Isabelle OTCHOUMARE: « Les violences sexuelles sont à décourager »

Isabelle OTCHOUMARE: « Les violences sexuelles sont à décourager »

« Les violences sexistes et sexuelles sont à décourager. Cette pratique est monnaie courante dans plusieurs secteurs du monde professionnel. » Ainsi s’exprime, chers amis, celle que votre blog reçoit pour vous en interview ce jour. Elle s’appelle Isabelle OTCHOUMARE et nous vient du Bénin. Découvrons-la dans  cette interview. Bonne lecture à tous!

BL: Bonjour Mme Isabelle OTCHOUMARE. Merci de nous accorder cette interview. Veuillez-vous présenter aux lecteurs.

IO : Je suis Isabelle OTCHOUMARE, béninoise, mère de deux enfants. Juriste, Journaliste, Secrétaire de Rédaction à Radio CAPP FM (99.6 Mhz) à Cotonou, Ecrivaine, Coach média, Consultante en Genre et Média, Activiste de l’égalité et l’équité.

Je milite contre les violences basées sur le genre (VBG) et pour l’épanouissement des personnes vulnérables.

BL: Polyvalente, vous cumulez plusieurs qualifications dont celle d’écrivaine. Comment et quand est né cet amour pour la chose littéraire ?

IO : J’ai toujours été passionnée par la lecture et l’écriture. Dans l’exercice du métier de journaliste, je pratique au quotidien l’écriture informative. De l’écriture journalistique, je passe progressivement à d’autres genres littéraires et je continue de renforcer mes capacités car je suis une perfectionniste.

BL : Activiste et infatigable défenseuse de la cause des femmes et de l’égalité des genres, vous adoptez entre autres armes l’écriture, chasse gardée de la gent masculine qui s’y illustre le plus. Serait-ce là une manière pour vous d’exprimer votre émancipation ?

IO : Pour moi, l’écriture peut influencer le débat sur le concept genre. Car c’est par les écrits qu’on diffuse la pensée. Et toute action a pour point de départ la pensée. Donc, diffuser largement les histoires de vie et les bonnes pratiques par le biais d’un livre, c’est les rendre éternelles et accessibles dans le temps et dans l’espace. Si je dois personnellement aller d’école en école, de village en village, je ne répéterai pas le même contenu avec la même fidélité mais le livre permet de le faire, d’être dans les salons que je ne peux pas pénétrer, dans les bureaux que je ne peux pas ouvrir, dans des bibliothèques lointaines et de dire à des inconnus, hommes comme femmes que la femme n’est pas à discriminer, que la personne vivant avec un handicap, il faut lui donner les moyens de sa résilience, c’est-à-dire lui permettre de transformer sa faiblesse qui est le handicap en opportunité. Et pour moi, c’est un livre qui peut permettre cela. C’est l’outil que j’ai, en tant qu’individu pour contribuer au changement social de mon pays.

BL : Vous avez fait de la lutte contre les violences basées sur le genre votre sacerdoce. Ce n’est certainement pas là une mission improvisée du jour au lendemain. Quelles sont vos motivations ?

IO : Je suis une libre penseuse conservant une grande sensibilité pour les questions liées au genre. Stéréotypes sexistes, discriminations et violences basées sur le genre. Voilà, entre autres, les maux qui minent la société béninoise au quotidien. Et je ne saurais rester insensible à ces maux.

 Dans mon environnement social, j’ai vu des femmes ployer sous les coups de leur mari, j’ai eu des témoignages de femmes violées ou victimes d’autres formes de violences. Et je coulais des larmes d’amertume. J’ai été victime de harcèlement moral et sexuel mais j’ai tenu bon. C’en était trop et à un moment donné, j’ai crié haro sur les violences faites aux femmes et aux filles.Voyant donc l’ampleur du drame, j’ai décidé d’être la porte-voix de  toutes les femmes et filles qui souffrent en silence, de me battre pour que justice leur soit rendue et le combat se poursuit.

BL : « Déséquilibre », votre premier et unique ouvrage à ce jour, est l’outil que vous avez choisi pour restaurer ou instaurer un équilibre homme-femme chancelant et quasi inexistant. Parlez-nous de la genèse de ce livre ?

IO : Édité avec le soutien de la Fondation Friedrich Ebert, le livre « Le déséquilibre » a été officiellement lancé le 20 février 2017 au siège de la Fondation à Cotonou.

Le déclic de la publication de cet ouvrage a été ma collaboration avec l’Organisation Non Gouvernementale Gender Links avec qui j’ai travaillé, entre 2015 et 2016 comme consultante média sur les questions liées au genre au Bénin. Gender Links est ONG intervenant dans 15 pays de l’Afrique australe. Cela m’a permis de toucher du doigt certaines réalités de notre société notamment la discrimination et les violences basées sur le genre, les disparités, l’exclusion etc. Après cette expérience, j’ai décidé de partager avec le public, quelques résultats de mes enquêtes afin d’éclairer les Béninois(es) sur les réalités socioculturelles et économiques vécues par les plus vulnérables et bien sûr les femmes au Bénin. Quand j’ai fini d’écrire les articles, j’étais à la recherche d’un mécène pour l’édition de l’ouvrage. Et ce mécène n’a pas tardé à venir car la Fondation Friedrich Ebert à qui je réitère ma gratitude a décidé de soutenir l’initiative qui se veut un appel à la réflexion collective sur le chemin de l’éradication des inégalités entre les sexes.

En publiant cet ouvrage, j’ai surtout voulu favoriser la portée des sensibilisations du gouvernement, des organisations internationales et des associations de femmes sur le genre au Bénin. J’estime que si j’arrive à éclairer le plus de compatriotes sur les réalités et défis liés aux genres, j’aurais contribué à améliorer la sensibilité de chacun aux maux qui plombent les efforts de développement. Et si ceci est fait à un degré élevé, nous allons déclencher les changements de comportements   indispensables pour la résilience des plus vulnérables. »

Je tiens à préciser que « Le déséquilibre » est illustré par des dessins de presse et cela facilite sa compréhension. Et pour le rendre accessible, j’ai noué le partenariat qu’il faut pour que le document soit gratuit. Ceci permet une large diffusion et le livre est aussi disponible sur internet. Un outil qui permet une pénétration sans pareille. Vous diriez peut-être que le taux d’analphabétisme est grand. Mais c’est le moyen que j’ai trouvé. Et je suis convaincue que cela est très utile car des bonnes volontés l’utilisent comme support pour des échanges. Des enseignants m’ont fait l’amitié de commencer cette démarche pédagogique dans des collèges, à l’intérieur du pays. J’ai laissé le livre dans des bibliothèques scolaires et universitaires. Tout ceci pour diffuser le message pour provoquer un autre Bénin.

BL : Œuvrer pour l’égalité des genres dans une Afrique et un Bénin aux mœurs profondément machistes et phallocratiques, ne serait-ce pas selon vous peine perdue ?

IO : Non. Pas du tout. Les pesanteurs socioculturelles ont la peau dure certes. Mais grâce au combat pour l’égalité des genres, les lignes bougent petit à petit. Je suis optimiste quant à l’avenir. Même si beaucoup de défis restent à relever, je suis convaincue que les choses vont changer. J’y crois. Lentement mais sûrement, on va y arriver.

BL : Pendant que certaines femmes comme vous œuvrent infatigablement à l’émancipation de la femme, d’autres écrasées sous le poids d’une autorité masculine se résignent et s’y complaisent. Peut-on dans ces conditions espérer un réel changement de la donne ?

IO : Bien sûr. L’espoir est permis.

BL : Les notions d’égalité, d’émancipation et tout le champ lexical qui va avec prêtent aujourd’hui à confusion et suscitent beaucoup de polémique. On accuse les tenants de ces théories d’installer une opposition manichéenne entre les genres. Qu’en dites-vous ?

IO : La lutte pour l’égalité n’est pas un combat contre les hommes. Les hommes et les femmes sont complémentaires. Le féminisme est certes un combat pour les femmes mais pas sans hommes. Il y a d’ailleurs des hommes féministes.

BL : Parlant toujours de genre, il faut reconnaître que le terme aujourd’hui s’élargit et se complexifie. Le genre autrefois réduit au masculin et au féminin, et à la limite au neutre, vire au trans et même au bi ; le féminin se mue volontiers en masculin et vice versa. Dans ce contexte, le débat sur le genre originellement centré sur le masculin et le féminin est-il encore d’actualité ?

IO : Le concept genre a effectivement évolué. Contrairement au sexe (inné) qui est statique c’est-à-dire qui ne peut changer, le genre (acquis) est dynamique c’est-à-dire qu’il peut évoluer. Le concept genre a donc évolué et prend en compte aujourd’hui certaines couches sociales et les groupes vulnérables tels que les pauvres, les personnes handicapés, les jeunes, les personnes de troisième âge qui nécessitent une attention particulière. En 1995, lors de la conférence de Beijing tenue à Pékin, les insuffisances de l’approche intégration de la femme au développement (IFD) ont été relevées. Aussi, la prise en compte de certaines couches démunies de la population a-t-elle été prise en compte à l’unanimité. L’objectif visé par la communauté internationale est de parvenir à un développement basé sur des programmes sociaux prenant en compte toutes les couches défavorisées dans leur inter relation.

L’approche genre ne vise donc pas exclusivement l’amélioration des conditions de la femme mais de toutes les composantes de la société. C’est une approche transversale car elle prend en compte toutes les catégories de la société dans une vision globale de développement.

 Quant aux lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres, queers, intersexes (LGBTQI), ils font partie des minorités sexuelles et de genre (MSG).

Comme le souligne Sandra Bem, une psychologue américaine connue pour ses travaux sur l’androgynie et sur le genre, « Le genre reposant sur des repères et des normes sociales ou culturelles elles-mêmes changeantes, il est plus subjectif et fluide que le sexe biologique. Quant à l’identité de genre, elle découle d’une perception de soi ou d’autrui comme possédant, à des degrés divers, des caractéristiques féminines, masculines ou androgynes. Comme les genres masculins et féminins ne sont pas hermétiques, il peut y avoir passage de l’un à l’autre, ce que l’on appelle le transgenrisme

BL : L’égalité, la totale et effective égalité entre genres est-elle possible selon vous ?

IO : L’environnement actuel n’y est pas trop favorable. Mais j’y crois d’où mon combat.

BL :  Isabelle OTCHOUMARE est féministe, on s’en doute tout de suite. Dites-nous, de quel féminisme vous réclamez-vous ? Du modéré ou de l’extrémiste ?

IO : Je me réclame du féminisme modéré

BL : Pleurs, jérémiades, éternelle posture de victime, c’est cela l’arme de combat de certains défenseurs de la cause de la femme. D’autres préconisent l’affirmation poignante de soi, un sursaut d’orgueil. Quelle attitude les femmes doivent-elles adopter selon vous pour combler le fossé qui les sépare des hommes dans la société ?

IO : Je préconiserais surtout l’affirmation de soi. Pour ce faire, les femmes doivent avoir confiance en elles-mêmes. Les femmes doivent également être plus solidaires, si elles aspirent à l’amélioration de leurs conditions. Elles ne doivent pas attendre des faveurs. Les femmes doivent se battre pour se faire une bonne place aux cotés des hommes. Beaucoup de femmes sont encore dans la résignation totale. Elles acceptent leur sort. C’est vraiment dommage.

BL : Une scène défraie la chronique béninoise à savoir la dénonciation par une journaliste de la télévision nationale du harcèlement et du viol subis au quotidien. En tant que journaliste et activiste de la cause féminine à la fois, quel avis avez-vous du sujet ?

IO : Les violences sexistes et sexuelles sont à décourager. Dans mon ouvrage « Le Déséquilibre », j’ai d’ailleurs consacré deux articles au harcèlement sexuel, une pratique qui ne date pas d’aujourd’hui. Je tiens à préciser que le harcèlement (moral ou sexuel) est partout. Cette pratique est monnaie courante dans plusieurs secteurs du monde professionnel. Ce n’est pas seulement dans le domaine du journalisme. Je félicite les consœurs qui ont brisé le silence et j’encourage d’autres à leur emboîter le pas.

BL : Quelle appréciation faites-vous de la littérature béninoise contemporaine ?

IO : Je pense que la littérature béninoise contemporaine se porte de mieux en mieux. En tout cas, elle a de beaux jours devant elle. Beaucoup d’écrivains béninois se distinguent par leur plume et c’est une fierté. Cependant, tout n’y est pas rose. Beaucoup de défis restent à relever.

BL : Quelle place la femme y occupe-t-elle ? La mérite-t-elle?

IO : Je puis dire que la femme occupe aujourd’hui une place relativement bonne dans la littérature béninoise contemporaine. Elle le mérite bien. Au Bénin, les femmes ont commencé par s’affirmer dans le monde littéraire depuis les années 80. En 1986, pour la première fois, une femme entre dans le cercle des écrivains béninois. Gisèle HOUNTONDJI puisque c’est d’elle qu’il s’agit s’est révélée au monde littéraire avec la publication de son ouvrage « Une citronnelle dans la neige ».  Quelques années plus tard, d’autres femmes lui emboitent le pas. Et aujourd’hui, beaucoup de béninoises s’affirment au travers de leur plume. Elles démontrent ainsi que l’écriture n’est pas que l’apanage des hommes. L’écriture n’a pas de sexe en réalité.

BL : Quel diagnostic faites-vous de l’équilibre homme -femme au Bénin ?

IO : J’ai fait ce diagnostic dans la postface de mon ouvrage « Le Déséquilibre ». Je voudrais bien partager un extrait avec vous, citation : « l’inégalité est la véritable tare de la société béninoise. Elle est tellement évidente et excessive que je suis tentée de dire qu’elle est la source de tous nos maux. Entre discriminions, exclusion et vulnérabilité, le genre vivote dans un grand déséquilibre.

Les populations sensibles (enfants, personnes handicapées, personnes de troisième âge…) sont vulnérables. Les personnes atteintes d’albinisme se retrouvent dans le contexte béninois et africain sujettes à des clichés. Les personnes vivant avec un handicap (visuel, physique, mental) quant à elles sont oubliées dans les aspects opérationnels d’une politique nationale de solidarité qui n’existe que devant les caméras et les journées internationales décrétées par les Nations Unies en leur faveur. Les personnes de troisième âge, les couches infantiles et adolescentes méritent normalement soins et attention. Mais ici, il n’y a ni sécurité sociale ni réelle assurance maladie. La question qu’on est en droit de se poser est : à qui profite le déséquilibre ? La réponse se trouve dans le cœur de chaque béninois qui doit chercher ce qu’il fait dans son milieu professionnel, familial et associatif pour que les plus vulnérables s’arment de résilience pour un mieux-être. ››, fin de citation

BL : Parlez-nous de vos projets littéraires.

IO : Je prépare mon deuxième ouvrage. Je participe actuellement à un projet d’écriture collective.

BL : Où peut-on se procurer votre ouvrage ?

IO : L’ouvrage est disponible au siège de la Fondation Friedrich Ebert et dans certaines bibliothèques.

BL : Votre portrait chinois à présent :

-Un héros ou une héroïne

IO : Mariama Bâ

Un auteur

IO : Ousmane Sembène

-Un personnage historique

IO : Nelson Mandela

-Un plat

IO : Akassa au poisson

-Un animal

IO : Panda

-Un hobby

IO : Lecture

Une phobie

IO : Herpétophobie

BL : Merci Isabelle OTCHOUMARE de vous être prêtée à nos questions. Votre mot de la fin.

IO : Je suis vraiment honorée. Merci infiniment

En guise de conclusion, j’exhorterai chaque béninois et chaque béninoise à œuvrer pour la réduction des inégalités de genre. Car pour moi, donner le signal fort sur l’équilibre genre de manière constante reste essentiel pour réduire les inégalités et rendre le Bénin plus juste. Si les femmes participent à la gestion du pouvoir et aux instances de prises de décisions, sans exclusion avec compétences, et les personnes handicapées sont prises en compte dans l’accès à l’information, aux services publics, aux opportunités de développement de leurs potentiels avec une égale participation à la vie citoyenne, le Bénin serait plus fort et vivant.

 Il est donc souhaitable que toutes les couches vulnérables, exclues ou traitées avec disparité soient l’objet de l’attention de tous.

 

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