« Je prierai jusqu’à ce que le gouvernement décide de détruire la misère… Je prierai pour que plus personne ne meure de faim comme ceux que j’ai côtoyés… Je prierai pour qu’on ne croise plus ces femmes mères de plusieurs enfants qui fouillent à longueur de journées les débris immondes pour amoindrir la faim de leurs enfants… » Hector Hector DJOMAKI, « La rue a aussi ses anges » (p119)
« La rue a aussi ses anges«
Renversant, bouleversant, que dis-je ? Un vrai récit bouleversant, oui je sais que je me répète, mais je pense que je n’ai jamais lu pareil récit bouleversant. Je m’y suis lancée et je me suis perdue pendant près d’une heure dans la lecture de ce roman. Je l’aurais savouré d’un trait, d’un souffle, mais ce même souffle me manqua quand à la fin je fermai la dernière page. Monsieur Hector Djomaki, s’il vous plaît, j’ai une question, vous vivez au Bénin ou dans le Bénin ? Parce que je viens de faire un tour dans le Bénin à travers ces pages et j’en ai eu des sueurs froides.
« La rue a aussi ses anges » est un récit de Yako, un garçon de onze ans qui a fait de la rue ses appartements. Comme ses semblables, il a lui aussi fui la demeure paternelle d’un fin fond de son village pour venir se réfugier à Cotonou, la ville des illusions, la ville des pièges et des sensations. Yako est habitué à la rue. Il en a fait sa maison, son ossature, sa vie. Il y vivait, il y mangeait, il y souffrait, il en était un dieu. Au milieu de ses aventures, il s’y est fait un ami : le Vieux Yénoukoun. Ce dernier réussit un jour à trouver au petit Yako un travail de domestique ‘’boy’’ chez une dame de la ville. Ce que ne savait ni Yako, ni Yénoukoun c’est que ce travail était le billet que notre narrateur signait pour l’enfer. En effet l’employeur de Yako, Dame Nougbèhin, « cette dame qui pesait autour de cent soixante-quinze kilogrammes avec une grosse figure donnant l’air d’être bouillie » était une bonne vieille meurtrière. Elle payait pour qu’on tue des êtres humains afin de nourrir son fétiche et pour faire marcher son business, son restaurant. Mal en prit au malheureux Yako qui, une nuit se trouva vis-à-vis du nouveau cadavre que venait de recevoir Dame Nougbèhin. Et ce fut la descente aux enfers. Poursuites, traquenards, complots, meurtres, tout y passa pour attraper Yako afin de le faire taire à jamais. Et ses détraqueurs furent bien sûr bien près du but. Mais une nuit dans une forêt où la mort avait rendez-vous, les anges de la rue firent leur apparition.
J’ai lu le Bénin crû dans un livre mûr
Qui a dit qu’écrire était juste imaginer ? Personne. Ouf, j’ai failli faire un meurtre. Parce que, écrire c’est créer, c’est faire naître tout un univers pour un grand voyage. Parce que moi, j’ai lu dans ces 114 pages éditées aux Editions Savanes mon pays aussi cru qu’il se présente. Parce que moi, j’ai lu Hector DJOMAKI et je vous laisse le lire à votre tour. Il plante le décor de la préparation de son met en y mettant tout d’abord un petit grain de sa culture. Le nom de ses personnages sont aussi riches en significations qu’en leçons : « Nougbèhin, Yako, Yénoukoun, Dédévi, Médéssè, Toukpin… Un peu de notre réalité politique s’y ajoute. Il parle de ‘’Bonitho’’ où « depuis le départ de ce président, la sécheresse financière était tel l’air ambiant que nous respirons » P11. Qui peut être ce monsieur Bénitho qui quitte le pouvoir et laisse le Bénin dans une « sécheresse financière » ? Ne me le demandez, puisque je ne le sais pas. Toujours est-il qu’Hector Hector DJOMAKI use de tous les produits pour nous concocter un plat purement africain et béninois. Il ne s’arrêtera pas en si bon chemin : quand on veut donner à lire du bon Bénin, il faut le faire sous toutes ses coutures. L’auteur n’oublie pas de passer par ce phénomène, disons plutôt, cette catastrophe qui en a ébranlé plus d’un. Cette rumeur qui a pris naissance et s’est enflée jusqu’à péter dans notre pays, je veux nommer cet infecte mal de sacrifice humain. Un sujet qui constitue l’un des thèmes principaux de notre roman. Il y décrit l’esprit tordu et nauséeux de ces personnes qui n’ont pas de pitié pour la race humaine et qui sont prêtes à s’enrichir sur le dos de leur frère. « Je vis un corps humain charcuté comme un animal. La tête fendue, les membres découpés en petits morceaux. Je n’avais jamais su le monde aussi cruel. » Et on ajoutera ses remarques qu’il ne cache pas, ses pensées sur le sujet principal même de l’œuvre. Ces enfants de la rue. Leur vie quotidienne, leur misère, leur combat : « On ne choisit pas d’être enfant de la rue, on naît enfant de la rue ». P20 « Les parents fabriquent les enfants parfois inconsciemment et les laissent à la rue qui les éduque, les fait et les défait. ». Et ces pauvres se donnent au vol, seule activité de luxe qu’ils peuvent se permettre. Un vice nécessaire, oh que oui, pour ces enfants obligés de s’y adonner pour que la mort ne traîne leur carcasse et pourtant à cette mort ils se cognent chaque jour.
L’auteur écrit que le quartier de rassemblement de cette bande est Djadjo. Ce bon vieux quartier, qu’il nous en souvienne, Djadjo n’a de son nom que sa réputation. Djadjo, il y a des lunes entières, était un quartier réputé pour la peur qu’elle donnait aux passants la nuit venue parce que, étant le réseau de rendez-vous des hommes hors la loi. En parlant de rendez-vous, n’en avons-nous pas qu’un avec notre plat. Parce que le résultat est là, un plat terriblement assaisonné à point, épicé de suspens, mélangé avec une dose de mystère purement béninois à croquer, à dévorer dans une salle, sans regard extérieur et qui vous laisse, essoufflé, transpirant, insatisfait à la fin. Parce qu’on a envie de s’en resservir. Mais un roman est un roman avec un début et une fin, bien qu’on on ait finit de le savourer, le goût reste sur la langue longtemps encore.
Je vote oui, qu’on fasse lire ce roman à certaines de nos autorités, certaines de nos ONG, certains de nos personnages religieux pour qu’ils puissent découvrir le vrai visage de la rue, cette jungle en plein centre-ville dont on méconnaît amplement l’existence pour que demain leur lutte puisse changer de camp et de cible. Je vote oui, qu’un jour aussi nous soyons tous des anges de la rue à notre façon, parce que « tant d’hommes désespèrent »P119.
Annette BONOU
Merci pour cette belle présentation. Un nouveau livre, un nouvel univers. Vive le livre ! Vive la lecture ! Vive la littérature !