« Notre-Dame de Porto-Novo »: Une satire sociale?

« Notre-Dame de Porto-Novo »: Une satire sociale?

L’auteur, dans son auguste office, ne se contente pas de narrer les faits du présent. En effet, on peut le prendre également pour un haruspice qui s’opine sur des problématiques en avance sur son temps. Eh oui ! C’est bien cet idéal qu’incarne Ricardo AKPO dans son dernier chef-d’œuvre « Notre dame de Porto-Novo », paru aux éditions Savanes du continent en 2022. À travers ses huit nouvelles, le livre transporte le lecteur vers un fief particulier, un espace qui fait de lui un intradiégétique. Les textes le bouleversent, le bousculent, et lui-même bascule dans une pérégrination réflexive. Ricardo AKPO, étudiant au master en Genre et Gestion des Projets de développement, a ourdi un délicieux élixir dont je vous invite à découvrir la quintessence.

Résumé

En Afrique particulièrement, la dernière volonté d’un mourant est sacrée. Elle témoigne en effet du souhait ultime de ce dernier. Mais il arrive que tous les membres de la famille ne se mettent pas d’accord quant à la réalisation de cette volonté. C’est sur cette sente sinueuse que nous mène la première nouvelle du livre baptisée Enterrement difficile. Le drame s’articule autour de la mort d’Elavanyo. Cette dernière émit le souhait d’être enterrée dans sa maison familiale avant de s’éteindre. Cela n’aurait été qu’une formalité pour le chef de famille, sans l’opposition des filles de la défunte qui entendent ensevelir leur mère ailleurs. Entre affront, peur, opiniâtreté et arrogance, ces filles qui choquent par leur désintéressement total à la personne de leur mère de son vivant, ont posé les édifices de ce qui va être un périple et une succession d’évènements qui dépassent l’entendement humain. Ont-elles agi par amour pour leur mère, ou bien leur acte était-il celui du rachat ?

La deuxième nouvelle Unis pour toujours peint les péripéties d’un amour aussi pur que celui de Roméo et Juliette. Ne dit-on pas qu’il n’y a jamais une histoire d’amour sans obstacle ? Eh bien ! c’est dans un village lugubre, où une série de meurtres inexpliqués plonge les habitants dans un grand désarroi, que Cupidon a fait ses victimes : Kpongnon et Kouavi. Le premier et seul ressortissant de son village à faire des études universitaires s’est épris de la douce Kouavi dont la beauté ne brillait pas malheureusement que pour lui. Le vieux et mystérieux Gankpanvi s’immisce dans le couple, mais l’amour des deux tourtereaux, et surtout celui de Kouavi ne lui permit pas d’atteindre son objectif. Il fit appel une fois encore à son rituel dont l’issue sera fatale pour les trois protagonistes. Pourquoi Kouavi n’a-t-elle pas survécu bien qu’elle ait « une tête particulière » p.52 ?

Ici et ailleurs, la troisième nouvelle, illustre d’une manière assez particulière le parcours de Zêhoui, un migrant à la recherche du mieux-être. Il est souvent sassé et ressassé que l’immigration clandestine vers l’Europe n’augure rien de bon. Mais ici, l’issu sera tout autre pour Zêhoui quoiqu’il ait connu les affres de l’ascension vers l’Occident. Pendant que certains comme Zêhoui cherchent par tous les moyens à quitter leur village, d’autres à l’image de Komlan dans C’est pour hier (la quatrième nouvelle) s’y complaisent, dégustant les petits vices de la vie campagnarde.

Autour de l’alcool, toute vérité est bonne à dire. « L’alcool fait suinter la verve comme un diarrhéique incapable de retenir ses matières alvines. » p.91. C’est ainsi que Komlan assiste au dévoilement d’un de ses secrets au public par l’un de ses comparses autour du sodabi. En effet, des années auparavant, il aurait consommé de l’alcool la veille de sa première communion. Le lendemain, au moment de la prise du corps du Christ, « il se mit droit devant le Père Curé » et ouvrit légèrement sa bouche. Une odeur envahit ce dernier. Alors, ne sachant que faire devant les yeux inquisiteurs du Curé, « il baragouina : « Non, mon Père ! C’est pour hier ». p.93

Notre-Dame de Porto-Novo, la nouvelle éponyme du livre, est une caricature de l’une des mille et une facettes de l’amour. Ne dit-on pas que l’amour ne tient pas compte uniquement que du physique ? Kouassi-Gbodo l’a très vite compris. Pauvre étudiant, il eut un coup de foudre, au cours de cette messe du soir à l’église Notre Dame de l’Assomption de Porto-Novo. Les généreuses formes d’Eshimélédha l’ont apprivoisé. Même en se rendant compte plus tard des ‘’imperfections naturelles’’ que celle-ci portait au visage, il n’arrêta pas cependant de la courtiser, mettant en avant sa grande capacité intellectuelle. Mais c’était sans compter sur le sang-froid de Yabavi, sa petite amie. En tout cas, la réalité le rattrapera vite.

Elle s’appelait Moyo est la sixième nouvelle de ce livre. Ce texteretrace l’histoire de Moyo, le parangon de l’élève arrogante, naïve, ayant un goût exagéré pour le luxe malgré son jeune âge. C’est la parfaite illustration de ces filles qui aiment afficher une image fausse d’elles-mêmes. Bref, le ‘’paraître sans être’’. Quant à Moyo, sa petite sœur lui rappellera le genre de vie qu’elle mène en réalité : « Maman a dit de venir au champ ramasser le bois de chauffage à la fin du cours » p.139.

L’on pourrait trouver banal le fait de remplacer ‘’lecture’’ par ‘’laitue’’ surtout pour des enfants. Mais lorsque ce geste banal et anodin marque le début d’une tragédie, on se rend compte de l’importance de transmettre l’information telle qu’elle nous a été dite. Pour une histoire de laitue, septième nouvelle, met en exergue l’histoire d’Etêkawê. Ce jeune apprenant commit l’imprudence d’affirmer que son maître ne devait pas aimer la ‘’laitue’’ en raison de son antipathie pour les blancs. Ses propos ont malheureusement été déformés. De ‘’laitue’’, on viendra à ‘’lecture’’, et la suite lui sera fatale. 

Qui nous a ?’’, la huitième et dernière nouvelle peint la vulnérabilité de l’homme face aux vicissitudes de la vie. Vers qui se tourner lorsque, du jour au lendemain, l’on perd tout et que notre vie devient une arène à problèmes ? Pourquoi la famille devrait-elle être notre pire poison ? Autant de spéculations qui trouvent un sens dans cette trame.

Thématiques principales développées

  • Les liens familiaux : ce thème revient dans deux nouvelles du livre. L’auteur chercherait-il à nous montrer qu’au-delà de l’unité que devrait incarner la famille, elle pourrait également être une épine ?
  • La mort : elle revient dans la majorité des nouvelles. L’auteur essaie de montrer qu’il n’y a pas que les méchants qui connaissent ce triste sort. En effet, des innocents peuvent également en souffrir.
  • L’amour : l’auteur a su bien réaliser cette symbiose entre l’amour et la mort, peut-être voudrait-il illustrer l’adage « l’amour fait souffrir ». La mort est une souffrance, et cet amour n’est pas uniquement celui que peut partager un couple.
  • La migration, la foi et l’espoir : la nouvelle ‘’Ici et ailleurs’’ en est la parfaite illustration. Zêhoui avait foi en la décision qu’il avait prise. Celle de coudoyer un autre territoire, de s’aventurer vers l’Occident. Il était suffisamment déterminé, et a toujours gardé espoir qu’il accomplirait ses rêves.

Impressions personnelles

La plupart des nouvelles incarnent le reflet de la vie quotidienne. L’auteur nous montre que notre vécu quotidien, une fois retranscrit, peut avoir quelque chose d’extraordinaire et d’effrayant à la fois. Il part de la banalité mélangée avec de l’humour pour soulever de vraies questions existentielles. Le lecteur s’interroge sur l’ensemble des conséquences que peuvent avoir les actes qu’il pose. L’auteur a su bien décrire les atouts culturels, cultuels, infrastructurels, et géographiques de notre chère capitale administrative qu’est Porto-Novo. Au-delà de toutes les intrigues tissées tout au long du livre, une réflexion philosophique se profile sur comment nous gérons notre vie en société sans que nos décisions ne constituent des blocages pour les autres.

CONCLUSION

« Notre dame de Porto-Novo » est comparable à un foyer d’où se propagent plusieurs pans de nos réalités quotidiennes. L’auteur raconte ces histoires avec une aisance impressionnante, tant dans le style utilisé que dans le choix des noms des personnages. Sans même lire le livre, le lecteur peut se faire une idée du rôle et des actions de chaque personnage rien qu’en entendant leurs noms. Eh oui ! L’onomastique ne laisse personne indifférent. Le xénisme est bien présent avec des expressions tirées de notre terroir. Le livre est foncièrement africain. Et c’est bien là, tout le mérite de l’auteur.

Mauricette MAKIN

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