« L’écrivain est la terre où la cendre doit redescendre. L’écrivain est la terre où la cendre doit redescendre. C’est une torche qui éclaire, même à travers les interstices, les coins les plus opaques de l’âme et de l’esprit. C’est le guide et le prophète. Son rôle est d’être pour le peuple ce que sont les yeux pour le corps.»
BL : Bienvenue sur notre blog, Mr Ricardo AKPO. Nos lecteurs désirent connaitre un peu plus l’auteur de « Brin d’hysope ».
RA : Je tiens d’abord à remercier le blog qui m’offre l’opportunité de m’exprimer. Je suis Ricardo AKPO. Je viens de finir la troisième année d’histoire-géographie à l’Ecole Normale Supérieure de Porto-Novo. Je suis un simple passionné de lettres. Je viens de publier chez Solara Editions mon premier recueil de poèmes: « Brin d’hysope ».
BL : Vous êtes un passionné des lettres. Pourriez-vous nous dire comment elle est née, cette passion ?
RA : La genèse de ma passion pour les lettres est une énigme que je cherche encore à déchiffrer. Je suis fils d’enseignant. Ce dernier mettait tout à ma disposition pour l’épanouissement de mes études. Enfant, je fouinais mon nez dans les livres le soir à la maison sans forcément savoir ce que je cherchais réellement. Progressivement le feu de la lecture m’a embrasé du sinciput au calcanéum. Je devais lire chaque soir avant de dormir, autrement, je ressentais quelque chose comme la gale qui me grattait la peau et l’esprit. Je peux donc dire que cette passion a pour socle la curiosité fortuite de connaitre la formation et le mystère que comporte chaque lettre, chaque mot. Mais, il faut avouer que ce qui était né comme amour de la lecture a été soutenu par mon père. Quand j’étais encore au primaire, pendant les vacances, je devais lire deux ou trois livres. Quand je n’y parvenais pas, mon père, un grand observateur qui ne cessait d’épier le moindre de mes gestes et mouvements me mettait déjà en garde. Il me notifiait, avec fermeté, que si je ne faisais pas ce que je devrais faire, c’est-à-dire m’occuper de mes livres de lecture, qu’il ne servirait à rien de l’approcher pour mes petits besoins. A l’entendement du mot ‘’besoin’’, je courrais, tel un diarrhéique pour m’accoler à mes livres. Une autre occasion pour moi de lui témoigner mes sentiments de reconnaissance et d’amour. Au départ, c’était un peu dur et j’en venais à passer des journées avec une mine déconfite car de loin, je regardais mes amis jouer au football sans pouvoir oser les rejoindre. (Rire). Et je crois que cette flamme de lecture dont il a pris soin très tôt, m’a fait du bien. Mais il faut avouer que bien que j’aimasse lire juste pour mon propre plaisir et pour améliorer mon style, l’idée d’écrire un livre ou quoi que ce soit ne m’avait jamais traversé l’esprit. C’est venu progressivement sous l’effet de la lecture régulière et l’envie de faire comme ceux que je lisais.
BL : Vous êtes un jeune auteur. Pour vous, quel est le rôle de l’écrivain en cette ère de la mondialisation où l’innovation et la modernisation semblent l’emporter sur la culture ?
RA : L’écrivain est la terre où la cendre doit redescendre. C’est une torche qui éclaire, même à travers les interstices, les coins les plus opaques de l’âme et de l’esprit. C’est le guide et le prophète. Son rôle est d’être pour le peuple ce que sont les yeux pour le corps. Et en cette ère de la mondialisation, son rôle s’avère énorme pour la préservation de la culture. La culture est le substrat de l’existence de tout peuple. Sans elle, le peuple deviendrait étranger à lui-même. La plume de l’écrivain ne doit donc pas être laudative pour impressionner un huppé ou attirer ses bonnes grâces, mais une plume qui ose, qui console, qui attendrit et qui défend.
BL : Vous avez fait votre entrée dans l’arène littéraire béninoise avec votre premier recueil de poèmes ‘’Brin d’hysope’’. Qu’est-ce pour vous la poésie et quel lien entretenez-vous avec elle ?
RA : Ma conception de la poésie est beaucoup plus subjective. La poésie est comme une lande où chaque métayer, sans épuiser la terre, s’en approprie une portion, la défriche de la plus belle des manières selon que ses capacités le lui permettent pour y tracer des sillons d’avenir. Faire de la poésie, c’est d’abord entrer en dialogue avec soi-même, sans hypocrisie ni faux fuyant, pour reconnaître ses forces et ses potentialités mais aussi ses limites, sa fragilité et sa vulnérabilité…. Un peu comme le disait Aimé Césaire : « la connaissance poétique est celle où l’on éclabousse l’objet de ses richesses mobilisées’’. Le lien que j’entretiens avec la poésie est celui de porter un regard sur moi-même, de mieux me connaitre avant de pouvoir mieux regarder l’autre qui est un autre moi-même.
BL : « Brin d’hysope », à quoi devons-nous nous attendre ?
RA : Quel lien de ressemblance de forme peut-on établir entre le fût et le brin, ou le brin et le ciron ? La petitesse ! Le brin qui arbore la légèreté de la vie humaine qui n’est que chêne au bas du mont, se joint à l’hysope dépuratrice pour épurer l’âme humaine. « Brin d’hysope » est une voix voulue contralto qui pleure, tendre, qui console, confiante, qui encourage, gaie, qui chante, pensive, qui questionne et humble qui s’incline devant le Transcendant.
BL : On peut dire que le titre de votre recueil a une origine biblique et ou religieuse…
RA: Après avoir commis son forfait en faisant tuer Urie le Hittite et en couchant avec sa femme, David entra en lui-même et se rendit compte de la gravité de son crime quand le Seigneur lui envoya Nathan. Dès lors, il se confondit en remords et regrets tout en demandant miséricorde à Dieu. C’est un peu le contenu du Psaume 50. C’est un chapitre de la Bible qui m’a toujours laissé pantois et méditatif sur la patience et l’amour de Dieu pour ses créatures d’une part, et l’humilité de David qui reconnait en toute conscience sa faute, d’autre part. Le manque d’humilité et le refus de reconnaitre de ses fautes font qu’aujourd’hui plusieurs relations humaines se détériorent. L’inacceptation de ses erreurs qui découle de l’arrogance, tord le cou au principe de l’amour fraternel. « Brin d’hysope » est donc aussi une prière vivante à Dieu, prière d’une âme souillée, mais qui le reconnait et demande à être dépurée en faisant référence au lyrique psaume davidique, le psaume 50 de la Bible : « Purifie-moi avec l’hysope, et je serai pur ; lave-moi et je serai blanc, plus que la neige« . On peut donc dire que, fors le côté littéraire et poétique, « Brin d’Hysope » a une essence religieuse. « Brin d’hysope« , c’est la prière d’un poète qui est avant tout chrétien et qui met sa petitesse dans les mains de Dieu, l’artisan de sa vie et de son destin.
BL : Quels sont vos auteurs-poètes préférés qui vous inspirent dans votre projet artistique poétique ?
RA : Beaucoup d’auteurs m’inspirent. Mais mon penchant est beaucoup plus du côté des poètes classiques. Ces grandes âmes comme Virgile, Ovide, Dante Hugo, Lamartine, Prud’homme, Chénier qui ont tant chanté la création avec une verve séduisante. Mais le plus aimé reste Hugo Marie-Victor pour son trop plein de génie, son travail, son immensité, sa profondeur, sa sagesse et la clarté de son style enchanteur.
BL : Cela se comprend, car lorsqu’on lit « Brin d’hysope », on a l’impression de revivre et d’humer l’effluve agréable du style des poètes du classicisme et du romantisme. Qu’est-ce qui explique cette préférence pour la poésie classique ?
RA : Le Classicisme est un mouvement du XVIIème siècle qui a commencé sa manifestation vraiment avec la création de l’Académie française en 1634 et qui connaitra son apogée de 1660 à 1715. C’est un mouvement qui s’oppose au Baroque qui est un monde changeant, chaotique avec un vocabulaire hyperbolique et surchargé. Le classicisme se caractérisant par l’ordre, la clarté, la mesure, la retenue, il est une écriture maitrisée qui se plie à des exigences. Et ce sont ces exigences au niveau des règles qui font son essence et sa particularité. La règle de la vraisemblance, de la bienséance et des trois unités au théâtre. Le classicisme, c’est le souci de légiférer la création littéraire, d’imiter la nature et les Anciens (Grecs, Latins) et de se conformer à la raison. Pour le Classique, la nature est une œuvre de Dieu, donc parfaite. Une œuvre d’art classique n’est donc réussie que quand elle imite la nature, la chante, dans son fond comme dans sa forme en y mettant de l’ordre. C’est une œuvre qui doit plaire et instruire. Le classicisme, c’est aussi de la musique, de douces notes qui se dissimulent à l’intérieur de chaque vers et dont la diction rend l’effet acoustique perçant et tendre à l’esprit comme à l’âme. Je suis donc tombé amoureux de ce mouvement pour tout ce qu’il renferme comme exigence et rigueur dans l’écriture. Surtout en poésie où le respect des pieds s’avère la première et importante règle. Et j’ai choisi de continuer sur ce sentier rempli d’exigences pour m’imposer à moi-même de la rigueur dans mon style et en essayant de travailler au quotidien pour me parfaire.
BL : Outre le classicisme qui émane de votre livre, à la lecture de vos poèmes, on remarque que vous êtes hugolien endurci. Auriez-vous été influencé aussi par le romantisme du XIXème siècle ?
RA: Le Romantisme, contrairement au Classicisme, est un mouvement qui porte sur la liberté d’expression de ses sentiments. Il s’oppose au classicisme par la prédominance de la sensibilité et de l’émotion intrinsèque sur la raison et la morale. Même si ces deux mouvements restent classiques de par le style d’écriture, les idées matrices composant chaque mouvement divergent. C’est un mouvement qui réclame la liberté dans le style, la possibilité pour l’auteur d’exprimer ses propres sentiments, d’épancher son cœur, de peindre son âme fût-elle joyeuse ou remplie de spleen. C’est donc un courant qui veut que l’écrivain aille puiser aux sources profondes de son cœur la vraie et unique émotion, même douloureuse, car comme le dira Germaine de Staël (l’un des précurseurs de ce mouvement en France avec René de Chateaubriand comme l’ancêtre) « aller jusqu’au fond de tout, c’est aller jusqu’à la peine ». Et si Rousseau, en philosophie, et Chateaubriand, en littérature, ouvrent respectivement la brèche avec ‘’La nouvelle Héloïse’’ et ‘’Atala’’, Lamartine donnera la preuve avec son recueil de poèmes ‘’Les Méditations Poétiques’’ singulièrement avec le poème ‘’Le Lac’’ où l’auteur oscille entre les sentiments douloureux et l’espérance, et où le lyrisme et l’élégie s’embrassent pour faire couler comme des laves l’espace intrinsèque d’un cœur bleu. Dans sa préface de ‘’Cromwell’’, Victor Hugo (qui, à 14ans clama publiquement « Je veux être Chateaubriand ou rien ») lance les rets solides de ce mouvement avec des phrases très fortes « La poésie a trois âges, dont chacun correspond à une époque de la société : l’ode, l’épopée, le drame. Les temps primitifs sont lyriques, les temps antiques sont épiques, les temps modernes sont dramatiques. Le drame est la poésie complète. C’est au drame que tout vient aboutir dans la poésie moderne. Le caractère du drame est le réel. Le réel résulte de la combinaison toute naturelle de deux types, le sublime et le grotesque, qui se croisent dans le drame comme ils se croisent dans la vie et dans la création. Car la poésie vraie, la poésie complète est dans l’harmonie des contraires… Tout ce qui est dans la nature est dans l’art ». Posant ainsi les premières bases de ce mouvement de façon rationnelle, il lancera la hampe dans le cœur des classiques avec sa pièce de théâtre ‘’Hernani’’ qui va à l’encontre des règles prescrites par le classicisme, comme la règle de la bienséance (où la pièce ne doit rien montrer de dramatique, comme la mort, le sang etc.) et la règle des trois unités (où la pièce doit se dérouler en un seul lieu, une journée, sur trois temps : matin, midi, soir). Une pièce qui a suscité moult polémiques mais qui le hissait sur le Pégase de la poésie romantique et faisait de lui le véritable Père de ce mouvement. C’est un Poète que j’admire beaucoup pour maintes raisons. J’aime le lire tout comme j’aime lire d’autres écrivains romantiques comme Théophile Gautier, Stendhal, Alfred de Musset, etc. C’est donc possible que je sois influencé par ce mouvement. En effet, avant d’être une lumière pour la société, le poète doit d’abord être une lumière pour son propre cœur qu’il pourra laisser s’épancher sans honte ni trouble au visage. Si pour les romantiques, le but principal est de décrire le mal du siècle, il est impératif qu’ils décrivent aussi le mal de leur âme et de leur esprit. Et dans « Brin d’hysope », je me suis plié à cet exercice. Les envolées lyriques qui rencontrent celles élégiaques, le tout provenant d’un cœur sincère…
BL : En lisant « Brin d’hysope », on note cette démarche triviale où l’inquiétude métaphysique s’allie au spiritualisme religieux, à l’amour humain, à la mélancolie romantique, au sentiment de la nature pour recréer le monde. On sent même une invitation à s’incliner devant la volonté divine, même incompréhensible. Dites nous, quel lien établissez-vous entre Dieu et la poésie?
RA: Oui ! Ma poésie, c’est Dieu.
C’est bien lui qui m’inspire
Chaque jour, en tout lieu
Ce que je dois écrire.
C’est lui qui met le souffle
Pieux au bout de ma muse,
Souffle qui m’époustoufle
Parfois quand, dru, il fuse.
Lui qui fait le ciel beau,
L’azur bien rayonnant
Et le pare d’oiseau
Aussi gai que pimpant ;
Lui qui fait, ô, la terre !
La perle de verdure,
Le jour, lui offre lumière
Qui brille la nature ;
Lui qui fait la nuit sombre,
Mais la pare d’étoiles
Au sourire sans nombre
Illuminant nos toiles ;
Lui, au bout de toute chose,
Qui met son grand amour,
Comme la belle rose
Qu’il fait, gaie, que le jour.
Lui qui fait la mer vaste,
Ses lames peu tranquilles ;
Le lys pur et dont, chaste,
Le baume ému les villes ;
C’est lui qui, dans mon cœur,
Fait naitre mes pensées,
-Ô ! de mainte couleur-,
Très lentes ou pressées ;
Bénissons, dans la foi,
Dieu notre père céleste,
Qui, nous donnant sa loi,
Laisse la terre et le reste,
Pour qu’on en prenne soin.
Mais continue d’éclore,
Dans notre tête et coin,
Sa pensée-météore.
Ce qui éclot dans mon âme
S’achève dans son cœur.
Il le pare de flamme
Pour qu’il ait bonne odeur.
Oui ! Ma poésie, c’est Dieu.
C’est bien lui qui m’inspire
Chaque jour, en tout lieu
Ce que je dois écrire.
BL : Vous avez certainement d’autres projets en cours. Voudrez-vous bien les partager avec nos lecteurs ?
LRA : J’ai de projets en cours. Mais je préfère mettre le lectorat devant le fait accompli. (Rire).
BL : Votre mot de la fin.
RA : Je réitère mes remerciements au blog Biscottes Littéraires pour ses nobles activités dont l’une est de faire sortir de l’alcôve opaque les auteurs tapis dans l’ombre. Je lui souhaite beaucoup de détermination et de courage. Je tiens également à nous dire, à nous jeunes, de croire en nous-mêmes, de rêver grand, et de toujours travailler pour la concrétisation de nos rêves. Que ma langue s’attache à mon palais si j’oublie de remercier Solara Editions pour leur confiance. Sans elles, « Brin d’hysope » n’aurait peut-être pas encore vu le jour. Je saisis ce canal pour inviter les amoureux de la littérature à prendre part au lancement de « Brin d’hysope » ; ce sera le samedi 13 Juillet à 10h00mn dans l’enceinte de l’Ecole Normale Supérieure de Porto-Novo. Le livre est déjà disponible en ligne sur http://www.lulu.com/shop/ricardo-akpo/brin-dhysope/paperback/product-24015788.html. Il sera bientôt disponible dans les librairies du Bénin au prix de 5.000fcfa. Mais on peut déjà se le procurer en s’adressant aux numéros suivant : (00229)94107404 ; 96154077 ; 91000335 ou encore au +1 9179132414. Vive la littérature béninoise !!! Vive la Poésie !!! Merci.