» Les prix ne font pas de vous un meilleur artiste, » OsvaldeLewat.

 » Les prix ne font pas de vous un meilleur artiste, » OsvaldeLewat.

                   

BL : Bonjour Madame. Nous sommes heureux de vous recevoir sur Biscottes Littéraires. Nos lecteurs sont curieux de vous connaitre. Voudrez-vous bien vous présenter, s’il vous plait ?

OL : Je m’appelle OsvaldeLewat. Je suis née au Cameroun. Je suis écrivaine, réalisatrice de films documentaire et photographe.

BL : Nous vous recevons en tant que femme de lettres. Quel est le socle de votre passion pour la littérature ?

OL : Plusieurs choses. Mon premier choc de lecture : Cyrano de Bergerac, j’avais 12 ans. Les récits autour du feu de bois dans la maison en terre battue de ma grand-mère au village. Les cousins se retrouvaient chez elle pendant les vacances et notre grand cousin nous racontait des histoires pendant que sur un brasero grillait un maïs et des safous. Enfin, il y a aussi le fait que très jeune, j’avais dix ans environ, ma mère m’obligeait à lire et à lui faire le résumé des livres que j’avais lus.

BL : Quand avez-vous senti le besoin de vous adonner à l’écriture ? Qu’est-ce qui fut le déclic ?

OL : Après avoir réalisé plusieurs documentaires et exposé mes photos, je continuais d’être habitée, par un sentiment de satisfaction mêlé d’incomplétude. A quatorze ans, je savais que je voulais être psychothérapeute et écrivaine. J’avais même écrit un très mauvais roman ; un oncle à qui je l’avais donné à lire m’avait dit avec une grande générosité :  « Au moins le titre est bien ». Personnellement, je crois que, même le titre était mauvais. La photographie et le documentaire me permettaient de dire le monde mais j’avais les personnages des Aquatiques qui gambadaient dans ma tête, ils voulaient exister et je résistais. Mais l’histoire du roman se densifiait et s’est  consolidée dans ma tête, au fil de mes propres confrontations avec la vie.

BL : Vous signez votre entrée dans l’arène littéraire avec « Les Aquatiques ». Quel est le postulat d’écriture de ce roman ?

OL : A la fin de l’adolescence, lorsque j’ai lu Narcisse et Goldmund de Hermann Hesse, j’ai su intuitivement qu’un jour ou l’autre je raconterais une histoire d’amitié forte. A l’époque où j’ai lu le roman de Hermann Hesse, je vivais moi-même une relation d’exception, une amitié bâtie sur un roc.

BL : Ce livre oscille entre la tradition et modernité. Katméne verse aucune larme le jour de l’enterrement de sa mère, parce que cette dernière l’avait abandonnée. Le lecteur pense à Meursault, personnage atypique dans « L’étranger », célèbre œuvre d’Albert Camus. Certes, dans le cas de Katmé, on peut parler d’un acte sur fond de haine et de ressentiment, mais l’étrangeté de sa personne le long du livre le rapproche de Meursault. « Les Aquatiques » porterait-il une part d’existentialisme ?

OL : Si voulez dire que Katmé met à distance les événements qui traversent sa vie et se tient extérieure à eux, ce n’est pas tout à fait faux. Du moins au début de l’histoire. Elle est lucide, elle est consciente de ses choix, de ses renoncements. Elle n’est jamais absente à elle-même. Elle sait en permanence ce qui se joue et met en place des stratégies de dérobade. Elle diffère de Meursault en ce qu’elle lutte en permanence pour garder au loin ce qui pourrait déstabiliser la vie qu’elle a construite. C’est une matérialiste au sens philosophique du terme. Dans « L’existentialisme est un humanisme », Sartre explique que l’homme n’existe que dans la mesure où il se réalise. D’une certaine manière, c’est un peu cette logique qui anime Katmé puisqu’elle veut réussir sa vie, et non, au bout du chemin, avoir une vie ratéecomme sa mère.

BL : Katmé quitte son poste de professeur pour vivre à l’ombre des bonnes grâces de son mari Tashun. À l’extérieur, elle a l’air d’une femme accomplie, une femme qui a réussi sa vie, mais à l’intérieur, elle est soumise à son homme. Quitter son travail pour un homme, quel message voulez-vous véhiculer à travers cet acte ? La femme africaine vit toujours sous le joug pesant de la tradition ?

OL : Je crois qu’il faut éviter d’essentialiser « la femme africaine ». Il n’y a pas de réalité homogène ni de figure archétypale de la femme africaine.Par ailleurs, je suis toujours gênée lorsque les traditions sont connotées péjorativement. Il y en a en Afrique, y compris dans la relation homme-femme, qui sont belles et qu’il faudrait perpétuer. Il y en a d’autres dont on devrait évidemment se défaire. Lorsqu’on accole dans la même phrase femme africaine et tradition, l’idée sous-jacente c’est que cette femme demeure en marge de la modernité, du progrès. C’est une erreur car lorsqu’on s’intéresse de près aux traditions africaines , on peut observer au sujet de la place de la femme dans la société que la régression est venue pour partie de l’héritage colonial, de la vision monothéiste du monde qui inscrit la soumission de la femme au mari comme une des voies de salut éternel. Ce n’était pas le cas dans de nombreuses sociétés africaines précoloniales. Dans le cas spécifique du Zambuena, le pays d’Afrique où je se situe le roman, des femmes sont certes écrasées par le poids du patriarcat mais elles résistent. Il y a bien sûr la figure dominée de Katmé mais également celle assez libre et indépendante de Keuna qui est presque son antithèse. Ce sont des figures qui cohabitent dans le même espace social et géographique.  Pour les femmes à travers le monde il reste de nombreuses luttes à mener pour conquérir plus de droits, sortir de l’infériorisation, de la domination masculine. Les femmes en Afrique ont embrassé ces luttes en essayant de ne pas faire fi des réalités spécifiques à leur continent ou à leur pays. On ne peut occulter le fait que les femmes bénéficiant d’un certain niveau d’éducation, vivant en zone urbaine ou périurbaine, sont plus à l’avant-garde de ces combats que celles installées en zone rurale. Cependant, les idées se disséminent progressivement dans toutes les couches de la société.

BL : L’homosexualité est abordée dans ce livre avec le cas de Samy, l’artiste qui fait une exposition avec des œuvres vraiment osées. Est-ce une manière pour vous de partager vos impressions sur la façon dont l’homosexualité est perçue dans la société africaine ?

OL : Il se trouve que Samuel l’un des personnages du roman est homosexuel dans un pays où l’homosexualité est réprimée, condamnée par la société et par la loi. J’ai été sensibilisée très jeune à la stigmatisation que subissent les homosexuels. Le personnage de Samuel m’a été inspiré par des proches frappés d’ostracisme, de réprobation sociale en raison de leur orientation sexuelle.  J’ai vu des personnes dont les vies ont été détruites parce qu’on avait découvert leur préférence pour les garçons. Lorsqu’on est enfant et qu’on entend des adultes parler de tel oncle, tel cousin dont on a découvert l’abominable secret,  lorsqu’on exige que vous ne lui adressiez plus la parole parce qu’il ira en enfer, parce que c’est l’Antéchrist, ça vous marque. Il y a la répression de l’Etat bien sûr, mais avant d’être présenté à un juge et condamné, il y a le rejet des proches. Être traité en pestiféré par ceux qu’on aime, être exclu par le clan, la communauté, signe votre mort sociale dans un contexte où le groupe exerce toujours un contrôle important sur l’individu. Cette violence symbolique, j’ai vu des personnes la subir autour de moi. Quelques pays africains ont dépénalisé l’homosexualité, mais de nombreux autres continuent de criminaliser les rapports sexuels entre personnes de même sexe. Les humiliations physiques et morales, par les forces de l’ordre ou la population, sont courantes. Lorsque j’ai décidé d’écrire Les Aquatiques, le personnage de Samuel s’est imposé comme une évidence.

BL : Vous êtes aussi réalisatrice. Dans votre film Au-delà de la peine, plusieurs thématiques sont mises sur la sellette, l’injustice au Cameroun, le viol des femmes pendant la guerre au Congo-Kinshasa, l’indifférence de l’Etat face aux nombreux vices et calamités. Vous devez être une femme, écrivaine et réalisatrice engagée dans l’âme ?

OL : Je situe mon travail artistique du côté de la face dérangeante du monde, du côté de l’inconfort, de la gêne, de l’intranquillité. Est-ce que ça fait de moi une auteure engagée ? Je ne saurais le dire. 

BL : Ce film vous a valu le grand prix du film de télévision au Portugal et le prix des droits humains au festival de Montréal. Ces distinctions vous ont-elles motivée dans la suite de vos œuvres ?

OL : Un prix est toujours un encouragement. Une incitation à continuer. Evidemment il faut en relativiser la portée. Les prix ne font pas de vous un meilleur artiste. Ils vous offrent une visibilité qui permet trivialement de mieux gagner sa vie si l’on est chanceux et d’élargir son public. Les prix obligent à une plus grande exigence vis-à-vis de votre art.

BL : Ya-t-il des hommes ou femmes qui vous inspirent dans vos diverses œuvres ?

OL : Plusieurs. Doris Lessing, Philip Roth, Kourouma, RithyPanh, Sembène, Wenders, etc.

BL : Votre regard sur la littérature camerounaise d’aujourd’hui ?

OL : Une grande créativité.

BL : À quelle autre œuvre le public doit-il s’attendre après ce roman ?

OL : Je prépare mon prochain film dont je viens de terminer le tournage en Afrique du Sud et je travaille également sur mon prochain roman.

BL : On pense que les jeunes d’aujourd’hui ne lisent plus. Votre avis sur le sujet ?

OL : Ils lisent. Différemment. Moins de romans, c’est certain.

BL : Quelques conseils à l’endroit des jeunes qui désirent vous emboiter le pas en tant qu’écrivaine ?

OL : Beaucoup lire. Beaucoup écrire même si c’est mauvais. Cent fois sur le métier recommencer encore et encore et ne pas se décourager.

BL : Vos jeux de distraction

OL : Scrabble. Mots fléchés. Concours de danse avec mes enfants.

BL : Votre mot de la fin

OL : Merci.

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