« j’invite le lecteur à s’interroger sur le sens de sa propre vie » : Elaz Ndongo Thioye

« j’invite le lecteur à s’interroger sur le sens de sa propre vie » : Elaz Ndongo Thioye

Nous recevons pour vous, en cette dernière interview de l’année 2020, M. Elaz Ndongo Thioye. il nous dit tout. bonne lecture à vous.

BL : Bonjour monsieur Elaz. Heureux de vous recevoir sur notre blog. Veuillez-vous présenter, s’il vous plaît.

ST: Bonjour. L’honneur est mien. Permettez-moi tout d’abord de vous remercier de me recevoir sur votre plateforme. Je suis Serigne Ndongo Thioye et je suis de nationalité sénégalaise. Titulaire d’une Licence en Lettres Modernes et d’un Master en Sciences du Langage à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, je suis actuellement étudiant en Expertise en sémiologie et communication à l’Université Paris Descartes.

Passionné de littérature en général et de poésie en particulier, j’ai participé en 2018 au recueil collectif de Parlons Poésie et publié, en Juin 2019, aux éditions Le Lys bleu-Paris, mon premier recueil de poèmes intitulé « DOUCES cacophonies ».

BL : Vous êtes étudiant en sémiologie. Veuillez nous introduire dans l’économie (étymologie, sémantique) du nom que vous portez avec fierté́ et élégance : Ndongo.

ST : Comme je l’ai dit dans la présentation, je suis étudiant en sémiologie. Pour faire simple, la sémiologie est une discipline qui étudie les systèmes de signes dans le langage. Veuillez excuser cette réponse à une question qui ne m’est pas demandée. Rires…

Avant tout, je tiens à préciser qu’Elaz Ndongo est mon nom d’auteur. A l’état civil, je me nomme Serigne Ndongo. Déjà cet oxymore se reflète au niveau du titre du recueil. Coïncidence ou choix poétique, tant mieux. Il me sera très difficile de relater l’étymologie du nom Ndongo mais je sais qu’il signifie littéralement « disciple » dans la sphère sociale et religieuse sénégalaise, comme « Serigne » signifie « maître ». Peut-on être à la fois maître et disciple ? Je donne ma langue au chat. Ce qui est sûr est que je me plais bien dans l’appelation Ndongo et j’y trouve un certain désir de quête, d’élévation. N’est-ce pas un proverbe wolof dit : « Loo nekkul taalibeem doo nekk sëriñam ». Cette phrase qui peut être traduit approximativement, pour conserver l’idée, que « c’est en forgeant qu’on devient forgeron ».

BL : On ne peut dire Louga sans se souvenir de Maïmouna de Abdoulaye Sadji. Comment est Louga ?

ST : Dans le roman éponyme d’Abdoulaye Sadji, Louga représente le village d’origine de Maimouna qui, très tardivement, a été aveuglée et trahie par le luxe trompeur de la capitale avant d’être fauchée par la ruse d’un homme, Galaye.

Au temps de Maimouna, Louga était un gros village comme le décrit l’auteur dans le roman. Aujourd’hui, il est devenu une ville moderne avec des infrastructures comme dans toutes les grandes villes du Sénégal, même s’il reste encore beaucoup d’autres choses à réaliser dans ce domaine. Ce qui fait son charme, c’est d’abord l’hospitalité de ses habitants qui ont le sens de transmettre aux autres la fraicheur de la chaleur humaine, ensuite l’aspect religieux, spirituel devrais-je dire, qui est une réalité vivante dans le cœur de ses enfants et enfin, Louga est une ville de culture au sens large du mot. Voilà, pour moi, les trois choses fondamentales qui font le charme du village de Maimouna et de ma ville. Rires…

BL : Quelle place cette ville occupe-t-elle dans votre création artistique et littéraire ?

ST: Cette ville, en tout cas, dans mon premier recueil de poèmes, n’a pas explicitement une place particulière. Mais c’est tout le contraire avec le second recueil déjà fini où je reviens amplement sur mes souvenirs d’enfance. Deux poèmes de ce recueil parlent de mon enfance dans cette ville que je porte à jamais dans mon cœur, dans ma poésie…

Comme tout enfant, je ne parviens toujours pas à oublier mes souvenirs d’enfance.

Et d’ailleurs, l’activité artistique elle-même est un travail d’enfant. C’est seulement en étant enfant qu’on peut être poète et le cœur du poète a un pied qui ne quitte jamais le royaume d’enfance : fleuve où émanent les plus grandes merveilles de la création artistique.

Louga est, dans ma création artistique et littéraire, ma ville de cœur comme Linguère et Saint-Louis sont respectivement mes villes d’esprit et de rêve.

BL : Vous êtes poète. Quelles interactions y va-t-il entre votre culture, votre langue maternelle et votre poésie que vous écrivez en français ?

ST : Tous les trois éléments font partie de ma personnalité. Etre artiste pour moi, c’est avant tout être porteur de toutes les influences, directement ou indirectement, qui nous viennent de notre culture, de nos langues premières avec lesquelles nous avons appris à chantonner les premiers mots, de notre vécu quotidien et aussi de la culture littéraire de la langue avec laquelle nous avons décidé de nous exprimer.

Notre culture doit être la boussole qui nous oriente dans ce monde par peur de ne pas perdre notre identité. Entre la langue maternelle et la poésie que j’exprime en français, il ne doit pas y avoir une opposition contradictoire mais complémentaire. Bien que je sois de culture wolof, j’ai décidé de m’exprimer particulièrement en français dans « ma poésie ». C’est un choix assumé qui n’enlève en rien l’affection que j’ai aux langues locales en général et en particulier, au wolof. Je ne suis pas de ceux qui pensent que nous autres africains faisons une poésie purement africaine dans une langue appelée le français. J’estime que la poésie est universelle et c’est à chaque auteur de donner un caractère universel à ses thèmes et au combat qu’il souhaite mener dans son art si, bien sûr, il n’y existe un combat autre que celui de la réhabilitation de la dignité humaine.

Ma culture est africaine, sénégalaise, je rêve dans ma langue maternelle, le wolof, et j’écris mes rêves en français. Voilà, pour l’auteur que je suis, le lien entre les trois.

BL: “DOUCES cacophonies”. Le titre suscite en soi deux curiosités. D’abord cet oxymore entre douceur et cacophonie. Puis l’usage du pluriel. Douces cacophonies. Vous évoquez donc plusieurs cacophonies. Quelles sont ces dernières là?

ST: L’oxymore est une figure de style qui consiste à allier deux mots qui sont donnés comme opposés dans la langue pour en créer une certaine harmonie. Je pense fortement qu’il est l’une des figures de rhétorique qui font tout le charme de l’écriture poétique dans le sens où c’est un procédé qui dégage une forte image et révèle une certaine magie dans le laboratoire de création du poète.

 Parlant du choix du pluriel des deux notions, il s’agit bien entendu de plusieurs cacophonies à des degrés divers relevant des sentiments du cœur à la recherche d’amour et de tendresse, des inquiétudes de l’esprit à la recherché d’une guidance, des faiblesses du corps à la recherche d’apaisement et des tourments de l’âme à la quête d’une spiritualité pour se purifier. Entre les exigences du corps et celles de l’âme, se trouve toute la pertinence du recueil.

BL : Comment des cacophonies peuvent-elles être douces quand on sait que la musique c’est l’art de combiner des sons de manière agréable à l’ouïe ?

ST : Du point de la langue, comme nous l’avons déjà noté en haut, le titre relève d’un oxymore qui présente deux notions contradictoires en apparence. Mais du point de vue de la musique, « Douces cacophonies » peut être perçu comme une harmonie dissonante produisant ainsi une certaine impression d’instabilité.  Dans ce recueil traitant de la double postulation de l’homme, cette instabilité semble se trouver entre les exigences du corps calfeutré dans la jouissance des bassesses humaines et celles de l’âme en quête d’une spiritualité.

BL : La métaphysique est bien présente dans ce recueil. Dieu. Le mal. Le bien. L’âme. On ouvre un recueil de poèmes et on tombe sur ces thématiques abordées à la manière d’un philosophe. Quel est le projet réel qui se cache derrière ces poèmes ?

ST: Il y a naturellement, dans ce recueil, une dimension métaphysique et théophanique.  Cette dimension implique une volonté de dépasser sa propre nature pour parler des notions abstraites comme vous venez de les citer.  L’activité d’écriture est, pour moi, une révélation de la propre nature de l’auteur avant d’être un dépassement de lui-même pour embarrasser le monde de l’élévation. Cette quête d’élévation me semble impossible sans au préalable passer par un élément indispensable à l’acte de philosopher : le questionnement. Dans ce recueil, je m’interroge et j’invite le lecteur à s’interroger sur le sens de sa propre vie et sur sa propre nature humaine. Les questions métaphysiques que je me pose sont aussi des questions interpellatives. Le projet est simple : se découvrir humain, donc imparfait, pour entamer le voyage dans le but de retrouver son humanité.

BL : Le lecteur, à chaque vers, se retrouve finalement confronté à une sorte de dualité permanente des mots, coincé dans une contradiction inévitable. Entre l’esprit et le corps, Dieu et Satan, amour et haine etc. Que choisir finalement ? On s’y perd presque. Tout se dit et se contredit.

ST : « Douces cacophonies » est déjà un avertissement pour le lecteur. Qu’attend-t-il de moi autre que cette contradiction permanente ? La promesse de départ est tenue tout le long du recueil. Rires…

Cette dualité entre Dieu et Satan, esprit et corps, amour et haine, bien et mal, gouverne entièrement le recueil. L’être humain, dans la vie de tous les jours, se retrouve vaciller entre cette double postulation. Un pied sur l’ange et un autre sur le démon, à chaque personne de choisir sur lequel des deux faire son ascension. Je suis en train de faire mon choix, au « sombre et cruel lecteur de faire le sien ».

BL : Ce que vous proposez en définitive, on espère ne pas s’y être trompé, c’est de se détacher des penchants de la chair pour s’élever vers les cimes de l’esprit, du divin. Autrement, l’humain devrait se renier pour s’attacher au divin, au spirituel. Ne risque-t-on pas alors un déséquilibre, puisque l’homme est à la fois l’humain et le spirituel ?

ST: Aucune élévation spirituelle n’est envisageable sans un détachement à certains penchants du corps qui enlisent l’être humain dans le fleuve des passions ténébreuses, de ses passions. Mais pour l’homme, entamer ce voyage de quête de soi ne signifie pas se renier et renier son caractère humain, faible et périssable. Cette quête ne peut se faire par l’homme qu’après avoir été conscient de sa propre nature humaine qui est une conjugaison de bassesses et de puretés.

Le véritable déséquilibre, à mon avis, serait de se contenter tout simplement de satisfaire les plaisirs du corps tout en oubliant les exigences de l’âme.      

   

BL : Le défaitisme et le pessimisme sautent à l’œil quand, dans votre recueil, on voit L’Esprit Saint se perdre, le cœur tendre irrésistiblement vers le mal. Seriez-vous poète de la mélancolie et du chaos ?

ST: Je ne pense pas être habité par un sentiment de défaitisme et de pessimisme, au contraire, je décris dans certains poèmes l’obscurité du monde, de notre monde. Etre optimiste, c’est espérer et agir quotidiennement pour le meilleur tout en dénonçant le mal qui sévit dans le cœur de certains humains.

De nature, je suis une personne très joyeuse, qui aime vivre et sourire. Humaniste, voilà ce vers à quoi je m’évertue à tendre pour un monde bâti sous le signe de la Paix et de l’Amour. Mais me retirer loin de ce tumulte des hommes, je me sens habité par une douce mélancolie qui, peut-être, est l’une des raisons qui me poussent à me confier à l’écriture.

BL : En quoi la poésie est-elle un brouillon de vers, pour reprendre vos propres mots ?

ST : Quelle pertinente question ! Etre poète, c’est d’abord avoir le courage de déchirer ou supprimer certaines de nos productions que nous jugeons nous-même moins abouties. Ce n’est pas gratuit quand les spécialistes de la poésie disent qu’elle est fondamentalement un travail sur le langage. Tel un alchimiste, le poète doit être l’artisan du verbe à la recherche de mots justes pour pouvoir composer son poème. C’est ce travail d’alchimie du poète, de quête de perfection de son vers, dans son laboratoire d’écriture, que je qualifie de brouillon. Ecrire, c’est transformer un brouillon à merveille.

En vérité, l’idée du brouillon de vers, dernier titre du recueil, est née de la collection de vers de certains poèmes que j’ai retirés dans la phase sélection. Ce sont ces vers choisis par affinité qui composent le poème. C’est de ce mélange qu’est construit le poème. Voilà la raison première du titrage du poème même si l’aboutissement d’un recueil passe forcément par un travail de brouillon, de destruction et de reconstruction, avant d’en arriver au texte accompli.

BL : Qu’est-ce qui vous a poussé vers la poésie ? Pourquoi avoir choisi cette forme d’expression ?

ST: Je ne me suis pas senti consciemment aller vers la poésie. Au contraire, je pense que c’est elle qui est venue vers moi pour me permettre d’exprimer toutes les émotions qui habitent mon être. De nature très timide dans la vie normale, la poésie me permet de m’extirper de mon silence profond afin de pouvoir exprimer mes sensations les plus intimes.

            Pour se dire et dire le monde, la poésie me parait être le moyen d’expression le plus susceptible. Charmante, voilà l’adjectif qui la décrit entièrement. Exister dans l’écriture, c’est aussi choisir le genre qui nous charme. La poésie me charme, cette dame est charmante et, mieux encore, elle est charme. Rires

BL : Et plus généralement, d’où tenez-vous l’amour pour la littérature, puisque vous-même affirmez n’avoir pas grandi avec la passion des lettres ?

ST : Déjà très jeune, j’ai baigné dans le monde de l’écriture avec des frères qui pratiquaient le rap. De là, j’ai appris à composer quelques textes de rap en essayant de respecter une certaine rigueur dans la rime et dans le style. Avec une expérience enfantine de quelques années, j’ai abandonné cette pratique d’adultes pour m’aventurer, comme tout enfant normal, dans les délires de l’innocence. Et plus tard, en 2012, à la suite d’une perte d’un ami, Demba Diao, avec qui je partageais la même classe à Kounkane, j’ai recommencé le même jour à griffonner quelques vers de poésie pour noyer mon chagrin. Je n’ai plus ce texte « d’enfant mélancolique », abbatu par la force aveugle de la faucheuse qui avait arraché de mon affection un gentleman.  Depuis, il m’arrivait parfois d’écrire sur d’autres thèmes liés à l’amour, la vie, à la déception, à la vanité humaine et à la spiritualité…

Au fur et à mesure de me confesser à la blanche page, j’ai senti en moi la naissance d’un soufflé poétique qui nourrit silencieusement mon amour aux belles lettres. Le hasard a fait que, après le bac, je suis orienté au département de Lettres Modernes et un amour entre les lettres et moi commence à se sceller.

BL : Comment appréciez-vous le paysage littéraire sénégalais contemporain ?

ST : Il ne sera pas chose aisée pour moi de faire une appréciation globale du paysage littéraire sénégalais vu que, avec mon absence au Sénégal depuis Septembre 2018, je n’ai pas un regard englobant de tout ce qui s’y passe. Mais tout de même il faut reconnaitre avec fierté qu’il a du talent chez les auteurs sénégalais dans tous genres confondus. Aussi, il faut oser le dire, il reste beaucoup de choses à faire, surtout au niveau de la jeune plume sénégalaise. Il y a de très bonnes productions comme il y a aussi une certaine légèreté dans le choix des publications de certaines maisons d’édition.  L’autre chose à ne pas négliger, c’est la froide implication de tous les acteurs de la culture en général et du livre en particulier, pour une réelle vulgarisation des productions de l’esprit. Ecrire est une chose, vulgariser ce qui est écrit en est une autre.

BL : Comment la poésie sénégalaise se porte-t-elle aujourd’hui ?

ST : Je pense que c’est une poésie laissée à elle-même à la quête de sa survie dans les mains de chaque poète. Je voudrais dire par là qu’il manque un cadre d’expression digne de ce nom pour lui permettre d’exister en tant que réalité créative dans la vie de tous les jours.

 Du point de vue de la production, il faut noter qu’il y a de très grands poètes au Sénégal.  Les jeunes poètes comme Zacharia Sall, Ousseynou Thiombiano, P.M.Sy, Moussa Seck et quelques membres du Collectif Parlons Poésie qui ont déjà eu à publier, font de très belles productions. Il y a vraiment des poètes qui ont le souffle dans la poitrine.

BL : De quel collège de poètes vous réclamez-vous ?

ST : Personnellement, je ne me réclame d’aucune école poétique et je n’ai pas, en vérité, de courant de préférence particulière même si j’ai une affection très poussée aux écrits des poètes symbolistes et de ceux du courant de la négritude. Ce que je préfère, c’est de la belle poésie, celle qui parle à la fois à mon âme et à mon cœur. Pour moi, la meilleure poésie, c’est celle qui envoûte l’oreille, parle au coeur et élève l’âme.

BL : Parlez-nous de vos projets littéraires en cours ?

ST : Je viens de finir l’écriture de mon deuxième recueil intitulé « Cantiques crépusculaires » qui est, actuellement, sous le regard de certains amis poètes pour des besoins de lecture et de correction.  Je compte aussi, peut-être plus tard, faire une étude sémiologique et/ou sémiotique sur la production de certains jeunes poètes sénégalais. C’est mon ami, Zacharia Sall, qui me le suggère et même m’impose à réaliser ce travail.

L’avenir nous en dira plus…

BL : Où peut-on se procurer « Douces cacophonies » ?

ST: Le recueil est disponible sur les plateformes de ventes (Fnac et Amazon).

BL : Votre portrait chinois à présent

Un héros ou une héroïne : Ma mère

Un personnage historique : Cheikh Anta Diop

Un auteur : Paulo Coelho

Un plat : Domodaa

Un animal :  Oiseau

Un passe-temps : Lire

BL : Merci Elaz Ndongo Thioye pour votre disponibilité. Votre mot de la fin.

ST: C’est moi qui vous remercie de m’avoir permis de m’exprimer sur votre plateforme littéraire. Je vous souhaite une très grande réussite. Merci infiniment.

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