« La dernière lettre du père » Claudine et François BANSARD.

« La dernière lettre du père » Claudine et François BANSARD.

Serait-ce encore possible de miser de nos jours sur la confiance surtout en couple ? Que vous y croyez ou non, Jacques et Marie-France, les deux protagonistes de cette histoire ont vécu une expérience exceptionnelle ; ce qui constitua pour ces époux le prix à payer pour entrer dans l’esprit de cette forte pensée citée en épigraphe : « Dès qu’il existe un secret entre deux cœurs qui s’aiment, dès que l’un d’eux a pu se résoudre à cacher à l’autre une seule idée, le charme est rompu, le bonheur est détruit »[1]. D’instituteur, Jacques se vit promu au poste de professeur dans un CEG, alors que sa femme, Marie-France caressait le vif désir d’enseigner à la Khâgne après bien sûr une agrégation. Quelle outrecuidance humiliante ! A dire vrai, homme, quelle serait ta réaction de découvrir un jour que ta moitié nourrit l’ambition de te surclasser socialement ? La laisseras-tu évoluer ainsi ? Plus tard, ne serait-elle pas tentée de dicter sa loi vu sa position nettement supérieure à la tienne ? La souffrance est même d’un degré supérieur lorsque, toi mari, ton plus cher rêve a toujours été d’avoir un enfant. Juste un enfant que tu entoureras de minutieux soins dont tu n’as guère bénéficié durant ta tendre enfance. Dommage que ta bien-aimée ne voit pas la réalité sous le même angle que toi !

Ce rêve paraît tout à fait utopique d’autant plus qu’à la rentrée 1965, Marie-France admise à la Sorbonne, y devrait poursuivre ses études. Au lieu d’une épouse, voilà sous ton toit une étudiante absorbée par ses études. Pas de temps dans son éphéméride pour quelque obligation conjugale tant sa détermination était sans bornes. Le temps de solitude à la maison te permettait au moins, au sortir des classes, de te consacrer à la correction minutieuse des copies de tes élèves. Les quelquefois où pour vous divertir, vous vous laissiez aller à toutes sortes d’envie, ta compagne prend la précaution de recourir au diaphragme à ton insu. Les jours passaient et des questions se firent présentes dans ta tête. Tu en es même arrivé à douter de ta virilité. Pourquoi ne pas partager ton inquiétude avec ta femme qui n’a jamais manqué de prendre ses précautions pilulaires ?

Faute de trouver l’idéal confident en sa femme, l’homme recourt à son meilleur ami. C’est avec une totale ouverture que tu t’ouvris à Alain, ton ami. Entre Marie-France et Laurence Gervais, la femme d’Alain, naquit une certaine complicité du fait que les deux continuent encore d’étudier ; à la différence que Laurence (côté médecine) avait donné un fils (Stéphane) à Alain avant de décider approfondir ses études. Dans ce second couple, tout n’est pas aussi rose. Alain de jour au jour se consume du fait non seulement des infidélités de sa femme mais aussi des faibles résultats de son fils faute de suivi. Jacques essaya de rehausser le niveau intellectuel du jeune Stéphane mais point de satisfaction. Pour le comble, Laurence n’hésite pas à faire croire à Stéphane que son père, invétéré soûlard ne valait rien. Le jeune, sans jugement, commença à nourrir une antipathie viscérale envers son pauvre père. Ne bénéficiant d’aucune attention ni de sa femme, ni de son enfant, l’alcool devint son refuge assuré.

A la fin de l’année, les efforts de Marie-France, ta femme, ont porté leurs fruits. Dans l’euphorie en bon mathématicien, Jacques, tu essayas de la convaincre « Si on le fait maintenant, il naîtra fin mars ». La réplique de ton interlocutrice te désillusionna une fois pour de bon « Pas si vite, je ne suis pas un distributeur automatique »[2]. Comme elle entend continuer ses études jusqu’à l’agrégation, à la Saint-Glinglin ton enfant tant désiré ! Mois de Juillet, mois des vacances. Alors que Marie-France se rendait chez sa mère, tu t’inscrivais à une formation toujours dans le dessein d’améliorer ton statut social. Loin de toutes exigences académiques, voilà ta femme qui vient de renouer avec ses vieilles habitudes. Notons que la fillette d’antan n’avait point connut son père. Alors qu’elle n’avait vécu que deux printemps, par amour pour sa patrie et pour la Vierge Marie (d’où Marie-France), sportivement le jeune mari accepta la mort. Peu de temps après, sa mère victime d’un accident n’aura plus jamais la liberté de ses jambes. Le pensionnat ouvrit ses portes à la fillette pour de longues années. Faute de confidente, elle prit goût à la tenue d’un journal intime.

Reprendre contact avec ses vieux souvenirs l’amena à poursuivre la tenue du journal intime pour ne point s’ennuyer. Des malaises virent jour. Serait-elle en état ? Légitime intuition d’autant qu’après sa réussite, elle ne veilla point à ses précautions avant de se donner à son homme. A qui se confier ? Son journal gardait trace de tous les sentiments qui l’animaient. N’est-ce pas le souhait de Jacques ? Bien que consciente qu’“un petit être pousse déjà en [elle]’’ elle confie à son journal ne se sentir pas encore prête à assumer son rôle de mère : « Il faudrait d’abord que j’achève de me construire, que je me réalise moi-même »[3] écrira-t-elle le 3 juillet. Un jour, elle accompagna sa mère à l’hôpital pour un contrôle. L’oubli de certaines pièces l’amena au bercail. Seule dans la maison, elle ne résista pas à la tentation de fouiner dans le placard de sa mère. Troublante découverte : il s’agissait de la lettre que son père écrivit à l’intention de sa femme et de sa fille quelque temps avant son exécution. Suivront des nuits éprouvantes. La voilà entrain de découvrir son père sous son véritable visage. Impossible d’engager quelque discussion avec sa mère pour ne point paraître indiscrète.

Que faire face aux métamorphoses physiologiques naissant ? Elle ne voulait surtout pas se livrer ni à une gynécologue, ni à sa mère qui exprime déjà le vœu de voir un petit-fils. Elle s’ouvrit à la femme d’Alain du fait de ses liens avec celle-ci. Les résultats révélèrent une fausse alerte. L’amie informée des inquiétudes de Marie-France lui conseilla un nouveau contraceptif réputé discret et efficace du nom d’Oenovid en usage aux Etats-Unis.

N’aimait-elle pas assez sa mère et son époux n’attendant d’elle que la venue d’un enfant pour accepter une telle proposition ? Pourquoi allait-elle se plier à la proposition de son amie ? Contre toute attente, la lettre de son père qu’elle découvrit, l’amena à cette pensée « Je suis libre. Libre de continuer mes études en m’y consacrant entièrement. Libre de retarder la conception d’un enfant. Libre aussi de ne pas donner à Jacques le cadeau que je lui ai promis. Faudrait-il toujours penser d’abord aux autres, à ceux qu’on aime ? »[4] L’inquiétude se dissipa puisqu’au terme  de son séjour près de sa mère, son journal notifie le début de la prise de l’Oenovid.

Encore un autre jour Jacques décida rendre visite à sa belle-mère. La santé de Marie-France ne lui permit pas de lui tenir compagnie. Aucun sujet de discussion ne le maintint longtemps près de sa belle-mère. C’est dans l’intention de s’occuper avec un livre de son épouse que s’étant rendu dans la chambre de cette dernière, Jacques fit non seulement la connaissance de la fameuse lettre mais aussi du journal intime de sa femme. Qu’ignore-t-il encore sur cette femme ? Il découvrit une Marie-France inconnue qu’il est loin de saisir. Et ces pilules ? C’était donc le moyen qu’adopta l’épouse de son pauvre ami Alain, qui n’eut plus conçu après la naissance de Stéphane. Incapable de garder à lui seul de tels lourds secrets, s’étant rendu chez Alain, il ne sut quand il lui livra toute la vérité. Il lui a fallu bien de tact pour ne rien laisser soupçonner une fois près de sa femme. Lui-même qui se croyait le plus rusé ne se revenait pas que sa femme savait qu’il entretenait de bons rapports avec une collègue du nom de Brigitte. Une sorte de méfiance s’installa entre ces deux époux.

L’événement qui mettra tout en lumière ne tarda pas. Le dernier jour de décembre, Alain écrivit une lettre destinée à Jacques où exposant les raisons de l’acte qui sera concrétisé avant que la lettre ne lui parvienne, lui confie son fils Stéphane. Pour Alain, mieux pour lui finir avec cette vie qu’il n’a pas beaucoup aimé que de continuer à vivre près d’une femme en parfaite union avec un autre homme. Son fils ne risque-t-il pas de végéter dans la médiocrité si de solides mains ne lui vinssent-elles pas au secours ? Quand il ne sera plus, son fils ne trouverait plus en lui un objet de méprise qui l’empêche de vivre épanoui.  Il espère ainsi lui accorder toute liberté. Son enterrement eut lieu le 7 janvier 1967. Lorsque Jacques entra en possession de la lettre bien après l’enterrement, il en donna lecture à son épouse. Dans une affliction non pareille, les deux déchirèrent la lettre d’Alain. Eux aussi n’ont-ils pas des secrets à s’avouer ? Marie-France était encore sur le point de continuer à s’entourer du silence par crainte d’une dispute. Sur une proposition de Jacques, ils décidèrent s’envoyer une lettre où chacun de son côté avouera tout ce qu’il porte comme secret au fond de son cœur. Au bout de huit jours, ils s’échangèrent leurs confidences. Jacques aura tiré la plus grande leçon selon laquelle « aimer quelqu’un, c’est aussi l’aider à se réaliser »[5].

                                                                                  Jean-Baptiste SEHOUE


[1] Benjamin CONSTANT, Adolphe

[2] Cf. page 93

[3] Cf. page 104

[4] Cf. page 142

[5] Page 205

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