Interview avec Lydie Biby MEGHUIOPE

Interview avec Lydie Biby MEGHUIOPE

BL : Bonjour madame Lydie Biby MEGHUIOPE. Nous sommes très heureux de vous recevoir sur notre blog. Recevez notre gratitude pour avoir accepté de nous offrir cette interview. Pourriez-vous vous présenter à nos amis lecteurs ?

LM : Je suis une quadra, divorcée, mère, Sociologue et auteure. En plus de cette casquette d’écrivaine que j’ai pratiquée par passion, je suis surtout Gestionnaire des Ressources Humaines dans une entreprise du secteur privé dans mon pays, le Cameroun. Je suis en plus Militante des Droits des Femmes et des enfants et Responsable de l’antenne de l’Association de Lutte contre les Violences faites aux femmes à Bafoussam.

BL : Vous avez à votre actif deux romans : « Mackenzie » et « Ma beauté, ma souffrance ». Le premier s’intéresse à la situation des femmes qui n’ont pas connu la joie des douleurs de la maternité. Un sujet assez douloureux et délicat…

LB : En effet, un sujet qui m’a toujours préoccupé surtout pour l’ensemble des messages que j’ai voulu véhiculer dans son contenu. Il est donc délicat, et cible tout le monde.

Ce douloureux sujet s’adresse à ces femmes en détresse du fait de l’absence de maternité afin qu’elles se déculpabilisent du fait de ce manque de la joie des douleurs de la maternité et s’inspirent des bonnes pratiques comme celles mentionnées dans le récit, plus près d’elles plutôt que de s’enfoncer dans l’aigreur et/ou développer des déviances comme on en voit de plus en plus dans la société à travers le trafic d’enfants, les vols dans les hôpitaux et autres lieux…

Il s’adresse aussi à ces femmes qui ont les conceptions et les maternités faciles au point de se débarrasser des fœtus dans les poubelles, les rigoles et les bacs à ordures ; et ainsi donc une invite à donner simplement la vie afin de pouvoir rendre plusieurs, heureuses : elles, les enfants et les mères d’adoption.

Enfin, pour sa délicatesse, à cette population qui pose un regard méprisant sur ces femmes infécondes et les accable de préjugés, afin d’alléger leurs peines déjà assez profondes.

De toute façon, être femme, c’est connaitre aussi l’expérience fabuleuse de la maternité… même si la société nous fait payer ce manque par tous les moyens. C’est dommage….La maternité ne devrait pas être perçue une option qu’on choisit comme si on choisissait de faire la cuisine mais une situation indépendante de nous…. c’est aussi une histoire de destin.

BL : Quand on est femme célibataire sans enfant, ayant un boulot et une situation financière appréciable, allant et venant, subvenant à ses besoins, comment est-on perçue ?

LB : On est perçue comme inachevée. Ou encore comme immature car en fait, les gens ont l’impression que vous ne savez pas ce qu’est l’essence même de la vie, ce pour quoi on est venu sur terre, des « born for nothing » (nées pour rien). Les gens ont aussi l’impression que vous ne faites rien de votre argent ou plutôt que l’argent ne vous sert à rien, même quand par ailleurs vous soutenez la famille : prise en charge des parents, neveux et nièces, entre autres.

BL : Dans « Mackenzie », le geste de la dame qui a donné, pour ainsi dire sa fille à sa sœur qui n’en aura jamais le loisir, émeut. Et cela relance la question de la maternité. Pour vous, c’est quoi la maternité ?

LB : La maternité, c’est le fait de donner la vie, de perpétuer la race humaine, c’est finalement aux yeux du monde le plus grand accomplissement de la femme, ou tout au moins le premier. Le geste de ma sœur est fort louable. Parce que c’était à mes yeux un formidable témoignage d’affection et de compassion pour moi qui n’arrivais pas à donner la vie. Mackenzie est ma fille parce que ma sœur l’a voulu et l’a décidé ainsi. C’est donc un geste de complémentarité et une leçon de vie que j’ai voulu partager pour faire revivre cette belle pratique si chère à notre culture qui est un peu en perte de vitesse.

BL : Vous aussi votre perception de la génération en Afrique…

LB : L’Afrique met un grand accent sur la procréation, même si au finish cette population n’impacte pas trop sur le chantier du développement, c’est donc une population presque inutile au regard de la marche du monde et l’exploration de ses possibilités.

Mais le fondement de cette inquiétude n’est pas faux. Mais de tous les temps, toutes les femmes ne sont pas arrivées à cet accomplissement qu’est l’enfant. Et vous savez que chez nous, l’enfant est un être humain qui est le prolongement de notre vi, la continuité, la perpétuité, c est pour cela que les femmes qui n ont pas donné la vie se sont pérennisées à travers les enfants des frères et sœurs….les neveux et nièces

BL : Mackenzie, une autobiographie?

LB : Complètement !

BL : L’autre roman s’intitule : « Ma beauté, ma souffrance ». Comment fait-on pour écrire une œuvre autobiographique de 386 pages? Est-ce à dire que de votre vie, vous avez à chaque fois enregistré le moindre détail ?

LB : En fait, il est si grand parce qu’initialement il était mon livre, le livre qui brossait les grandes lignes de mes quarante ans, avant que l’opportunité de « Mackenzie » ne se présente pour me porter à  deux livres.

Pour rire, si je notais les moindres détails de ma vie, à ce jour je serais à une bibliothèque cossue…

BL : Vous dites à la page 11 de votre livre : cette œuvre est le « récit personnel de ma vie ». Est-ce à dire que votre vie jusqu’ici n’a été que « sombre »? Nous voyons pendant tout le parcours une série de mésaventures que personne n’aimerait vivre.

LB : Malgré ces moments sombres, mon souhait est de montrer comment à chaque fois j’ai essayé de me relever, pour montrer justement que ma vie n’a pas été un fleuve tranquille… C’est justement une réponse à ceux qui pensent que j’ai beaucoup de chance quand ils ne savent rien de ma capacité de résilience.

BL : Pour quel objectif avez-vous écrit cette œuvre ?

LB : C’est un livre qui s’inscrit dans une logique de développement personnel. Je travaille à motiver les hommes et femmes, les jeunes aussi, qui ont tendance à abandonner ou à raccrocher dès la première difficulté.

Je m’étais rendue compte que je reflète aux yeux des gens une personne qui est née avec une cuillère en or dans la bouche du fait de mon statut d’enfant unique. Les gens lisent beaucoup de sérénité et même d’insouciance en moi. J’ai donc une apparence trompeuse, qui ne fait pas refléter mon vécu. C’est donc pour dire aux personnes, que j’essaie de motiver, que si seulement elles savaient combien il faut s’accrocher pour arriver à ses fins…

Je ne suis pas encore au bout de mon tunnel, je continue encore aujourd’hui à chercher ma voix, avec les projets pleins la tête. Toutefois, je ne suis pas socialement mal lotie.

BL : Votre œuvre est fortement traversée par l’étoile de valeur qu’est le féminisme. Un auteur camerounais a dit ceci : »Le féminisme est le cheval de Troie qui va accélérer la guerre des sexes entre l’homme et la femme ; afin que les valeurs traditionnelles de la famille et de la bonne pensée deviennent désuètes et obsolètes. » Qu’en pensez-vous ?[1]

LB : De plus en plus, les femmes assurent, en tout point de vue et dans tous les espaces, familiaux, sociaux, politiques et autres. Curieusement et paradoxalement, on remarque une féminisation des hommes, prêts à fuir leurs responsabilités, préférant se réfugier dans les mauvais caractères jadis reprochés aux femmes, comme les commérages, ….  C’est terrible, un changement social de plus en plus accru mais Ô combien ridicule.

BL : Si on part du postulat que le féminisme a pour ambition de libérer la femme, de briser le silence et se faire entendre dans un contexte d’autorité patriarcale, où classez-vous véritablement votre œuvre dès lors qu’on voit la femme être l’obstacle de la femme? On peut le voir avec vos sœurs et camarades en France, votre Belle-mère et votre belle-sœur.

LB : Le féminisme est un déterminant, une posture active dans la trajectoire de vie que l’on se donne. Il n’empêche que les violences se font entre les personnes quel que soit les sexes. Les violences sont simplement le fait d’un rapport de force. Celui qui se sent mieux pourvu abuse de celui qui est en position inférieure. C’est hélas, ce que je décris dans mon livre et qui peut s’observer dans tous les milieux sociaux.

LB : Madame Lydie, vous avez certainement des choses à reprocher au féminisme…

LB : Vous me trouvez fondamentalement féministe et vous trouvez que je fais des reproches au féminisme ? Pas du tout, bien au contraire. Ma mère est une des pionnières du féminisme au Cameroun. Je le suis devenue par conviction. Et je le défends mordicus partout où je peux, même en milieu professionnel. Les féministes ont accompli de belles choses. Elles ont relevé les quotas en politique avec des conséquences visibles…mais elles n’ont pas raison d’être parfois, très carrées car la vie nous impose de mettre un peu d’eau dans notre vin car c’est de l’ordre du cycle naturel de la vie.

BL : Finalement, est-ce un malheur que de naitre femme en Afrique ?

LB : Le malheur d’être femme en Afrique?  Je peux y répondre par l’affirmative quand je vois combien de fois on passe à côté de tant de grandes choses qu’on peut faire mieux que les hommes même sans avoir les chances que ces derniers. Les femmes sont rangées dans les couloirs, si elles ne sont pas envoyées aux oubliettes. Ce qui est vraiment un gâchis. Car chaque personne naît quelque part pour une raison. C’est comme être l’enfant d’un parent, on ne choisit pas, on s’en accommode et on s’en épanouie.

Malgré tout, être africaine est la meilleure chose qui me soit arrivée, parce que j’ai une population qui est cliente, qui a beaucoup à apprendre et donc, apporter mon expertise à ce marché est une grande satisfaction.

BL : Vous sentez-vous à l’aise dans votre peau de femme ?

LB : Très à l’aise…une belle femme en plus. (Rires) Comme  c’est le cas pour plusieurs femmes, je regrette juste le fait de trop me battre pour démontrer que j ai des capacités et une intégrité supérieure à beaucoup d’hommes.

BL : En tant que femme, quel regard vous, vous portez sur les hommes?

LB : Je trouve que les hommes sont naturellement chanceux. Même les hommes très moyens se fondent dans la masse alors que les femmes, même dix fois plus brillantes, doivent se battre pour prouver qu’elles ont leurs places.

Je me dis surtout que la plupart des hommes ne tendent pas toujours la main aux femmes, et c’est un vrai gâchis car elles réussissent souvent là où beaucoup d’hommes échouent.

BL : Dans « Tu t’appelleras Tanga », Calixthe Beyala fait du corps féminin une arme de combat. Vous refusez l’appropriation du corps dans l’affirmation de soi. La preuve, vous n’avez pas cédé à « l’épreuve » des enseignants à l’Université de Ngaoundéré. Comment expliquez-vous ce contraste quand au même moment vous défendez la même cause : la « libération de la femme » ?

LB : Comment parler de libération quand il s’agit clairement de l’exploitation du corps de la femme ?Je ne pense pas. La femme doit se libérer, par sa formation,  ses compétences et son mérite et non en bradant son corps comme moyen pour parvenir à ses fins. Notre corps doit revenir à celui qui a réussi à conquérir notre cœur.

BL : Dans votre Confidence à PAT, vous dites à la page 182:  » …il ne faut pas avoir à faire à des personnes de faible condition de vie ». C’est dire que pour vous, le « riche » devrait se mettre en couple avec le « riche  » et le « pauvre  » avec le « pauvre »? Si l’affirmative est votre position, n’êtes-vous pas en train de tomber dans ce que vous condamnez : l’injustice ?

LB : C’est en effet un constat malheureux. Parfois les différences de classes sociales suscitent les divergences de point de vue. Les disparités créent trop de complexes d’infériorité ou aussi de supériorité entre les individus. L’idéal serait que l’amour soit gagnant.

BL : Dans votre roman, vous revenez d’Europe après une aventure foireuse. Et en vous lisant par la suite, à la page 157, vous proposez l’aventure de nouveau :  » je lui fis la proposition que nous tentions l’aventure de l’immigration vers l’Amérique. » Qu’est-ce qui vous garantissait que l’histoire ne devait pas se répéter ?

LB : Cette fois, ce serait plus légal et en famille et comme le dit l’adage : Ensemble on est plus fort. C’était donc ce qui m’aura animée.

BL : Vous dirigez une association ou une ONG. Quelle en est la genèse et quels sont les buts visés ? Vous avez peut-être un appel à lancer aux bonnes volontés pour vous appuyer…

LB : Comme je l’ai dit plus haut, ma mère qui est pionnière, a co-fondé l’Association avec un groupe de féministes. Moi je suis simplement inscrite dans la continuité. L’ALVF vise la défense des droits des enfants et des femmes.

BL : Vous avez certainement des projets en matière de littérature…

LB : Logiquement, ces deux livres méritent une suite, mais je souffle un peu en profitant de mon nouveau bonheur.

BL : Votre mot de fin

LB : Pour finir, je dirais que je n’avais pas moi-même mesuré jusqu’à quel point j’avais porté mes doléances au Seigneur à travers ces deux livres autobiographiques. Parcourez  de nouveau ces livres et leur prophétie … le Dieu des Miracles m’a exaucée. Mon nouveau bonheur, c’est que depuis 9 mois, je suis l’heureuse maman naturelle de deux magnifiques enfants, un garçon et une fille.

Interview réalisée par Mohamed DIM, pour https://biscotteslitteraires.com/2021

[1] https://biscotteslitteraires.com/2021/interview-avec-andre-ngoah/

 

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