« La vie est un combat, disent certains. La vie de Femme, un chemin de croix », Ernis

« La vie est un combat, disent certains. La vie de Femme, un chemin de croix », Ernis

Bonjour les amis. Nous recevons aujourd’hui une écrivaine camerounaise. Elle nous parle de sa rencontre avec le livre :  « Je suis une âme rebelle, un esprit tourmenté. J’ai toujours écrit, dessiné, et quand le mot me manque, je pleure. Parce qu’écrire est pour moi le seul moyen de guérir mes blessures, et de m’évader de ce monde réfractaire à la douceur ».

BL : Bonjour Madame. Nous sommes heureux de vous avoir sur notre blog. Vous voudrez bien nous dire un mot en guise de présentation ?

Ernis. Bonjour. Je m’appelle Ernis. Poétesse, dramaturge et Slameuse Camerounaise.

BL :  Vous êtes femmes de lettres, et nous vous recevons justement sous ce manteau. Vous voudrez bien partager avec le lectorat le déclic de votre passion pour les lettres ?

Ernis. : Tout commence en 2011. La rencontre avec « Balafon de Engelbert Mveng » me bouleverse et suscite en moi l’envie d’écrire, de prendre la parle et d’offrir mes mots. J’entretiens en moi le souvenir de ces vers du poète Jésuite:

«Je suis la Méditerranée sur le front de l’Afrique

Je suis l’Afrique si frêle de patience » ( » Lettre à Roland-Roger « ).

J’accueille  »Balafon » comme un exposé sur l’universalité, comme le cri de l’Africain colonisé, violé et déshumanisé qui malgré tout se lève et valorise l’altérité.

BL :  Quand avez-vous ressenti le besoin de vous adonner à l’écriture ? Et pourquoi avez-vous décidé de le faire ?

Ernis :. Je suis une âme rebelle, un esprit tourmenté. J’ai toujours écrit, dessiné, et quand le mot me manque, je pleure. Parce qu’écrire est pour moi le seul moyen de guérir mes blessures, et de m’évader de ce monde réfractaire à la douceur. Comme mentionné plus haut, l’exposé sur l’altérité du Père Mveng a changé ma vie, moi, petite fille d’un ancien combattant, petite fille d’ Upéciste. Je porte le gène d’une Afrique martyrisée, et l’écriture s’impose à moi comme seul moyen d’alléger le poids de ce fardeau historique.

BL :  Est-ce une lourde tâche que de s’essayer à l’écriture et de s’y imposer, quand on sait que c’est un monde souvent côtoyé par les hommes ?

Ernis. : La vie est un combat, disent certains. La vie de Femme, un chemin de croix. Je me souviens de Rosa Parks, de son courage quand dans ce bus de blancs, elle décida de ne pas céder, de revendiquer l’humanité en elle. La vie de femmes c’est aussi cela. Dans tous les domaines, il faut au quotidien prouver qu’on peut. Travailler deux fois plus que les hommes, s’épuiser, pour être légitimée. La question sur le genre nous suit partout. Elle ne doit pas nous limiter, au contraire, elle doit servir d’arme.

BL : Quelle mission assignez-vous à la femme de lettres africaine ?

Ernis. : Toute femme Africaine est par essence femme de Lettre. Bayam Sallam, Maffo, femmes aux foyers, nous sommes la pierre angulaire de l’Afrique. Nous portons un fardeau qui parfois pèse trop lourd, qui nous écrase. Seulement, je ne comprends pas pourquoi nous nous contentons d’être juste des femmes de l’ombre. Des bâtisseuses cachées. Nous sommes de porteuses de mots et de vies. Notre place est devant, sur la scène. Nous devons libérer nos voix qui longtemps sont restées inaudibles dans la sphère privée.

BL : Pensez-vous la littérature comme un levier de développement ?

Ernis : « Il n’y a pas vraiment de littérature sans suggestion, sans sous-entendu» pensait Jean Marie Poupart. Le monde dans lequel nous vivons est si violent qu’on ne peut pas se permettre de ne pas écrire. Les politiques sans âmes, des économies sans humanités, des enfants sans pères et des écoles sans pédagogie. Comment comprendre? Comment vivre sans littérature et oser parler de développement ? Tout changement commence par un poète qui surgit de nulle part, et pose un vers sur les souffrances des hommes.

BL : Vous êtes auteure du livre L’héritage des autres. Il s’agit d’une pièce de théâtre. Doit-on croire que c’est votre genre de prédilection ?

Ernis : Je n’ai pas de genre de prédilection. J’ai des mots à offrir, j’ai un monde à soigner.

BL : Pourquoi avoir voulu prendre par le théâtre quand on sait que l’intrigue est assez intéressante pour faire un bon roman ?

Ernis : Mon premier amour a été la poésie. Je suis Slameuse, et il se trouve qu’en 2014 j’ai décidé d’écrire cette pièce de théâtre. La poésie elle n’est pas jalouse, la littérature est tolérance, elle est partage, elle est intégration. Et si demain l’envie de prend d’écrire un roman, je n’hésiterai pas. En littérature, il n ‘y’ a pas de genre mineur, il n’y’a que de mots, devers et d’actions. Toute littérature est un processus.

BL : Dans ce livre, vous abordez des thématiques comme l’amour du pouvoir, la convoitise, la revanche. Serait-ce l’image des états africains peinte sous le couvert de cette histoire ?

Ernis : En Afrique, il n’y a pas d’Etats, il n’y a que de royaumes. Cet ouvrage est le schéma que je me représente de l’Afrique. Des dirigeants avides de pouvoir qui ne laissent aucune chance à la TRANSITION. Tellement je sens l’incapacité de ceux qui nous dirigent. Face à la réalité, quand je ne peux pas agir directement, j’écris, pour ne pas être asphyxiée.

BL : Le viol est présent dans ce livre. Sita en est la victime. Quel message voulez-vous véhiculer en abordant ce thème ?

Ernis : Mon message, Dénonçons ! Dénonçons le viol! Ne laissons plus des pervers détruire nos fils et filles, que chacun balance son violeur. En 2010, alors que passais les vacances chez ma tante à Bafoussam, près du Camp militaire, un homme en tenue, notre voisin  est rentré dans  ma chambre, a posé ses lèvres puantes sur les miens. J’ai senti son gros doigt calleux me traverser. L’horreur ! Ma penderie mal ajustée m’a sauvée la vie, je suis sortie en courant, quand l’énorme bête s’occupait à sortir sa tête enfourchée entre les lambris de bois de ma garde robe. Tout le voisinage était alerté, j’étais sortie nue. Aucune sanction  pour le monsieur, À part l’indignation de ma tante et des autres femmes. J’ai décidé de rentrer à Mbouda chez ma mère le lendemain. Je garde cela en moi depuis toujours, je protège ma mère. Ma tante aussi n’a rien dit à la famille, il ne faut surtout pas qu’on sache que c’est sous son toit que j’ai failli être détruite. Voici onze années passées, j’ai la fièvre chaque fois que je vais au village, et que le bus doit passer devant le camp militaire. Quel endroit lugubre!

BL :  Certains pensent que les jeunes filles sont à l’origine du phénomène de viol. Leur argument reste la tenue provocatrice de ces dernières. Qu’avez-vous à répondre à ce sujet ?

Ernis : Qu’une tenue provoque, oui! Mais je ne vois pas à quel moment cette tenue s’invente une bouche et vous dit, arrache-moi!

BL :  Madame Zang est une femme politique très puissante. Cependant, son époux ne lui permettra pas de déployer assez son zèle. D’abord, arrêtée et emprisonnée, elle mourra ensuite  tragiquement dans un accident de circulation. Doit-on penser que vous faites l’apologie des femmes porteuses de convictions mais dont les rêves sont souvent tus par des mains invisibles ?

Ernis : Les Amazones du Dahomey, Taitu Bitul, Gertrude Omock, Charwe Nyakasikana, MEKATILILI WA MENZA ; Vous pensez que la vie de toute ces femmes a été facile ? Si oui pourquoi insiste-on à les effacer de l’histoire ? De l’histoire du Cameroun, de Rwanda, du Nigeria…

Je pense qu’il est temps de s’arrêter, d’affronter l’histoire, et de rendre hommage à ces femmes dignes, elles ont tôt compris que leur place est sur la scène.

BL :  L’histoire de Madame Zang prouve que l’homme noir a un amour viscéral pour le pouvoir et qu’il est prêt à tout pour le conserver, quitte à tuer ses proches. Le roi Zang le fera avec sa femme. Est-ce une pique envers les dirigeants africains ?

Ernis : Pas que l’homme Noir. L’être humain a une part sombre qui déborde s’il ne la maîtrise pas. Le pouvoir est triste, il est viol, il est violence. Les femmes pensent qu’elles sont marginalisées par la société à caractère souvent patriarcal. Elles mènent donc un combat depuis des années pour s’imposer dans cette même société. Elles réclament la liberté et l’égalité des droits. Le féminisme est le vocable standard.

BL : Que signifie ce mot sous votre plume ?

Ernis : Elles ne le pensent pas, elles le sont. Elles sont marginalisées. J’ai du mal à me déclarer féministe au regard de la société actuelle. Mes sœurs qui font du n’importe quoi nom du Féminisme. Mais je reste consciente, cela ne réduit en rien le sens où la valeur du mouvement : nous sommes tous égaux. Les hommes devraient nous rejoindre dans la lutte. Ce n’est pas l’homme, l’être humain qu’on condamne, mais, c’est l’attitude, le machisme qui est assis au banc des accusés. Et je rejoins Christiane Taubira quand elle dit « Le féminisme est un humanisme, ce n’est pas une guerre de tranchées»

BL : Pensez-vous qu’un jour, ce mouvement parviendra à faire vraiment de la femme, l’égale de l’homme ?

Ernis : «Considérant que la reconnaissance de la dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine et de leurs droits égaux et inaliénables constitue le fondement de la liberté, de la justice et de la paix dans le monde.» Préambule de la Déclaration universelle des Droits de l’homme. Je pense que nous serons égaux, seulement si nous laissons l’humanité qui est en nous s’exprimer.

BL :  Un regard analytique sur la littérature féminine africaine.

Ernis : La littérature Afrique est en marche. Nous devons construire nos identités et penser une stratégie d’émergence. Beaucoup de richesses restent dans l’oralité et la femme africaine se doit d’être une messagère, de porter ces mots, et de les figer dans des ouvrages.

BL :  Que proposez-vous pour rendre cette littérature plus vivante et plus accessible aux femmes ?

Ernis : La littérature, des us et coutumes doivent se transmettre d’une génération à une autre comme un héritage précieux. Si le fil de rompt, la littérature meurt. Je suis heureuse que des initiatives existent déjà. Si vous le permettez, la semaine dernière, j’ai parcipé à une Masterclass d’écriture à la Fondation Mam de Suza, portée par Marème Malong, Hemley Boum, Capitaine Alexandre, d’autres hommes et femmes, porteurs(euses), éditeurs (rices) d’ici et d’ailleurs. J’ai faim des initiatives similaires. J’ai soif d’expérience.

BL :  Avez-vous rencontré de difficultés lors de l’édition de votre ou vos œuvres ? Si oui, vous voudrez bien les partager avec nous ?

Ernis : Trouver une édition, c’est déjà la misère, trouver une édition qui ne vous demande pas de l’argent, c’est un combat sans fin. Heureusement, il existe des éditions locales qui font du chemin, qui sont à la tâche, qui ont besoin du soutien du Gouvernement pour mieux se déployer. Je pense ici 2 Élite d’Afrique Éditions.

BL : Quelles solutions avanceriez-vous pour pallier ces difficultés ?

Ernis :Notre pays est orphelin d’édition. Il nous faut des éditeurs locaux capables d’accompagner les auteurs de la rédaction de son manuscrit, à son impression jusqu’à sa distribution. Voilà le rôle d’un bon éditeur qui est un maillon incontournable dans le monde du livre.

BL :  Vous avez d’autres projets en cours certainement. Et si vous en disiez un mot au lectorat ?

Ernis : Mon seul projet en cours, offrir un poème, chaque fois que l’occasion se présente.

BL : Comment êtes-vous perçue dans votre entourage en tant que femme de lettres ?

Ernis : Oui, même comme cela implique la lourde tâche de rester humble. Rires! Ce n’est pas facile de rester lucide quand tout le monde vous acclame. La seule façon de s’en sortir, c’est de ne jamais perdre de nord, rester sincère.

BL :  Quelques femmes à statut particulier vous inspirent-elles dans votre projet littéraire ? Si oui, qui sont-elles et qu’aimez-vous concrètement chez elles ?

Ernis : Hemley Boum, Romancière, auteure de  » Le Clan des femmes », « Si d’aimer… » »Les Maquisards » entre autres. Hemley, c’est la mère. Rien d’autre à dire. Je suis tombée amoureuse de son écriture il y a des années. Kah Walla, femme politique Camerounaise, je suis assez séduite par sa détermination et son travail acharné par toujours reconnu. Elle avance au milieu des loups féroces, mais rien de la décourage. Eveline Fopa, ma mère. Elle a mis au monde le volcan que je suis. Il n’y avait qu’elle pour le faire. Elle et moi sommes nées le 28 Avril. Joyeux anniversaire Ève.

BL : Quelques conseils à l’endroit des jeunes qui aspirent à l’écriture ?

Ernis : Foncez! N’ayez pas peur de raturer. Écrivez votre coeur, vos rêves, vos folies.

BL :  Où et comment peut-on se procurer votre livre ?

Ernis : A Dschang, lac municipal, siège d’ELITE D ‘AFRIQUE ÉDITION.

À Douala en écrivant à ce numéro sur WhatsApp +237 693688896.

À Yaoundé, à la Librairie des Peuples Noirs

BL :  Vos jeux de divertissement

Ernis : Football

BL :  Votre plat préféré

Ernis : Taro sauce Jaune

BL :  Votre mot de la fin

Ernis :

 Quand tout semble sombre,

Recrée-toi avec un peu de poésie.

N’oublie pas,

L’excès,

L’excès de mots

C’est tout

Ce qu’il faut

À ta vie.

Ton bonheur en dépend.

 

2 comments

Amen, Ernis. Et merci d’être des nôtres. Revenez-nous chaque fois, toutes les fois.

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