« L’Aventure ambiguë » Cheikh Hamidou Kane

« L’Aventure ambiguë » Cheikh Hamidou Kane

Introduction

La culture ne se balaie pas d’un revers de main. Elle est une identité, une balafre naturelle. L’Afrique après les indépendances s’est vue plongée dans une marre où le choix s’avérait difficile. Au contact de la culture européenne, la nôtre doit elle-disparaître ? C’est le problème que pose dans son roman L’aventure ambiguë publié en 1961 aux éditions Julliard. En quoi L’aventure ambiguë traite-t-il de psycho-culturalisme ?

  • Biobibliographie

Cheikh Hamidou Kane est un écrivain diplômé de philosophie et homme de droit sénégalais, né en 1928 à Matam (Sénégal). Issu d’une noble famille peule, il fréquenta l’école coranique avant d’intégrer l’école française. Après son baccalauréat, il poursuivit ses études à Paris où il obtint deux licences. L’une en philosophie et l’autre en droit. L’homme occupa plusieurs fonctions dans son pays et à l’international. Il fut pendant longtemps ministre chargé de dossiers économiques dans son pays. Cheikh Hamidou Kane est l’auteur de L’aventure ambiguë publié en 1962 et de Les gardiens du temple publié en 1995.

 

  • Structure et Résumé

Il s’agit d’un chef-d’œuvre de 189 pages, structuré en deux parties de longueurs inégales qui nous raconte l’aventure, que dis-je, l’histoire pathétique et tragique de ce héros des Diallobé nommé Samba Diallo. C’est un ouvrage qui nous emmène découvrir une culture et une civilisation : celle des Diallobé. Dans un contexte historique caractérisé par les indépendances, Cheikh Hamidou Kane retrace le parcoursd’une Afrique qui, au contact de l’occident, s’est retrouvée métamorphosée. Une Afrique en quête d’identité qui tarde à comprendre que « La civilisation est une architecture de réponses » (p.80). L’auteur dans son ouvrage déplore ce déséquilibre de l’Afrique colonisée qui perd son identité propre et va l’illustrer par son personnage Samba Diallo. La première partie comporte neuf chapitres et s’étend de la page 15 à la page 117. Quant à la seconde, elle prend en compte la page 121 à 186. Que retenir de la vie de Samba Diallo ?
Fils d’un chevalier Diallobé, il fut confié dès l’âge de sept ans à Thierno, son maitre spirituel pour recevoir une éducation coranique. Son destin n’étant pas au Foyer-Ardent, il fut envoyé à L., ville où résidait son père pour commencer l’école nouvelle. Grâce à la Grande Royale, sœur ainée du chef des Diallobé, ce dernier quitta le Foyer-Ardent pour les études. Hélas, il rencontre des amis, avec qui, il développa un goût pour la philosophie. Il fut ensuite envoyé en France en vue de poursuivre ses études. C’est alors que le souvenir de son origine surgit en lui. Il découvrit davantage la stratégie colonisatrice des blancs. Juché sur sa conception de Dieu, il sentit cette absence spirituelle qui le rongea. « Il faut au bonheur de l’homme, la présence et la garantie de Dieu » lui disait son père (p.113). Il se fit plusieurs connaissances en France parmi lesquelles, M. Paul Martial et son épouse ; Pierre, un étudiant en médecine ; Lucienne, fille de M. Martial et M. Pierre-Louis, magistrat de profession avec sa famille. Par le biais d’une lettre, son père émit le désir de le voir revenir au pays. « Mon opinion est que tu reviennes » (p.175). C’est ainsi que Samba Diallo retourne au pays pour constater que son maitre spirituel avait brouté l’herbe par la sève. Son histoire va s’arrêter lorsque, sur la demande du fou, il refusa de prier au cimetière. « C’est alors que le fou brandit son arme, et soudain, tout devint obscur autour de Samba Diallo » (p.186).  Fatalité ou accident de parcours ? C’est néanmoins une fin tragique que nous propose Cheikh Hamidou Kane. L’ambiguïté de cette aventure réside même dans cette fin tragique qui prend pour ancrage le refus catégorique de prier. L’auteur sans doute montre les affres de la colonisation et de l’école nouvelle sur l’homme Noir et tranche par ricochet sur une conséquence : la mort. Une mort identitaire et corporelle. C’est un hymne d’appel à la prise de conscience que chante le philosophe Cheikh Hamidou qui, comme un être divin crée le personnage de Samba Diallo à qui, il imprime une conduite et un destin donné.

 

  • Personnages

Trois personnages ont particulièrement influencé le parcours tragique de Samba Diallo. Il s’agit du maitre spirituel Thierno ; la sœur ainée du chef des Diallobé surnommée la Grande-Royale par les gens du Nord par crainte et le chef des Diallobé.

Samba Diallo : Fils du chef des Diallobé (population du groupe toucouleur), il fut confié à Thierno, maitre spirituel des Diallobé où il reçut une éducation coranique. Après avoir été à l’école nouvelle, il poursuit ses études en France. Au contact de la culture française, une confusion s’installa en lui. A son retour au pays, il fut tué par un fou suite à son refus de prier, parce que ne sachant plus comment faire, puisqu’influencé par la culture occidentale.

La Grande Royale : Femme combattive, d’un caractère exceptionnel, elle est la tante de Samba Diallo. Elle n’a pas le droit de participer aux réunions des hommes, et pourtant, elle va inciter d’autres femmes à assister à cette réunion. Elle s’implique profondément dans la vie des Diallobé. Elle prend parti pour l’envoie des enfants à l’école, même si elle sait pertinemment que cela pourra poser des problèmes. Devant l’assistance à la réunion, elle affirma : « Gens du Diallobé, dit-elle au milieu d’un grand silence, je vous salue…J’ai fait une chose qui ne vous plaît pas, et qui n’est pas dans nos coutumes. J’ai demandé aux femmes de venir aujourd’hui à cette rencontre. Nous autres Diallobé, nous détestons cela, et à juste titre, car nous pensons que la femme doit rester au foyer. Mais, de plus en plus, nous aurons à faire des choses qui ne nous détestons, et qui ne sont pas dans nos coutumes. C’est pour vous exhorter à faire une de ces choses que j’ai demandé de vous rencontrer aujourd’hui. Je viens vous dire ceci : moi, Grande Royale, je n’aime pas l’école étrangère. Je la déteste. Mon avis est qu’il faut y envoyer nos enfants cependant ».(pp.55-56)

 

  • Thématique

L’auteur aborde plusieurs thématiques dans L’aventure ambiguë parmi lesquelles la tradition s’illustre avec l’éducation coranique reçue par Samba Diallo chez le maitre Thierno ; l’usage des tam-tams pour rassembler les villageois : « ce tam-tam les appelle. », page 56. Nous avons aussi la modernité qui se remarque à travers le symbole de l’école coloniale, le voyage de Samba Diallo en France.

 

  • La tradition : elle est ce que l’Afrique a de mieux à donner aux autres. L’enfant dès le bas-âge se voit inculqué ces valeurs traditionnelles. Ici, c’est de la culture musulmane qu’il s’agit à travers l’école coranique et ses principes. Ne pas la respecter constitue un affront. Et d’ailleurs, le fou le fait remarquer à Samba Diallo, qui après avoir séjourné en Europe, est incapable de prier.

 

  • L’école étrangère : la Grande Royale la qualifie de « l’art de convaincre sans avoir raison». Elle est venue bouleversée les données en Afrique, car les enfants qui s’en vont, se voient transformer. Et pourtant, elle est nécessaire, car elle symbolise une nouvelle vie, une Afrique qui doit s’ouvrir au monde, de peur de disparaître, même si pour la population, c’est une arme que le Blanc a trouvée pour l’assujettir. Et la Grande Royale d’affirmer : « L’école où je pousse nos enfants tuera en eux ce qu’aujourd’hui nous aimons et conservons avec soin, à juste titre. Peut-être notre souvenir lui-même mourra-t-il en eux. Quand ils nous reviendront de l’école, il en est qui ne nous reconnaitront pas. Ce que je propose, c’est que nous acceptions de mourir en nos enfants et que les étrangers qui nous ont défaits prennent en eux toute la place que nous aurons laissée libre » (p.57).

 

  • Point de vue personnel

 

L’analyse psychologique du personnage nous offre une image type d’une Afrique en pleine décadence suite à la rencontre de l’occident. L’auteur fait tuer le personnage principal pour montrer, se fondant sur les réalités de la période post-indépendance, la décadence notoire de nos pays. La rencontre de l’école nouvelle a créé un déracinement dans le rang des Noirs. Cheikh Hamidou présente un personnage problématique dont la vie n’est qu’errance et chute fatidique. L’auteur prédit implicitement la mort prochaine d’une Afrique séparée de sa culture. Cependant, la mort du personnage parait inacceptable. Au-delà de la visée de l’auteur et du contexte socio-politique des années 1960, il se remarque une lâcheté criminelle. Samba Diallo apparait comme l’espoir du peuple Diallobé et sa mort sous-entendrait une vacuité sans pareille de son existence. Cette mort parait aussi comme une injure, un refus de responsabilité et suggère la faiblesse du personnage. C’est une mort lâche, déshonorante, qui, de surcroit fut provoquée par un fou. Le fou et celui qui a tout perdu sauf la raison, dit-on. Cheikh Hamidou Kane a donc tué le personnage pour attirer l’attention du lecteur sur la préservation de l’identité culturelle au cœur du processus d’assimilation.Le récit de Cheikh Hamidou Kane fait partie de la catégorie du roman psycho-culturaliste. Le professeur Guy Ossito MIDIOHOUAN, dans un essai de typologie affirme dans son ouvrage L’idéologie dans la littérature négro-africaine d’expression française : « Ce type pose le problème de l’inadaptation de l’Africain aux nouvelles conditions issues des exigences de l’action coloniale (…) » (197p.) Nous constatons ici, le déséquilibre, le dilemme de Samba Diallo perdu entre deux réalités : la tradition et la modernité.  Le maitre spirituel Thierno, hormis sa sévérité fut un modèle pour le jeune. Il représente la tradition, la culture Diallobé.

Les citations à retenir

Le récit de Cheikh Hamidou Kane est riche de maximes et de proverbes qui, de par leur structure, font réfléchir le lecteur. Nous avons entre autres :

« La parole se suspens, mais la vie, elle, ne se suspens pas » (p.57)

« Le canon contraint les corps, l’école fascine les âmes. » (p.60)

« Le pays qu’on ne gouverne pas se détruit » (p. 90)

« Une plaie qu’on néglige ne guérit pas mais s’infecte jusqu’à la gangrène. » (p.90)

« La parole tisse ce qui est, plus intimement que la lumière ne tisse le jour» (p.131)

« Les haines les plus empoisonnées sont celles qui naissent sur de vieilles amours. » (p.171).

 

 

Conclusion :

Dans un style classique,l’auteur aborde les thèmes de Dieu, du travail, de la religion, de l’école et de la vie. Il procède par des analyses déductives et débouche sur des conclusions. Cet ouvrage mérite son titre de roman par la pluralité des personnages (Samba Diallo, Thierno, Coumba, Hamadi, la Grande-Royale, M. Martial et bien d’autres) ; le procédé de mise en abyme employé dans la narration ; le volume du livre, la technique narrative et surtout l’accent mis sur la déduction qui donne un caractère philosophique au roman. Revenant au paratexte, la première de couverture déjà nous rappelle l’Afrique traditionnelle par la sculpture en bois d’une tête de femme tressée de cauris.  C’est pour finir un délice classique de l’homme préfacé par Vincent Monteil à lire et à relire absolument !

Le texte sort d’une belle facture et inspire après lecture une tonalité pathétique et tragique. C’est un épilogue difficile mais qui au-delà, ouvre des parenthèses de réflexion sur la condition de l’homme colonisé. Ma culture, ma tradition, mes valeurs, mes principes et ma foi doivent-ils s’annihiler à la seule rencontre de la culture voisine ? Un tri s’impose, je pense ! Celui de savoir quoi prendre et quoi rejeter.Dans ce livre, il s’agit moins d’une autobiographie que d’une méditation grave, angoissée, sur la confrontation de l’Afrique traditionnelle et de la modernité, de la contemplation religieuse et de la technique au service de l’action.

 

 

ADANKPO GHISLAIN, Etudiant en deuxième année de Lettres Modernes à l’Ecole Normale Supérieur ( ENS ) de PORTO-NOVO

1 comment

C’est bien Mr Andankpo..on a une vue panoramique sur l’ouvrage, laquelle nous permet de savoir ce qu’il se passe dans ledit ouvrage.
en revanche, vous aurez pu aller un peu plus loin dans votre étude en montrant par exemple le rapport entre le titre de l’ouvrage et le contenu de l’intrigue du livre… en ressortant les valeurs esthétiques profondes et scripturales de l’auteur puisque que khane a une manière d’écrire qui communique profondément avec le lecteur…
D’autres aspects par vous pourraient être étudier mais je me permet de ne pas les évoquer…

c’est un travail remarquable mais qui pourrait être extensible d’avantage à mon avis…
merci.

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