Bonjour les amis. Carmen Fifamè Toudonou n’est plus à présenter aujourd’hui sur la scène littéraire au Bénin. Nous la recevons donc pour vous.
BL : Docteure Carmen Fifamè Toudonou, vous recevoir sur Biscottes littéraires est un honneur pour nous et une fierté pour nos lecteurs. Aujourd’hui, en tant qu’écrivaine prolifique, créatrice et promotrice du concours littéraire africain « Miss Littérature », journaliste et désormais dramaturge, vous venez de publier la pièce de théâtre « 2500 jours et nuits ». Qu’est-ce qui a motivé l’écriture de cette pièce de théâtre ?
CT : Je voudrais déjà vous remercier, et à travers vous, tous les promoteurs et les lecteurs de Biscottes Littéraires. Je suis fière de cette belle aventure collective qui se poursuit et se bonifie dans le temps. J’avais toujours rêvé écrire du théâtre pour la jeunesse, et même un jour, pourquoi pas, du théâtre pour bébés. J’ai donc été enchantée lorsque, dans le cadre d’un dispositif dont ils bénéficiaient de la part de l’Institut Français du Bénin, des professionnels du théâtre m’ont contactée pour me commander cette pièce. Ils voulaient un texte qui parle de la menstruation, et ils voulaient que ce soit un texte pour clowns, adressé à la jeunesse. Moi, vous connaissez ma passion pour tous les sujets qui touchent à l’humanité, la femme comprise. L’alchimie s’est donc faite de suite, et j’ai travaillé, avec le metteur en scène Achille Senifa, ainsi que les comédiennes Ornela Fagnon et Sidoine Agoua, pour rédiger ce texte.
BL : Vous n’êtes plus à présenter sur la scène littéraire béninoise car vous avez la plume féconde. Comment arrivez-vous à créer dans tous les genres littéraires (roman, poésie, nouvelle, essai… pièce de théâtre) sans vous en lasser ?
CT : Justement, j’ai toujours pensé que la littérature est le domaine de la liberté absolue. Je trouve que cette diversité de genres qui nous est offerte est une grâce. Et peut-être même que si, a contrario, l’on n’était condamné qu’à écrire dans un seul genre littéraire, je serais déjà passée à autre chose. Peut-être… Je n’affectionne pas particulièrement la routine, j’aime expérimenter des domaines nouveaux. Et d’ailleurs, je ne trahis aucun secret en vous confiant que je m’intéresse en ce moment à l’écriture de littérature policière…
BL : Pourquoi avoir choisi d’écrire une pièce de théâtre ? Est-ce un défi à relever ? Une expérience à faire ou une inspiration particulière qui vous a conduit à cela ?
CT : Écrire du théâtre a longtemps été une véritable passion pour moi. J’ai découvert le théâtre quand j’avais une dizaine d’années, lorsque mon oncle m’a emmenée regarder une pièce très célèbre à l’époque, intitulée « Attention Professeur », avec Nicolas Houenou de Dravo. Je me rappelle toujours une scène de cette pièce, lorsque le professeur fait tomber exprès un stylo, et demande à l’élève de le lui ramasser, et la jeune fille de donner cette réplique : « Attention professeur, respectez-vous ! ». Il s’agissait, comme vous le devinez, d’une pièce de théâtre sur le harcèlement sexuel en milieu scolaire. J’en ai été émerveillée. J’ai ensuite pu suivre des pièces, aussi bien du théâtre dit populaire, avec notamment la célèbre regrettée Marcelline Aboh de la compagnie « Les échos de la capitale », que des représentations de pièces classiques, que j’ai également découvertes et lues au collège. Je peux donc dire que le théâtre a toujours été là. Ensuite, il y a un peu moins d’une vingtaine d’années, j’ai joué un monologue, écrit et mis en scène par feu Camille Amouro, dont le titre est « Rita de Parakou ». Cette pièce a été représentée deux fois à Niamey lors du festival Emergences. C’est vers cette période que j’ai, à proprement parler, commencé à écrire du théâtre. Je rédigeais également des saynètes pour la compagnie de théâtre de l’Ortb, emmenée par mon aîné Samuel Elijah. Seulement, par la suite, des circonstances personnelles m’ont éloignée de l’écriture théâtrale et j’ai plutôt publié des romans, de la poésie, des essais, des nouvelles, etc. Je devrais renouer avec le théâtre il y a quelques années, lorsque j’ai été invitée à prendre part aux manifestations liées à « Africa 2020 » en France. Je dois ici, remercier ce très cher Houansou Giovanni, notre fierté béninoise, car c’est grâce à lui que j’ai été contactée. J’ai donc dépoussiéré mes textes, et participé à Reims, aux côtés de trois autres dramaturges africaines, à des rencontres littéraires, des ateliers, etc. Depuis, je n’ai plus arrêté d’écrire du théâtre. Ma pièce « Le Syndrome de Pénélope » a bénéficié pour sa rédaction, d’une résidence d’écriture de l’association Nova Villa de Reims. Je remercie chaleureusement M. Joël Simon et toute son équipe. Cette même pièce a été lue dans le cadre du festival « Faraway », un an après Africa 2020. Je profite de l’occasion que vous m’offrez pour rendre hommage aux autrices africaines qui ont participé à « Africa 2020 » avec moi : Jeanne Diama du Mali, Marcelle Sandrine Bengono du Cameroun et Yolande Pehe de la Côte d’Ivoire. Je n’oublie pas la française Karin Serres.
BL : « 2500 jours et nuits » aborde une réalité qui fait le quotidien des femmes en général que sont les menstrues, le regard de la société sur les femmes et comment elles-mêmes vivent ses changements dans leur corps. Est-ce la continuité d’une solidarité qui vous a toujours animée depuis les publications des recueils collectifs « œstrogènes » et « Sororité chérie » que vous avez dirigés ?
CT : Je suis très sensible à tout ce qui touche l’humain. La femme faisant partie de l’humanité, je me sens également concernée par toutes les problématiques la touchant. Par cette pièce, j’essaie en réalité de dire à une jeune adolescente, des choses que j’aurais aimé entendre lorsque j’avais son âge, sur la menstruation, sur le corps féminin qui murit, sur la vie tout court. Et cette pièce, loin de s’adresser uniquement aux filles, aux femmes, parle encore plus aux garçons, aux hommes. Beaucoup de personnes du sexe masculin n’ont qu’une idée vague et empreinte de clichés des menstrues.
BL : Votre engagement pour la femme est sans faille. Vous dites d’ailleurs sur l’un de vos réseaux sociaux : « Pour moi, être une femme, c’est être dispensatrice : dispensatrice de vie, donc d’amour, donc de bienveillance, donc de compréhension, donc de douceur, donc d’attention… Être femme, c’est pouvoir dispenser tout cela aux autres, sans oublier d’en dispenser à soi-même ».
CT : Oui, je le pense encore ainsi – cela pourrait changer demain (Seuls les imbéciles… Rires). Et c’est ce que dit la pièce : l’humanité existe, parce que les femmes portent des grossesses, et elles portent des grossesses parce qu’elles ont des règles – ; j’essaie aussi de déconstruire ce tabou autour de ce mot « règles », considéré comme un gros mot, alors qu’il n’y a vraiment pas de quoi. Donc pour en revenir à la dispensation, je trouve que la femme dispense la vie, par le fait qu’elle a ses menstrues chaque mois. Mais cette dispensation n’est pas que biologique. Elle donne vie, la femme. De mon point de vue, qu’elle soit mère dans les faits ou pas, la femme est cet être qui donne énormément. C’est, si on peut le caricaturer ainsi, le pôle douceur. Mais malheureusement, il y a tant de femmes qui ont tellement aimé, qu’elles ont oublié de s’aimer. Malheureusement. C’est une chose qui me chagrine énormément. Donc ma prescription serait la suivante : donnez, mais ne vous oubliez pas mesdames ! Soyez aimantes, bienveillantes, douces, compréhensives avec les autres, mais soyez-le également avec vous-mêmes. Et n’oubliez pas de vivre. Il y a urgence !
BL : Vous êtes dans les actes concrets et visibles sur le terrain. Qu’est-ce qui donne du sens à cet engagement à vos yeux ?
CT : J’espère que tout cela en a, du sens. Je souhaite juste apporter ma petite pierre à l’édifice collectif. Je ne veux pas me gargariser de récriminations sur ce qui ne va pas. Je veux pouvoir répondre à ma fille demain, par des mots concrets, si jamais elle me pose la question suivante : « quand tout cela se passait, qu’as-tu fait, toi ? ».
BL : Quand on connaît l’humour et les didascalies dynamiques qui font d’une pièce de théâtre, une œuvre exceptionnelle, quels ont été vos outils pour écrire une telle œuvre ?
CT : J’ai travaillé au début avec les artistes pour comprendre ce qu’ils désiraient. Je me suis aussi énormément documentée sur l’écriture théâtrale pour clowns. C’était une chose nouvelle pour moi, et j’étais absolument ravie d’apprendre des choses que j’ignorais. J’avais surtout peur de décevoir ces jeunes personnes qui m’avaient fait confiance. J’ai fait beaucoup de documentation sur la menstruation, j’ai lu plein d’auteurs contemporains, et j’ai bossé la pièce. J’ai été ravie que le texte ait plu à Achille et son équipe, et encore plus, qu’elle ait plu au public, et que la pièce continue sa petite vie de pièce de théâtre.
BL : L’une des originalités de « 2500 jours et nuits », c’est de s’adresser à tous les genres humains et de réussir à démystifier certaines croyances. Pourquoi avoir choisi ce thème très peu abordé dans les œuvres littéraires ?
CT : Mon travail d’écriture a toujours été sous-tendu par une certaine recherche d’originalité. Plus généralement, dans toutes mes entreprises de vie, je déteste les chemins battus. Pour ce qui est spécifiquement de la littérature, j’aime travailler sur des sujets peu éculés, ou alors, j’essaie d’apporter de l’originalité dans l’approche d’écriture. C’est donc une des choses qui m’a aussi séduite dans ce projet, le fait que la thématique de la menstruation ne soit pas le premier sujet auquel l’on pense, quand l’on pense « théâtre ».
BL : Dans votre roman, l’orgasme douloureux, vous écrivez sur un pays imaginaire qui vit sous le joug d’un dirigeant tout-puissant, quelle place donnez-vous à l’humour dans vos œuvres ?
CT : Oui, un dirigeant trop dur… Je pense que l’humour est une arme imparable pour pouvoir supporter l’insupportable. J’ai une admiration étonnée pour les personnes qui arrivent réellement à se prendre au sérieux. Je me dis que la seule façon raisonnable de supporter l’existence humaine, c’est de dédramatiser, et de ne surtout pas vivre coincé des f… Je pratique abondamment l’autodérision. Je suis de l’Ouémé, un département du Bénin reconnu (si tel n’était pas le cas, j’en serais blessée – rires) comme le siège national de la gouaille et de la dérision. Disons que chez moi, la pratique de l’humour est de l’ordre de l’atavique. Elle se transmet par les gènes, et j’en ai naturellement hérité. C’est encore un autre défi que de le pouvoir traduire en écrits. J’estime que c’est un travail passionnant de chercher à mettre le mot juste pour provoquer le sourire voire le rire chez le lecteur. Je rêve du jour où, ayant vu dans un endroit public, une personne en train de lire un livre et en train de se marrer toute seule, je me rendrais compte que cette personne lit un de mes livres.
BL : « 2500 jours et nuits » est jouée depuis peu dans tout le Bénin pratiquement. Qu’attendez-vous des lecteurs qui tiennent en main la pièce de théâtre « 2500 jours et nuits » ou des spectateurs qui vont la voir sur scène ?
CT : J’espère juste que ces personnes aiment ce qu’elles voient, ce qu’elles lisent. J’ai eu de très bons retours, et je reste néanmoins ouverte pour toute remarque, toute suggestion. Je m’étais fait la promesse de n’éditer du théâtre qu’après l’avoir fait jouer. Je suis très reconnaissante à la compagnie qui a créé ce spectacle, et l’a joué au Bénin et également au Togo. Je souhaite que cette belle aventure se poursuive. C’est de l’ordre de la magie, de voir ses mots prendre vie sur scène.
BL : Quel est votre mot de fin pour cet entretien ?
CT : Je vous dis merci pour cette interview et je remercie également toutes celles et tous ceux qui vont encore au théâtre, qui lisent encore du théâtre. Merci.
Très belle interview
Merci beaucoup !
Je remercie encore une fois Biscottes Littéraires pour cette interview, qui est la toute première que j’accorde au sujet de a pièce « 2500 Jours et Nuits ».