« Le plus grand bien qu’on puisse faire à la littérature, c’est de lire les livres.  » Grégoire Folly

« Le plus grand bien qu’on puisse faire à la littérature, c’est de lire les livres.  » Grégoire Folly

Grégoire Folly nous parle ici de son dernier livre « Le garçon safou » paru chez Légende Editions.

BL : Quelle a été votre principale source d’inspiration pour écrire « Le garçon-safou »?

GF : Pour écrire ce récit, je me suis intéressé à la tradition, à notre société, à l’histoire. Ou je devrais dire, notre société tout court. En tout cas, j’ai voulu être au confluent de tous ces chemins. Quelque part aussi, j’ai voulu rendre hommage à l’enfance, à notre enfance et à ses nombreuses sinuosités.

BL : Comment décririez-vous le message ou la morale que vous souhaitez transmettre à travers votre œuvre ?

GF : Je ne parlerai pas de ‘’message’’, ni de ‘’morale’’ dans ce que j’ai fait là. Non, j’aurai l’impression d’être « prisonnier d’une nécessité » envers le lecteur, ou de lui fournir une œuvre à recettes qui serait un « poids inutile », selon l’expression d’Ionesco. J’ai, peut-être, une certaine vision du monde qui m’amène à questionner nos rapports familiaux, sociaux dans une ère de vitesse, parce que, au fond, j’ai écrit cette nouvelle un peu par nostalgie. Nostalgie de ces temps-là où les grands parents étaient le centre de gravité de l’apprentissage, ces temps où ils n’étaient pas condamnés à une mort sociale. Donc je suis nostalgique. Mais ce que j’écris, c’est comme une bouteille que j’ai jetée à la mer, il revient au lecteur de s’en saisir et de se faire sa propre opinion.

BL : Pouvez-vous partager une anecdote intéressante sur le processus d’écriture de ce livre ?

GF : J’ai écrit Le garçon-safou par admiration pour le regretté Eugène Codjo Kpadé, l’un des premiers écrivains béninois que j’ai découverts dans ma jeunesse. Ses œuvres m’ont marqué, en particulier une : Mêhintô ou les dieux étranglés. Cette nouvelle d’à peine 60 pages, que Eugène Kpadé a appelé lui-même ‘’récit’’, a été en fait le premier déclic dans ma venue à la littérature.

Je passais en 5ème quand j’ai découvert cette nouvelle d’une manière bizarre. J’aidais un ami à ranger la chambre de son oncle. Notre mission était de vider l’intérieur : les meubles, les tables, le lit en paille, tout pour que le sol soit dallé et cimenté. Pendant que nous soulevions les valises et autres sacs, des effets se glissèrent par terre. Mes yeux tombèrent alors sur une espèce de brochure, avec une couverture aussi usée qu’un sac de chasse, et dont quelques pages étaient écornées. Je me saisis alors de cette espèce de brochure, et l’ouvris presque machinalement. La première chose que je lis était : Eugène Codjo Kpadé, avant de retourner le livre pour me rendre compte qu’il est originaire de Grand-popo, comme moi. Pour moi, cela seul a du prix. J’étais totalement impressionné, subjugué, d’autant plus que c’est le premier écrivain béninois (plus encore de ma localité !) que je tenais en main. Je survolai les pages, je m’accrochai à quelques-unes si bien que mon ami, ayant senti que le magnétisme de ce petit livre allait faire baisser ma promesse de l’aider à ranger la chambre, dut confisquer un temps le livre avant de me le rendre, une fois le travail fini.

Il venait chercher le livre à la maison. La semaine, ou le mois suivant, je partais reprendre ce livre. Ainsi de suite. Tant le héros, Mêhinto, m’intriguait autant qu’il me fascinait ; l’auteur l’avait présenté de sorte à maintenir un certain mystère sur lui. Pendant un an, ce livre avait dû faire un aller et retour incessant. Chose étrange : mon ami qui n’avait pas d’enthousiasme à l’égard des livres comme moi, avait dû faire violence sur moi pour récupérer définitivement ‘’son livre’’ en me notifiant que le prêt n’incluait pas une option de don. Je me rappelle lui avoir dit que je vais écrire un livre comme ça  un jour, affirmation qui lui arracha un rire bien gras auquel je ne prêtai pas attention. Quand des années plus tard, l’un de mes éditeurs m’a demandé un texte à publier, je me suis dit qu’il est temps de m’acquitter de cette dette morale. Donc, mon besoin d’écrire ce récit, ou d’écrire tout court, est venu de là, de la lecture de Mêhinto ou les dieux étranglés.

BL : Quels défis avez-vous rencontrés pendant la création de ce livre et comment les avez-vous surmontés ?

GF : Vaste question. Je ne pense pas que je puisse apporter une réponse satisfaisante. Tout simplement, parce que ce n’est pas toujours facile de restituer le processus d’élaboration d’une fiction, tant il y a tellement de choses, de coulisses, de part d’inconscient qui entrent en jeu. Je ne sais pas si j’ai rencontré des défis en écrivant ce récit ; je sais juste que je me suis donné les moyens psychiques et l’entêtement nécessaire pour l’écrire.

BL : Y a-t-il des personnages ou des situations qui sont basés sur des expériences personnelles ?

GF : Oui et non. Oui, parce qu’il y a peut-être une part d’inconscient qui m’échappe et qui serait le fruit de quelques pans de ma vie. Non, parce que je ne me souviens pas de ces expériences de ma vie qui influencent mon écriture fictionnelle.

BL : Comment choisissez-vous les noms de vos personnages et l’intrigue de vos histoires ?

GF : Je les choisis en fonction de mon projet en amont, de ce que je veux écrire. Les noms peuvent renforcer l’intrigue. Parfois, je fais le tri pour voir ceux qui renvoient explicitement ou implicitement à des centres d’intérêt que je veux déployer. Parfois je choisis au hasard, suivant ma coquetterie.

BL : Quel aspect de votre livre vous semble le plus important pour les lecteurs de comprendre ?

GF : Aucun. Ou tout me semble important.

BL : Comment votre propre vie ou vos convictions personnelles ont-elles influencé le développement de l’histoire ?

GF : Je ne saurais dire si ma vie ou mes convictions personnelles ont influencé l’écriture de «Le garçon-safou. Je sais juste que c’est une obsession que je me suis donné les moyens de réaliser. Peut-être, inconsciemment, des pans de ma vie ou de mes convictions s’en sont mêlés. Peut-être. Mais alors, on peut dire que tous mes livres sont influencés par des pans de ma vie ou de mes convictions personnelles ! C’est difficile de trancher. On est à la frontière de tout et de rien.

BL : Qu’espérez-vous que les lecteurs retiennent de manière durable après avoir lu Le garçon-safou ?

GF : D’abord, la posture de Janas, le garçon en question dans mon récit. Elle s’apparente au mûrissement de ce fruit qu’est le safou, qui est en fait une métaphore de l’exemple, de l’imitation. En fait, on rencontre un petit garçon turbulent, un peu têtu, qui devrait tirer une certaine « moelle » d’une histoire, d’un vécu qui lui a été exposé, conté. Ensuite, j’ai pensé au respect du vécu de l’autre et à une certaine expérience de la transmission et de l’Histoire, en insérant un épisode de la Deuxième Guerre mondiale, parce que les os d’un enfant ont besoin de se former, et ses sens, de se développer. L’écrivain ivoirien Gauz disait, je ne sais plus trop où, que « les enfants sont adultes des histoires qu’on leur raconte ». Pour moi, c’est tellement vrai : nous devons travailler la culture de la transmission et du respect de l’autre dans la formation et dans le jugement des enfants, des jeunes.

BL : Votre mot de la fin

GF : Merci pour l’occasion que vous m’avez offerte de parler de ce livre. Le plus grand bien qu’on puisse faire à la littérature, c’est de lire les livres.

Interview réalisée par Salim-Ghislain Cya  pour Biscottes littéraires

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