perdue
Je veux me déhancher en danse Akofa mais
la tâche est ardue
Pour chanter en Akofa, j’imprègne d’abord
mes sens, de l’oralité qui me foudroie
Jalouse, ma langue me gronde qu’en français
je n’accuse pas. » (P 14)
Révolte? Invite à renouer avec le mouvement de la Négritude? Qu’en est-il en réalité?
MH : On peut en faire diverses interprétations. Tout écrivain même sans se l’avouer est engagé dans une cause noble. Qu’elle soit alignée ou pas. J’incite un retour aux sources pour mieux appréhender nos valeurs.
BL : Vous avez certainement des projets littéraires…
MH : Oui j’envisage prochainement la sortie d’un roman que je travaille toujours et ma participation à certaines résidences de créations littéraires…
BL : Votre mot de la fin
MH : Je remercie le blog « Biscottes littéraires » pour l’opportunité qui m’est offerte de parler de moi et de mes œuvres. Je suis fière d’être béninoise et je remercie les lecteurs qui me suivent et me lisent assidûment. Dieu nous bénisse!
Magnifique