Marien F. Ngombé: « Le mot dépend de la voix qui le prononce, de la main qui l’écrit »

Marien F. Ngombé: « Le mot dépend de la voix qui le prononce, de la main qui l’écrit »

Bonjour les amis. Cette semaine, nous serons en compagnie de Marien F. Ngombé, écrivain congolais, poète et musicien dans l’âme : « La musique est une toile de fond et la littérature pour moi est une prise de parole.« 

BL: Bonjour M. Marien F. Ngombé. Nous sommes heureux de vous recevoir sur notre blog. Nous vous savons écrivain, et c’est sous ce couvert que nous vous recevons sur Biscottes littéraires. Merci de nous en dire plus sur vous pour une présentation plus exhaustive.

MG: Bonjour, je vous remercie de me donner l’occasion de m’exprimer. Je suis en effet auteur, depuis quelques années je me raconte à travers différentes publications. Je suis un congolo-français qui tente de questionner le monde avec tantôt de la gravité et souvent un peu de légèreté pour sonder la nature humaine.J’ai 43 et je pense que mon écriture évolue avec mon expérience et mes attentes d’homme.

BL: À voir votre parcours et votre formation qui vous rendent plus proche des chiffres que des lettres, on ne vous voit pas forcément finir écrivain. Pourtant, cela fait un peu plus de 10 ans que vous avez enfilé le manteau et il vous sied à merveille. Parlez-nous de votre aventure avec la littérature.

MG: Oui j’ai une formation de comptable, j’ai un DECF (Diplôme d’Études Comptables et Financières) et j’ai fait ma carrière dans la Comptabilité et les finances. Pour autant mon amour pour les mots précédent celui des chiffres. Depuis ma prime enfance, je suis passionné par les mots. Au delà de leur sens premier, le second degré, la sonorité, l’agencement des lettres. Les mots parlent à tous les sens. Le mot dépend de la voix qui le prononce, de la main qui l’écrit, du contexte de son emploi et des souvenirs qu’il peut emmagasiner au fil du temps. Les mots sont très chargés émotionnellement. Je parle des mots. Parfois un mot suffit pour déclencher l’hilarité générale ou rendre une pupille humide. Mais l’envie d’écrire arrive plus tard, il y a environ 10 ans. Je voulais raconter la violence de l’exil. A postériori, il s’agit bien de cela. Quand je publie Escales en 2010, un court recueil de Nouvelles, c’est pour raconter le voyage. Principalement mon voyage pour la France. Ce voyage est raconté de différentes manières dans 3 nouvelles du recueil.

BL: Puis un jour, on décide de fermer les livres qu’on a lus et relus, on hésite puis on finit par empoigner la plume, à noircir des pages et des pages. Ainsi naquirent Escales puis Itinéraire bis, Le bâtiment A et Franklin, l’incompris. Quand avez-vous compris qu’il fallait être un plus qu’un simple lecteur, qu’il fallait faire son jet d’encre, écrire vous aussi ?

MG: J’aurais du mal à situer le moment exact. Mais j’ai eu envie de raconter propre voyage. C’était une période pendant laquelle je questionnais l’intérêt de quitter son pays pour un ailleurs, fût-il rempli de promesses. Je l’ai d’abord écrit sans but précis. Ensuite des amis passionnés de littérature m’ont dit qu’ils trouvaient un intérêt à lire ce que j’ écrivais. Ensuite,j’ai sauté le pas. Il fallait une dose d’inconscience quand on mesure les privations que certains sont prêts à consentir avant d’être publiés. Mais je pense que j’avais une réelle authenticité et une vraie envie qui animaient ma démarche.

BL: De quelle école d’écriture vous réclamez-vous ?

J’ai toujours beaucoup de mal avec cette question. Je ne sais pas. Ce serait plutôt au lecteur d’essayer de me trouver une case. Mais vous savez, les cases finalement volent au vent à la moindre variations de style. Alors en termes d’esthétique et de courant idéologique avec qui je me trouve des affinités? Je suis un lecteur bercé par les auteurs africains qui ont questionné nos indépendances. Les pionniers de notre littératuretel que Amadou Kourouma, Sembène Ousmane, Labou Tansi ou encore Birago Diop. Mais en termes d’esthétique, les plumes que je cite sont très différentes. La question de se réapproprier nos destinées me parlent.

Par ailleurs, je pense que ma plume a évolué. En matière d’esthétisme je suis assez fasciné par Khadra qui met de la poésie en dépeignant des atrocités. Peut-être que mes références aideront à me trouver une école.

BL: 15 ans et déjà sur les routes de l’Europe, de la France où vous vivez depuis bien des années maintenant. Quelle(s) influence(s) ce double-héritage congolo-français a-t-il eu sur votre décision de devenir écrivain, sur votre style d’écriture et sur les univers qui jalonnent vos écrits ?

MG: Je suis particulièrement attaché au Congo.  A tel point que je ne me suis jamais empressé de prendre la nationalité française. Mais la vérité est qu’après près de 25 en France je ne peux pas dire que naturellement je ne suis pas imprégné de la culture de mon pays d’accueil.

Pour autant peut-être que l’afrocentricité est importante pour moi. C’est à dire,parler du monde à partir de mon regard de congolais. A tel point qu’à part Bâtiment A et quelques Nouvelles, mes personnages sont presque toujours des africains qui se trouvent en Afrique.

Pourtant mes lectures sont éclectiques mais c’est vrai que naturellement je me téléporte dans une Afrique que j’ai en tête pour raconter mes histoires. L’héritage français tient à la langue déjà. Une langue que je pratique depuis toujours. La langue que nous utilisons porte déjà en elle une façon d’appréhender le monde. Mon métissage est tellement ancré qu’il se questionne difficilement. Même si j’aime me réclamer avant tout congolais parce que de cette façon je fais miens tous les défis de mon pays et de mon continent au delà de la littérature.

BL: De l’Hexagone où vous êtes installé, quel regard portez-vous sur la vie littéraire congolaise ?

MG: La littérature congolaise a des figures de proue qui sont des phares qui nourrissent les ambitions des jeunes plumes en devenir. Je pense à Dongala, Nsondé ou même Mabanckou. Mais il faut reconnaitre que la grande époque de la phratrie littéraire est derrière nous. U Tamsi, Lopes, Menga, Labou Tansi avaient ceci de particulier qu’ils communiquaient beaucoup entre eux sur leurs travaux. Ils se lisaient les uns les autres. Ça crée une sorte de corpus créatif commun.

Aujourd’hui quand Mabankou écrit en Californie et que Nsondé écrit depuis l’Allemagne par exemple la seule chose qui les lie est la nationalité congolaise.D’autant plus que Les champs qu’ils explorent sont différents. A mon avis les congolais écrivent beaucoup depuis toujours mais ils sont tributaires des maisons d’éditions comme tous les préposés à la publication. Aujourd’hui il faut réveiller les plumes qui sont sur le continent. Elles sont inaudibles aujourd’hui.

BL: Votre quotidien occidental et vos habitudes parisiennes ne semblent pas avoir enterré le Congolais en vous. Des traces de votre pays d’origine se retrouvent dans vos livres à travers des noms congolais, par exemple. Quel est le secret pour entretenir et maintenir une âme africaine quand on vit en Europe ?

MG: Je pense que je suis attaché à mes 15 premières années que j’ai passées dans mon Congo natal. Malgré mes voyages qui permettent de garder le lien, je pense garder surtout le Congo de mon enfance en mémoire. J’ai des souvenirs de gouts et de sons que je ne retrouve pas quand j’y vais en vacances. J’écris pour imprimer ses souvenirs diffuse.

BL: Peut-on dire que le livre est un pont que vous jetez depuis la France sur le Congo de votre naissance ?

MG: Plus qu’un pont, c’est un cordon ombilical inaliénable. Oui d’ailleurs l’écriture a été les prémisses de mon engagement associatif et citoyen par la suite. Il y a une dimension de l’ordre de l’engagement.

BL: Ce n’est pas que par les livres et les mots que vous êtes proche du Congo. En témoigne Akoua Mosse, cette initiative qui matérialise votre attachement pour votre pays de naissance. Parlez-nous de la genèse et des objectifs de Akoua Mosse.

MG: Autour de mes 20 ans j’ai voulu comprendre les trajectoires de nos parents. Ils sont nés dans nos villages loin des villes. Ensuite ils ont vécu leur aventure ambiguë en allant à l’école des toubabs. Après cela, ils ont été intégrés dans la fonction publique. Ils sont devenus les noirs toubabs comme les nommait Cheickh Hamidou Kane dans Les gardiens du temple. Il ont singé les occidentaux au point d’interdire à leurs enfants, c’est à dire nous, de parler les langues de nos villages. Les scories de la colonisation dirons-nous. Bref, j’étais en proie à des questionnements profonds qui m’ont amené à vouloir créer une association pour promouvoir la culture du people Akwa. Je suis Akwa par mon père. S’intéresser à ce people c’est s’intéresser à l’Afrique. En effet c’est un peuple qu’on retrouve au Mozambique, à Madagascar au Congo pour ne citer que ces pays. Donc en m’intéressant à la culture j’ai aussi voulu aider les personnes indigentes de Makoua mais aussi la jeunesse prometteuse.

BL: Le premier livre est généralement celui dans lequel on s’épanche et se dévoile le plus. Parlez-nous de la genèse de Escales.

MG: Je pense que c’est vrai. Comme je le disais plus haut. Il parle de voyage en train quotidien du francilien. C’est le prétexte que j’ai trouvé pour parler de la quête de soi. J’écris ce recueil à une période de réel questionnement sur ma vie en France. Il y a également un texte sur le voyage introspectif. Le voyage spirituel. Il y est question de l’état de pauvreté qui offre souvent l’opportunité de se nourrir sur le plan spirituel. Oui il y a les sujets de l’Afrique et de la quête de soi que je vais continuer à explorer ensuite.

BL: Franklin, l’incompris est un projet littéraire d’envergure continentale que vous avez initié. Qu’est-ce qui a motivé ce choix de consacrer un livre à cet illustre musicien ?

MG: Encore une fois c’est l’envie de raconteur une Afrique,celles des indépendances. C’était intéressant de la raconter à travers le regard des enfants ou petits enfants des pères des indépendances. Chacun en partant d’une chanson de Boukaka, s’est réapproprié un pan de l’histoire du continent.

BL: Comment avez- vous réussi à fédérer et à rassembler cette panoplie d’auteurs de nationalités diverses ayant contribué à cette anthologie ?

MG: L’enthousiasme était quasi immédiat chez les co-auteurs. Pour certains, il a fallu traduire des textes du lingala au français pour emporter leur adhésion. Mais sur le plan musical tout le monde était emballé.

BL: Avant ce livre qui vient confirmer votre fort penchant pour la musique, votre côté fanatique de belles mélodies se lisait déjà dans Itinéraire bis. Ces fréquentes allusions à la musique seraient-elles pour vous une manière de vous dédouaner d’avoir préféré la littérature à cet autre art qu’est la musique où vous ne vousê tes pas encore illustré ?

MG: Je vais vous faire un aveu, je ne pense pas avoir choisi la littérature. La musique est l’art roi qui vous happe dès la première note.  Pour une lecture il faut plus d’un mot et souvent plus d’une phrase pour que la magie opère. Je suis d’une grande famille de mélomanes et de professionnels de la musique. Il y a un spécialiste en droit d’auteurs, un producteur, un manager… Mais en matière de littérature je suis acteur dans le sens où je prends la plume. J’écris souvent en musique, pour vous dire la vérité. Je lis aussi en musique. La musique est une toile de fond et la littérature pour moi est une prise de parole.

BL: Et pourtant, il existe, en littérature, un genre connu pour sa musicalité, où les mots, les notes, s’enchaînent pour distiller des émotions et caresser les sens. Il s’agit bien sûr de la poésie, un terrain que vous n’avez pas encore exploré, du moins pas avec une parution. Qu’attendez-vous pour sauter le pas ?

MG: Je trouve qu’explorer le champs poétique est plus périlleux mais en effet la poésie médiévale était d’abord chantée avant d’être écrite. Je me suis essayé a publier mon premier poème dans une anthologie qui regroupe des textes pour dénoncer la Xénophobie en Afrique du Sud. D’ailleurs ce poème estrepris dans Itinéraire Bis.

BL: Vous n’êtes certainement pas indifférent à la situation politique de votre pays. Quelle analyse d’écrivain et de citoyen en faites-vous ?

MG: Je suis concerné à plusieurs titres en effet. Je suis un citoyen engagé. Notre pays est alité. Nous sommes en récession économique depuis 3 ans. Le nombre de retraités va doubler dans dix ans et il y a un retard de versement des pensions depuis plus de 2 ans. Ceci à titre d’exemple. Il y a une crise de valeurs au Congo. Un baromètre très intéressant pour savoir où en est une société est de vérifier le privilège dont jouissent les passeurs du savoir c’est à dire les enseignants. Chez nous ils sont payés au lance pierre. Et aucun enfant ne rêve d’exercer cette profession.

Il y a un déficit de sérieux dans la gestion de la chose publique. Les hommes ne sont pas habités pour leur mission. Il manque une sorte de transcendance. La transcendance est désincarnée par nos dirigeants.

BL: Parlez-nous de vos projets littéraires. Qu’avez-vous prévu pour tenir en haleine vos lecteurs ?

MG: Un seul titre à retenir “Tant que l’équateur passera par Penda” un roman en gestation depuis quelques années que j’ai enfin bouclé. Ce roman est au carrefour de ce que je fais par amour pour la culture et engagement citoyen. Je le dis à postériori je réalise que cette fiction m’a permis de dire beaucoup de chose qui me portent.

BL: Où et comment peut-on se procurer vos ouvrages ?

MG: Auprès des distributeurs habituels et auprès des éditeurs: l’Harmattan, La Doxa, So’Art editions, Amazon et autres.

BL: Dites-nous un mot sur So’Art.

MG: So’art, je définis ce concept comme “la caisse de résonance de l’expression artistique africaine”. Au départ, il s’agissait de rencontres culturelles organisées en après-midi sur Paris, désormais nous produisons des artistes musiciens et avons déjà édité deux auteurs. L’industrie culturelle est créative est un maillon de l’économie africaine,si nous en prenons conscience et réussissons à trouver des leviers pour créer de la valeur. Cette industrie,est aussi le moyen de véhiculer nos valeurs et notre manière d’appréhender le monde.

MG: Votre portrait chinois à présent :

-Une héroïne/ un héros: André Matsoua

-Une personnage historique: Madiba

-Un auteur: Yasmina Khadra

-Un livre : Les Gardiens du Temple de Cheikh Hamidou Kane

-Un plat : Le poison salé aux aubergines

-Un animal :Le Serpent (dexterité et renouvellement)

BL: Merci M.Marien Fauney Ngombé pour votredisponibilité. Veuillez dire un mot pour clorecetentretien.

MG: J’aimerais vour dire merci tout simplement. Et inviter la jeunesse africaine à refléchir contre elle même, ne rien prendre pour acquis ni pour définitif. Tout est à réinventer.

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