« Dans le village de Kik, la guerre tribale est arrivée vers dix heures du matin. Les enfants étaient à l’école et les parents à la maison. Kik était à l’école et ses parents à la maison. Dès les premières rafales, les enfants gagnèrent la forêt. Kik gagna la forêt ».
Avant même de rencontrer le livre, j’ai bu ce passage d’Allah n’est pas obligé d’Ahmadou Kourouma en 2008, lors de la première épreuve de BEPC : la dictée, quand dictée était encore dictée dans le système éducatif béninois. Banalement, ce passage dont on a réellement compris le sens plus tard est resté inoubliable dans la tête de mon ami Fulbert et moi, lui passant ce BEPC la même année à plus de cents kilomètres de moi, alors qu’on ne se connaissait pas encore. Aujourd’hui amis, après avoir lu le livre, on ressasse à l’envi ce passage de mémoire pour se remémorer combien la dictée était dictée. Mais on a surtout découvert, sur le chemin rugueux des études de Lettres, que l’univers de « guerre » et de « rafales » est omniprésent dans une abondante littérature, laquelle est symptomatique de l’état ou des intrigues sociopolitiques du continent africain.
D’Allah n’est pas obligé à Charly en guerre de Florent COUAO-ZOTTI en passant par Le cavalier et son ombre de Boubacar Boris Diop, Les coupeurs de têtes d’Amadou Koné ou Violent était le vent de Charles Nokan, etc., le même univers belliqueux est présent dans Johnny Chien Méchant d’Emmanuel Boundzeki Dongala. Un roman dont la flamme est toujours éternelle en raison de son contenu qui reflète toujours la situation des milliers d’enfants sur le continent. Je pense au terrorisme, une autre forme de guerre de notre siècle. Je pense à la Lybie qui a cessé d’être un pays. Je pense à tous ces enfants dont le quotidien a toujours été une guerre permanente et qui sont soldats avant même de naitre.
C’est est un roman qui expose les faits de guerres civiles et la situation des enfants-soldats au Congo. C’est un roman qui s’écoule, qui se vit, qui se lit à travers le regard de deux gamins de 16 ans : Johnny un enfant soldat et Laokolé, une adolescente qui fuit la guerre. L’histoire commence avec l’annonce du général Giap à la radio qui décrète qu’un pillage de 48 heures est autorisé impliquant massacres, viols et tueries. L’univers de violence s’enclenche ainsi en même temps que le parcours épique des deux personnages principaux qui évoluent dans deux mondes opposés. L’un en position du bourreau, l’autre en position de victime cherchant à sauver sa vie. La narration hétérodiégétique (à la troisième personne) évolue en dent de scie, alternant la vie des deux personnages dans l’univers du chaos. On découvre un Johnny naïf et obéissant qui cherche à montrer sa supériorité sur tout, persuadé qu’il est le plus intelligent de tous. C’est là la première impression qu’on a de lui jusqu’à ce qu’on se rendre compte au fil des intrigues qu’il est un enfant, certes, mais un enfant d’une cruauté ou d’une méchanceté inouïe, sadique et psychopathe, mesurant sa fierté à l’aune de la barbarie de ses actes. Mais cette cruauté n’empêche pas de penser qu’il d’une certaine manière, au final, lui aussi une victime puisqu’il croit se battre pour la liberté.
Laokolé par contre, est une jeune fille très pauvre qui fuit l’arrivée de la milice. Mais Dongala met surtout en avant son courage et son intelligence. Exposant ainsi l’importance de la famille et le pouvoir de la solidarité quand celle-ci la caractérise malgré la misère et les massacres de la guerre. Alors qu’au fil du roman toute l’horreur de la guerre apparaît au lecteur, l’auteur fait de cette fille la lueur d’un certain espoir. Avec un parcours différent dans un même univers, les deux personnages se croisent à la fin où la victime, Laokolé, triomphe du bourreau avec, tenez-vous bien, une Bible. Le cruel Johnny, bien armé, qui s’est coltiné plusieurs surnoms de guerre dans l’intrigue, qui a massacré femmes, enfants, vieillards et même soldats de l’ONU n’a été finalement vaincu qu’avec une Bible. Pourquoi une Bible ? Et qu’est-ce que ce livre saint fait dans ce monde de sang et du chaos ? Je vous laisse le découvrir en lisant ce roman.
Chrys AMEGAN