Bonjour les amis. Nous recevons pour vous un auteur sénégalais, M. Badara Mbengue: « Pratiquement tous les écrivains africains ont une activité génératrice de revenus parallèle. Il faut nourrir la passion, mais il faut aussi penser à nourrir le ventre (rires). «
BL: Bonjour M. Alioune Badara Mbengue. Merci de nous accorder cet entretien. Veuillez-vous présenter aux lecteurs.
BM : Mon nom c’est Alioune Badara Mbengue. Je suis auteur du roman Les flots en sanglots. Je suis sénégalais, issu de la région de Diourbel. Je suis comptable de formation. J’ai eu en effet mon Bac G en 2015 et j’ai fait deux ans à l’Esp de Dakar sanctionné d’un DUT en Finance-Comptabilité.
BL : Comptable de formation, vous finissez par embrasser une improbable carrière d’écrivain. Des chiffres aux lettres. Qu’est-ce qui vous a poussé à opérer ce choix ?
BM : Il faut dire que depuis tout petit je suis passionné par la lecture et l’écriture. Enfant, étant encore au collège, j’aimais lire tout ce qui me tombait entre les mains, surtout les journaux que mon père achetait quotidiennement. Je m’étais aussi inscris à la bibliothèque d’un centre culturel à Dakar appelé « Blaise Senghor ». Ce qui m’a permis de lire beaucoup, beaucoup de romans à cette époque là. Et je crois que c’est à partirde là que j’ai chopé le virus de la littérature. Donc pour revenir à votre question, je dirais la Finance et la Comptabilité, c’est ma formation. Mais l’écriture, c’est une passion, une philosophie même je dirais.
BL : L’aventure a débuté avec Les Flots en sanglots, un roman. Pourquoi avoir choisi ce genre ?
BM : En effet j’avais des choses à dire, j’avais des choses à partager. Vous savez, quand vous lisez beaucoup, forcément vous avez beaucoup d’idées pour ne pas dire beaucoup de scénarios en tête. Et la suite logique est que vous écriviez donc pour partager, exposer vos pensées, vos dialogues intérieures. Et pour moi le roman est le meilleur format pour pouvoir m’exprimer, me faire entendre. C’est ainsi que j’ai sorti les Flots en sanglots.
BL : Qu’est-ce qui vous a inspiré cette œuvre ? Parlez-nous de sa genèse.
BM : Comme je l’ai dit tantôt, j’avais beaucoup de choses à dire.Ou plutôt beaucoup de choses à dénoncer : les tares de la société sénégalaise principalement. Et il me fallait partir d’un thème très actuel pour le faire. C’est ainsi que j’ai choisi l’immigration clandestine comme thème Principal du roman. Et c’est parti !
BL : Les Flots en sanglots s’attaque à un sujet grave à savoir l’immigration clandestine. Ce thème largement abordé par plusieurs autres auteurs revient sans cesse. La situation serait-elle si dramatique ?
BM : Oui effectivement. L’immigration clandestine est un sujet très actuel qui a fait couler beaucoup d’encre et de salive. Beaucoup de larmes aussi. Il faut reconnaître que l’heure est grave. Et le mal est si profond qu’il urge d’agir rapidement et surtout efficacement afin de contrecarrer ce fléau qui prend de plus en plus d’ampleur.
BL : Les lois se corsent. Les médias jour et nuit relaient d’intenables images de migrants noyés dans la Méditerranée. Pourtant des masses se risquent encore et toujours à en braver les eaux. Entêtement ou énergie du désespoir, selon vous ?
BM : Je dirais plutôt l’énergie du désespoir ! Il faut savoir qu’il existe des gens, des hommes comme des femmes, qui ont presque perdu goût à la vie. Ils sont abandonnés à leur propre sort et ne voient aucune lueur d’espoir profiler à l’horizon. Ils ont perdu le Nord et ne savent plus par quoi s’orienter. Ces gens-là considèrent la vie et la mort comme des choses d’égale valeur. Qu’ils vivent, qu’ils meurent, c’est pareil pour eux.
Ces gens là donc ne vont pas hésiter une fraction de seconde à braver mers et océans en quête d’une vie meilleure !
BL : Ils ne rêvent que d’Europe. Des Tamsir désorientés, perdus sur leur propre terre , des milliers de Sénégalais et d’Africains, chaque jour à l’assaut des flots. Le Sénégal et l’Afrique seraient-ils devenus invivables pour leurs propres fils ?
BM : La question mérite d’être posée et d’être analysée froidement. Pourquoi donc tant de Tamsir, tant de jeunes sénégalais, tant de jeunes Africains sont désespérés et désorientés à ce point ? Pourquoi préfèrent-ils la mort à ce qu’ils vivent présentement ? A mon avis, les responsabilités sont partagées entre l’Etat, les jeunes eux-mêmes et les familles respectives. Il ne faut pas se voiler la face, chacune de cesparties a une part entière de responsabilité dans ce fléau.
BL : À l’allure où vont les choses, pensez-vous qu’on réussira un jour à éradiquer ce phénomène qui vole à l’Afrique tant d’enfants ?
MB : De mon point de vue, pour qu’une solution durable soit trouvée, je dirai que les responsabilités doivent être situées et acceptées. Or tel ne semble pas être le cas présentement. Parce que les gens ont trop tendance à pointer du doigt l’Etat uniquement. Oui évidemment ! l’Etat a sa part de responsabilité dans ce fléau, et pas des moindres ! Il faut cependant oser relever que les jeunes également ont leur part de responsabilité, minimum soit-elle. Les familles également. Ceci dit, qu’il s’agit de l’Etat, des jeunes et des familles, il faut que chaque partie assume ses responsabilités et ainsi créer une synergie de force et d’énergie afin que le fléau soit en phase d’être éradiqué définitivement…
BL : Votre œuvre parue en 2018 est le fruit d’une auto édition. Pourquoi ce choix ?
BM : Vous ne le savez peut-être pas mais le roman était sorti en 2016. Et à l’époque, vu que ma maison d’édition n’avais pas respecté les termes du contrat et surtout que la qualité n’était pas au rendez-vous, j’avais préféré rompre le contrat à l’amiable.
En 2018, je me suis lancé en auto édition comme vous l’avez souligné. Mais là également je n’avais pas trop avancé. J’avais donc pris du reculpour attendre jusqu’à 2020 et signer un contrat avec une nouvelle maison qui s’appelle « Sirius Editions ». Cette maison fait actuellement un travail remarquable et je n’ai pas du tout regretté mon choix. Donc c’est Sirius qui est actuellement mon éditeur et je ne suis plus en auto édition.
BL : Les œuvres indépendantes ne sont pas courantes et n’ont pas toujours la même fortune que celles issues des maisons d’éditions. Quelles difficultés avez-vous rencontrées dans le processus d’édition de Les Flots en sanglots ?
BM : Effectivement. L’auto édition est un peu risquée. C’est un défi excitant certes mais très difficile à relever surtout ici en Afrique. En auto édition, c’est l’auteur lui-même qui fait l’édition, la distribution et la promotion. Ce qui n’est pas une mince affaire. Soit il va se poser un problème de temps, soit il va se poser un problème de moyens. Ou les deux à la fois.
BL : Quelle(s) ambition(s) nourrissez-vous en tant qu’écrivain ?
BM : J’ai un projet qui me tient particulièrement à cœur au moment où je vous parle : faire la promotion de la lecture et de l’écriture chez les élèves, du primaire au lycée en passant par le collège. Le constat est là, amer : les élèves ne lisent plus, les jeunes ne lisent plus. Ils sont préoccupés par autre chose que la lecture. Or sans le goût de la lecture, comment un apprenant peut prétendre accéder au savoir ?
En effet tout le savoir, toutes les connaissances se trouvent dans les livres. Il faut donc aller vers les livres pour pour se former, s’armer du savoir et avoir l’esprit vif et alerte !
Ainsi donc j’essaie de trouver des partenaires et de bonnes volontés qui vont m’accompagner à travers mon projet littéraire dans les écoles.
BL : Comment appréciez-vous le milieu littéraire sénégalais où vous avez fait vos premiers pas en 2018 ?
BM :Le milieu littéraire sénégalaise est un peu statique à mon avis. Les choses ne bougent pas trop. Je profite de l’occasion pour interpeller le ministère de la Culture. La culture ce n’est pas uniquement la musique et la danse. La littérature aussi en fait partie et elle semble être en agonie dans le pays de Senghor !
Il n’y a pas assez de tribunes où les auteurs, surtout les jeunes, peuvent s’exprimer et échanger avec leurs lecteurs. Imaginez que même les centres culturels louent leurs salles aux auteurs pour qu’ils y fassent leurs dédicaces ! C’est renversant à la limite !
Les expositions, les cafés littéraires, les thé-débats, bref tout ce qui permet de rapprocher les auteurs et les lecteurs, se font à compte-gouttes ! Les maisons d’édition surtout ne jouent pas assez leur partition. Elles se limitent juste à éditer l’auteur et le laisser avec ses livres sur les bras alors qu’elles devaient l’accompagner, l’épauler et même faire sa promotion.
Je salue au passage la maison d’édition « Sirius » qui est en train de révolutionner les choses en faisant l’édition autrement. Ce sont des passionnés qui sont en train de marquer la rupture avec ce qui se faisait avant. Il faut donc les donner en exemple pour que les autres maisons s’inspirent de leurs méthodes.
BL : Le métier d’écrivain est-il selon reconnu à sa juste valeur et les écrivains célébrés comme ils devraient l’être dans le Sénégal contemporain ?
BM : Hélas non. Au Sénégal, l’écrivain ne vit pas de son art. Il est laissé à lui-même. Il n’est ni accompagné, ni aidé, ni orienté. Et s’il ne dispose pas d’assez de moyens ou d’un carnet d’adresse assez fourni pour faire sa propre promotion, il risque de passer à côté de sa « carrière » !
BL : Écrire, peut-on en faire son gagne-pain aujourd’hui au Sénégal ?
BM : Je dirai non aussi. L’écrivain doit avoir un métier, une profession qui lui permet de vivre décemment. Il ne gagne pratiquement rien avec ses œuvres, si ce n’est le plaisir, la passion qui l’anime. Échanger avec ses lecteurs, partager ses idées, recevoir des retours positifs : voilà tout ce que gagne l’auteur. Et c’est le cas malheureusement des écrivains de la majeure partie des pays africains…
BL : Concilier les chiffres et les lettres, une profession exigeante et une passion littéraire à nourrir, n’est-ce pas difficile ? Comment vous en sortez-vous ?
BM : Pratiquement tous les écrivains africains ont une activité génératrice de revenus parallèle. Il faut nourrir la passion, mais il faut aussi penser à nourrir le ventre(rires). C’est juste une question d’organisation et de rigueur. L’idéal serait de trouver un juste milieu entre la profession et la passion. Bien que plus souvent la passion prend le dessus !
BL : Après Les Flots en sanglots, Alioune Badara Mbengue gratifiera certainement son lectorat de nouvelles parutions. Parlez-nous donc de vos projets en cours ?
MB : Effectivement. Là je compte prochainement me lancer dans un recueil de nouvelles et faire aussi un clin d’œil à la poésie. Mais pour le moment je compte laisser Les flots en sanglots faire son bonhomme de chemin. Je suis de ceux qui pensent qu’il faut laisser une œuvre faire son temps avant de penser mettre une autre sur le marché…
BL : Où et comment peut-on s’offrir Les Flots en sanglots ?
BM : Les flots en sanglots est disponible chez Harmattan Sénégal et sur commande au 00221 77 674 14 14.
Il devait également être disponible en ligne mais actuellement le site de la maison Sirius Editions est en maintenance. Donc très prochainement le livre sera disponible en ligne pour ceux qui ne sont pas sur le territoire sénégalais .
BL : Parlez-nous de vos goûts en matière de littérature. Genre, style, auteur.
BM : : J’adore particulièrement la littérature sénégalaise et africaine. Mais également la littérature française et anglo-saxonne. La littérature anglo-saxonne pour moi, c’est un vrai régal ! C’est l’art de tout mettre dans une même œuvre : amour, drame, passion, tragédie etc.. J’avoue qu’ils m’ont fortement influencé quand j’écrivais mon roman !
Pour revenir à la littérature africaine, permettez-moi de rendre hommage aux anciens dont les œuvres ont bercé notre adolescence et nous ont fortement marqués.
Il y a d’abord le romancier et cinéaste Sembene Ousmane dont le style du cinéma avec lequel il écrivait ses œuvres littéraires est particulièrement séduisant. Mais il y a aussi tous les autres comme Cheikh Hamidou Kane, Aminata Sow Fall, Camara Laye, Ferdinand Oyono et j’en passe.
Je salue également les auteurs contemporains qui sont nos aînés et qui vivent encore avec nous. Je veux nommer Fatou Diome, Mamadou Samb, Felwine Sarr, Abasse Ndione etc…
BL : Merci Alioune Badara Mbengue pour votre disponibilité. Un mot pour clôturer cet échange.
BM : C’était un réel plaisir pour moi de répondre à vos questions. Je profite de l’occasion pour remercier tous mes lecteurs et tous ceux qui me suivent et me soutiennent depuis le début.
Merci et à la prochaine.