« L’énigme du destin » 1/4, Gille GANDONOU

« L’énigme du destin » 1/4, Gille GANDONOU

« Ce qui doit arriver arrive toujours et nous autres humains sommes vainement précautionneux »

Les scrupules d’une âme candide.

Une nuée crépusculaire s’agglutinait perceptiblement dans la voûte céleste. Un doux alizée, relayé par un vent violent et impétueux, annonçait une pluie drue qui allait ruisseler sur toute la campagne de Zè. Les commerçants du grand marché de Zè avaient commencé à ranger leurs marchandises dans un va-et-vient tumultueux pour échapper à la ruse des chapardeurs qui saisissent toujours ces occurrences pour se précipiter sous les hangars, s’armant de violence et de hargne, pour dérober les propriétaires. Les marchands impuissants devant la véhémence des chapardeurs éructaient des imprécations et confiaient leur cause à Ogou ou à Sakpata, divinités ayant poussé sur la terre féconde de leur ignorance et à qui ils vouaient leur croyance. Ainsi, Ogou et Sakpata étaient conviés à la table de la vengeance pour éventrer et pourfendre les voleurs, pour se délecter de leur chair et se désaltérer en savourant jusqu’à la lie l’onctuosité du liquide rouge vif qui irrigue leurs veines.

Mais les chapardeurs, eux, n’avaient cure des anathèmes que proféraient ces pauvres marchands. Il leur suffisait d’ailleurs de ceindre une amulette ou de nouer une ceinture magique à la cambrure de leur hanche pour annihiler l’effet nuisible de ces esprits maléfiques, maîtres des combats dans l’ombre. Les apprentis soudeurs situés à la lisière du marché, se liaient d’amitié avec ces derniers et s’immisçaient parfois dans la horde des voleurs pour alléger le poids de la souffrance et pour subvenir à leurs besoins de jeunes que ne pouvait satisfaire la modique somme de 1 500 Francs CFA qu’ils recevaient de leur patron par semaine. Sévérin, le plus jeune des apprentis de l’atelier de soudure « Dieu est la solution » se refusait de participer à ce pis-aller véreux auquel recouraient ses pairs pour une cause qui touche à leur dignité : leur subsistance. Les exutoires artificieux qui transgressent la loyauté et qui ne font pas référence à la morale avilissent l’homme au lieu de l’ennoblir et de l’affranchir, s’obstinait-il à leur prouver. Il sermonnait ses amis toutes les fois que les circonstances s’y prêtaient et leur démontrait au gré de tous les arguments que le vol ne fait pas honneur à l’homme. Il finissait toujours par cette formule qu’il s’est appropriée :
« Aucune raison, même pas celle qui semble la plus compréhensible, ne saurait légitimer le vol au point d’en faire une vertu. Il pourrait arriver que le vol serve une noble cause, mais le vol ne devient pas une vertu par le fait. Le vol, c’est du vol et le vol est un vice. »
Mais ces pairs se moquaient de lui et le rassuraient de ce que sa prétendue candeur s’érodera avec le temps sous le poids de la misère. Sosso, le chef de la bande, ne manquait d’aucune occasion pour lui rappeler que sa bande est toujours disposée à l’accueillir quand il se serait enfin ravisé.
Ce jour-là, le jeune Sévérin s’était avachi après une longue journée de dur labeur. Son argent de poche était fini depuis trois jours. Ses réserves de Gari et de galettes avaient aussi tari. Ses yeux vitreux tournaient dans ses orbites aux profonds soupirs que lui arrachait sa poche stomacale vide. La faim le tenait dans ses serres, le tenaillait et lui infligeait des maux de ventre atroces. Une lampée de vertige lui monta instantanément dans la gorge et lui imprima un faciès de convalescent. Soudain, une idée teintée à la fois de lueur et d’ombre fit parcours dans sa tête et lui arracha un sourire morne. Il rassembla ses ultimes forces, se leva et alla voir Sosthène, le sous-patron.
Sosso, bonsoir. Je dois te parler, c’est urgent, lui dit-il.


C’est très urgent ?
Je n’ai pas l’air de celui qui plaisante. Prends-moi au sérieux, s’il te plaît.
Vas-y, crache le morceau.
Euh, j’ai scrupule à te poser mon problème.
Ne me perds donc pas le temps.
Bon d’accord, écoute et surtout prends-moi au sérieux.
Parle vite et cesse de jouer au matamore qui entretient un secret.
J’ai épuisé mon argent de poche depuis le mercredi passé…
Et tu comptes sur moi pour t’emprunter des sous ?
Ce n’est pas exactement l’objet de ma requête. Je viens quémander ma pitance de ce soir auprès de votre générosité. Un sachet de Gari de 25F suffira pour calmer la révolte de mon ventre creux.
A ces propos du jeune garçon, une hilarité soudaine saisit Sosso et fit secouer bruyamment sa mâchoire. Il reprit en réponse à Sévérin :
Je te comprends bien Sévérin, mais il faudrait que tu le saches : l’exercice de la vertu suppose un minimum de confort matériel. Quand on manque du nécessaire vital, la vertu devient une vaine mortification qui creuse progressivement la tombe du juste. Tu t’échines pour ne pas franchir le seuil que t’impose ta conscience morale. C’est bien. Mais écoute, à cette allure, tu vas mourir avant que ne pèse sur ton épaule le fardeau des âges.
Le regard interrogateur du jeune garçon l’interloqua. Il observa une petite pause et reprit son discours qui changea aussitôt de ton.
Tout compte fait, je ne vais pas t’enrôler de force dans ma bande. Suis-moi pour que je de donne de quoi remplir ta panse avant que l’ulcère ne brûle tes côtes jusqu’à consomption. Mais sache-le, il ne faudrait pas compter sur moi tout le temps.
Merci beaucoup Sosso.

Depuis ce jour, Sévérin se convainquit de la nécessité de se battre de jour comme de nuit pour ne pas s’immiscer dans les lacis du vice. Quels jobs ne ferait-il pas pour que la mauvaise conduite de ses amis ne le séduise et ne déflore son cœur qu’il s’efforce de garder immaculé et candide ? A quel sacrifice ne consentirait-il pas pour sauvegarder son honneur et mener dignement sa vie d’orphelin et d’infortuné ? Sévérin, en effet, était né orphelin ; sa mère avait connu le trépas le jour où elle lui donna naissance. Son père, quant à lui, rendit l’âme des suites d’un accident de circulation alors que celui-ci caressait à peine ses noces de bois. Il fut dès lors confié à M. Soukou, un ami de son père. M. Soukou le mit alors dans son atelier de soudure, le sevrant très tôt, dès la classe de CP, de l’éducation scolaire. Il grandissait sereinement dans cet atelier, s’y plaisant en dépit de toutes les sévices et de toutes les aspérités connues à la vie d’apprentissage en Afrique. Il était devenu le coursier de tous les apprentis qui le prenaient pour le boy de l’atelier.

A suivre

Gilles GANDONOU

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