Interview avec Méchac ADJAHO (MA)

Interview avec Méchac ADJAHO (MA)

« Je ne comprends pas pourquoi je dois répondre à des questions alors que je n’ai pas fini de formuler les miennes à l’univers  » Méchac ADJAHO (MA)


 

BL : Bonjour Monsieur Méchac. Nous sommes heureux que vous soyez des nôtres. Un mot sur vous-même, pour commencer.

MA : Bonjour. Je suis didacticien de la musique. Je passe le clair de ma vie à montrer aux autres comment produire un son musical dans leur voix ou un instrument et en faire un sport de haut niveau. A côté, je m’adonne à quelques performances en tant que flûtiste à bec et j’écris de la poésie

BL : A quand remonte votre rencontre avec la musique et la littérature?

MA : A mon enfance. Ma petite enfance. Mon père était à la fois homme de lettres, homme de culture et musicien. J’ai appris dans ses culottes. Guillaume Coffi Adjaho pour ne pas l’inhumer (lol)

BL : Que vous ont-elles apporté concrètement, la musique et la littérature?

MA : La musique m’apporte équilibre et épanouissement. Un sentiment d’accomplir ma mission sur terre, à l’opposé d’un emploi rébarbatif pour arrondir les angles, accompli avec aigreur et dépression. La littérature m’apporte la certitude de ma sensibilité et de celle des autres. Le monde est encore beau. Et les mots savent le dire. Admirablement

BL : Vous êtes auteur compositeur flutiste. Quel plaisir y a-t-il à se  consacrer à la flûte et non à l’orgue ou à la guitare par exemple.

MA : La flûte est un instrument facile à transporter (je suis paresseux en logistique). Il fonctionne sans l’énergie électrique (denrée rare dans mon pays, le Bénin). Et j’avoue être espiègle de nature, j’ai choisi la flûte après avoir joué de tout. Je trouve ça original, pas commun, assez subtil, sexy et côté marketing il y a pas beaucoup de concurrence

BL : Méchac c’est à la fois la danse, le slam et le jazz. Comment vous trouvez-vous le temps d’écrire avec une vie aussi mouvementée?

MA : La vie c’est le jour et la nuit, la pluie et le soleil, la tension et la détente. Quand je finis de faire la musique, je me pose. Vous savez, personne ne chante sans s’arrêter. L’anatomie nous impose de respirer et de prendre du souffle. Dieu n’est pas bête. Et dans cette pause je positionne ma plume pour dire les choses. Mais pour être franc, j’écris par urgence. Je n’attends pas un moment. Je ne choisis pas. Les mots et les idées parfois se bousculent dans ma petite cervelle en permanent chantier. J’obéis, je prends un stylo et je prends acte de l’inspiration du moment

BL : La musique fait aussi partie des grandes œuvres d’art. Et toute œuvre d’art doit apporter un message au public. Ne pensez-vous donc pas que la musique doit s’insérer dans cette logique et servir de canal pour éduquer et instruire ceux qui l’écoutent?

MA : Je suis vieux jeu et conservateur. Une musique qui n’apprend rien aux auditeurs est de la pure animation. Dans ce métier il y a les vrais musiciens et il y a les animateurs. Mais chacun fait son travail, en réalité. Vive la diversité des jobs dans le présent siècle !

BL : Que dites-vous alors de ces musiques qui ne contiennent aucune littérature, c’est-à-dire ni message ni parolier concret ?

MA : C’est de l’animation. Des pilules pour gens hyperactifs ou parfois des aphrodisiaques avec des soupirs sauvages et bestiaux. Et c’est aussi une branche du métier. Cela, par contraste technique de faire une lumière intéressante sur ceux qui font un travail différent

BL : L’une des définitions classiques et universellement admises de la musique est celle qui croit que la musique est l’art de combiner les sons d’une manière agréable à l’ouïe. Pensez-vous que les artistes en tiennent toujours compte? Si non que faut-il faire pour y remédier et hisser ainsi la musique béninoise sur le toit africain et la faire entrer dans la valse universelle?

MA : En réalité d’un point de vue académique (oui j’enseigne à l’Université) cette définition est dépassée. Dans la mesure où en musique de film par exemple le but est parfois d’effrayer le téléspectateur avec une musique d’horreur, pas agréable du tout. Mais il faut reconnaître que dans le showbiz le mélomane lambda qui se dirige vers une musique n’y va pas pour se faire énerver. A la notion d’art, est lié l’art de plaire. Mais ce qui choque peut plaire à une frange plus ou moins importante de la cible potentielle, des consommateurs. Du coup, il y a des attentats musicaux qui se vendent bien. Mais souvent ils font long feu et quand ils sortent en été, ne parviennent pas à fêter Noël le mois de décembre suivant leur lancement. Que faire ? Renoncer à redresser les poissons retors et (s’)investir dans l’éducation de nos enfants (futurs artistes, futurs décideurs, futurs acheteurs et promoteurs de musique…

BL : Vous arrive-t-il parfois de transcrire une inspiration écrite en musique ou vice-versa ?

MA : Oui. Plus souvent que je n’ose l’admettre.

BL : Monsieur Méchac, que pensez-vous de cette proposition? : Commencer à chanter les poésies de certains poètes béninois…

MA : C’est une nécessité historique. Que le chanteur s’intéresse aux poèmes écrits pour des adaptations et que les poètes aussi s’intéressent au travail des artistes qui leur « parlent » afin d’écrire des textes originaux déjà bien segmentés pour être chantés et incorporant l’univers du créateur. Il ne faudra pas oublier de faire une mise à jour à mes collègues sur la question des droits d’auteur. Parce que la peur de ne pas être vu et de ne pas gagner assez d’argent et de se faire gruger a plombé bien de jolis projets de travail en équipe.

BL : Avec éclats de vers, vous avez fait votre entrée dans l’univers poétique du Bénin. Dites-nous: qu’est-ce qu’un poète?

MA : Ma réponse à cette question se trouve dans le premier poème POESTHETE dudit recueil. Je cite, p.13 « Je suis un de ces oiseaux qui se cachent Pour nourrir un peuple qui se meurt« . Un poète fait partie des unités d’urgence qui sauvent nos peuples capitalistes de la mort intellectuelle. « Car les morts sensibles aux mots ne sont pas morts » (poème Mes Mots, p. 45)

BL : Qu’est-ce qui vous a motivé à écrire éclats de vers?

MA : « Le désir de lire la vie pour en écrire à l’envers, l’endroit où se cachent les vers, qui rongent l’ennui, le jour! » Et cris et Lignes, in ECLATS DE VERS, p.132. Voilà ma motivation.

BL : Pourquoi ne pas le dire aussi à travers une chanson qui voyagerait certainement plus vite que des mots figés et condamnés à l’immobilisme dans un livre qui ne sera peut-être à la portée de tout le monde?

MA : L’immobilisme des mots figés et condamnés dans un livre est une illusion. Les mots ont une double vie. Ils sont dans les livres mais aussi dans les esprits des lecteurs qui les transportent volontiers sur leurs lèvres entre deux ou trois discussions quand des extraits remontent à la surface de leur mémoire. Mais il est vrai que la musique a le chic de vous faire chiquer la poésie sans rechigner. Un album se prépare dans le secret (bof) et propose d’être au carrefour de la poésie, du chant et de la musique africaine bien épicée aux ingrédients contemporains. Je ne dirai pas plu…me pour le moment.

BL : Qu’est-ce qui éclate finalement dans « Eclats de vers »? De quels vers s’agit-il en réalité?

MA : Brisures de vie, rayons de soleil, tessons de politique, fragments de vie, fresques de paysages, bribes d’esthétique et soupirs spasmiques d’amour. Boum!

BL : Vous classez-vous d’emblée dans la catégorie des poètes engagés qui ne prennent la plume que pour dénoncer le mal?

MA : Engagé oui. Mais on n’a pas que cela à faire. Dans Eclats de vers vous avez des textes purement contemplatifs comme « Tu es la tanière du prince, la printanière et la seule hirondelle » (p. 146) mais aussi des coups de gueule politiques comme POLYETHIQUE où on peut lire, je cite: « L’érection de la honte et de l’humiliation bande les yeux à une bande d’indignes en quête d’orgasme patrimonial » (p. 122). Dans la première catégorie, il fait beau. Dans la seconde par contre, il pleut. La vie est ainsi faite. Le cycle des saisons. Et Eclats de vers, ce sont des Encarts de vie, des bouts de vie essaimés par terre, pour que germe l’espoir de boire jusqu’au lire le calice du plaisir d’avoir bien vécu.

BL : Quelle place, selon vous, la littérature occupe-t-elle dans la culture béninoise?

MA : La culture béninoise est un carrosse qui n’a pas les quatre roues, autrement je dirais que la littérature en est la 5ème. Toutefois, reconnaissons que la production littéraire a du sang neuf et plus de pertinence que par le passé. Toujours est-il que l’industrie du livre dans son articulation efficiente reste un vœu pieux, abandonné au pieu de l’amateurisme et de l’improvisation.

BL : Vous aimez souvent vous définir fondamentalement comme un enfant. En témoigne ce post du 29 Avril 2017 sur votre page Facebook : « A l’Institut Français, à dix minutes d’un spectacle de théâtre où je m’éclate comme un enfant (c’est ce que je suis, bref! » Que représente pour vous « être enfant »?

MA : Un enfant sait rester frais, dans le corps et dans l’esprit. Un enfant sait espérer et recommencer. Un enfant ne s’embarrasse pas de préjugés idiots et futiles sur les autres. Un enfant** veut apprendre, découvrir et reste ouvert. Un enfant n’oublie jamais de s’amuser et de prendre son pied. Un enfant s’ouvre à la vie et se renouvelle dans le temps, dans l’espace. J’approche mes 40 ans mais je refuse d’être un de ces adultes aigris et constipés par des fioritures et pris en étau par une péremption qu’ils ont décrétée de plein gré. Jamais!!!

BL : Un mot à l’endroit de ceux qui hésitent à choisir entre la plume et le micro…

MA : Qu’ils choisissent d’être eux-mêmes. S’ils sont d’humeur plurielle, alors qu’ils fassent les deux. Autrement, l’un et l’autre conduisent au paradis. Mais il faut être pointu dans ce qu’on fait. Un collègue et ami (Bib) a refusé de choisir entre la plume et le micro, selon un journaliste spécialisé. C’est le seul point que nous avons en commun dans la vie (sourire). Assumer une « bisexualité » esthétique entre la littérature et la musique.

BL : Si la plume ne nourrit pas son homme chez nous, le micro le fait-il? Ou faut-il joindre nécessairement les deux pour s’en sortir? Autrement pourquoi ne pas abandonner et se consacrer à ce qui nourrit et qui semble plus utile?

MA : L’homme est pluridimensionnel et celui qui a compris la vie doit nourrir son corps mais aussi son âme et son esprit. La rentabilité financière concerne la nourriture du corps et les besoins matériels. A moi, la musique et la littérature apportent la précieuse nourriture de l’âme. A côté, j’essaie de faire d’autres activités (formations, consultations, etc) pour payer les factures et m’occuper de la famille. Et jusque-là le compte est bon…heur!!!

BL : Votre mot de fin

MA : Je ne comprends pas pourquoi je dois répondre à des questions alors que je n’ai pas fini de formuler les miennes à l’univers (sourire). Je souhaite que mes compatriotes aillent mieux socialement et financièrement. Le citoyen qui « n’a pas mangé » achètera rarement un livre ou un disque!

 

 

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