« NOTRE-DAME DE PORTO-NOVO », Ricardo AKPO.

« NOTRE-DAME DE PORTO-NOVO », Ricardo AKPO.

Présentation du livre NOTRE-DAME DE PORTO-NOVO

  Lire un livre ne veut pas dire qu’on l’a compris. C’est quand on l’a  compris que l’on peut se permettre de dire qu’on l’a vraiment lu. En effet, il est impossible de lire le silence d’un écrivain, car l’écriture, c’est le silence. Comment peut-on faire l’exégèse d’un silence sans en connaître au préalable les raisons ? L’on peut dire que celui qui a compris un livre, après lecture, a compris le silence de l’écrivain. La littérature est comme un jeu de puzzle. L’écrivain offre une partie, le lecteur la complète. Pour cela, le lecteur cherche, fouille, court, marche, boîte, vole, plane, descend, creuse, trie et crible. Eh oui ! c’est en réalité le processus que suit un écrivain avant de pondre un mot, une phrase, une ligne, un paragraphe, un chapitre, un livre. Il prend par tous les états possibles. Il se fait esclave du temps, spectre de la nuit, nymphe du bois, sirène des eaux, albatros de l’air. Et c’est le fruit de tout ce long périple qui nous unit ici aujourd’hui. Nous sommes venus contempler le silence de Ricardo AKPO. Un silence qu’il a su embastiller dans un livre. Il l’a appelé ‘’NOTRE-DAME DE PORTO-NOVO’’.

’NOTRE-DAME DE PORTO-NOVO’’ est un recueil de nouvelles commis par Ricardo AKPO. A priori, le titre suscite plusieurs interrogations. Une dame de Porto-Novo, ou quelqu’un de Porto-Novo, on en rencontre quand même souvent sur notre chemin. Cette dame serait-elle alors différente de toutes les autres de la ville ? Et en quoi serait-elle singulière ? La particularité se trouverait-elle donc dans le pronom ‘’Notre’’ ? Eh oui ! ce pronom est un indice de taille qui peut amener à interpréter autrement le livre. En le monnayant d’une autre manière, on peut remplacer ce déterminant ‘’Notre’’ par la première personne du pluriel ‘’Nous’’. On dira alors ‘’Nous avons une dame de Porto-Novo’’. Serait-ce donc un langage codifié de la part de l’auteur ? Puisque la première de couverture l’illustre bien. Une jeune fille avec un regard et une posture qui en disent long. Mais au même moment, certains peuvent penser que NOTRE-DAME est comme une marque déposée. Les puristes vont peut-être penser à la Vierge Marie, ou quelque chose ayant trait à la religion, encore qu’il y a la cathédrale NOTRE-DAME DE L’ASSOMPTION DE PORTO-NOVO. Le comble, on voit sur la quatrième de couverture, la photo d’une sœur religieuse en filigrane. Toutefois, on ne peut quand même pas arborer le spirituel, ou la religion et l’illustrer par la photo d’une jeune fille. Et c’est là, tout le contraste qui tourne autour de la première de couverture et du titre du livre. C’est comme le sacré et le profane qui se toisent. L’auteur joue déjà un tour intriguant au lecteur juste avec la vitrine et l’image de son œuvre. Après tout, la littérature est un jeu de ‘’Jacques, où es-tu ?’’. On croit savoir où l’auteur nous emmène, mais en réalité, on ne le sait vraiment pas. Il peut, avec ses roublardises scripturales, nous fausser compagnie, ou nous entraîner dans des labyrinthes mystérieux à tout moment. C’est pourquoi il faut toujours se méfier de porter un jugement hâtif sur un livre sans avoir pris le temps de le lire entièrement.

Permettez-moi de vous présenter les différentes nouvelles que comprend ce recueil.

Présentation des nouvelles

’ENTERREMENT DIFICILE’’, c’est la première nouvelle du livre. Quand l’inhumation d’un corps devient difficile, c’est qu’il y a des écueils qui entravent la bonne entente entre les familles. Et ce phénomène est récurrent en Afrique, particulièrement au Bénin. On voit des personnes s’engueuler et même s’entretuer à propos d’un corps. L’auteur pour moi ici reste un grand observateur, parce qu’il a su peindre dans cette nouvelle un tableau authentique et rationnel. Elavagnon agonise sur son lit depuis des mois. Elle réclame la présence de ces trois filles qui sont informées de son état de santé dégradant. Mais ces dernières ne sont jamais venues la voir. Elavagnon finit par rejoindre le « koutomè » p.17 (séjour des morts), en laissant quand même une dernière volonté : elle voudrait qu’on l’enterre dans la maison familiale. La tombe est creusée, mais « ses filles reviennent à la charge pour nous dire que leur mère ne sera pas enterrée là, qu’elles lui ont prévu une place sur une vaste parcelle prise pour elle, juste pour l’enterrement ». p.18. La famille ne veut pas démordre, les enfants ne veulent pas non plus se laisser intimider par la famille. Une guerre voit le jour. Le génie de l’auteur est de raconter l’histoire à travers une jeune adolescente très intelligente. Peut-être pour dire que les enfants ne sont pas aussi naïfs comme nous le pensons. Ils nous observent plus que tout.

’Unis pour l’éternité’’ est la deuxième nouvelle. Dans cette nouvelle, le drame et l’élégie s’embrassent. Le mystique et le mystérieux s’entrechoquent. Le vieux Gankpanvi use d’une pratique ancestrale pour se rajeunir. « Tendre une trappe mortelle à un être vivant, irriter le prince de la mort, l’attirer avec la chair humaine et rester soi-même hors du cercle en prenant une douche magique, afin qu’il frappe la première âme vivante qui entre dans le périmètre de la trappe. Ce faisant, l’âme retourne dans le monde des morts et tu prends la durée de sa vie terrestre. Tu as une rallonge de vie. C’est du ….., le koudyo, comme on le dit à Agbomè ». p.48-49. Kouavi et Kpongnon, deux jeunes amoureux, en feront les frais. Mais est-ce que le vieux Gankpanvi mourra un jour, puisqu’il rajoute à lui-même une durée de vie terrestre ?

’Ici et ailleurs’’ est la troisième nouvelle. L’éternel problème de la fuite des cerveaux est remis sur la sellette. Les jeunes diplômés crient chômage. Les dirigeants  restent sourds aux besoins de la jeunesse. Ils se souviennent d’eux, juste quand sonne « l’heure plébiscitaire. En ce moment, ils deviennent des âmes libérales » p.60. Mais une fois leur objectif atteint, ils retournent dans leur monde et la population continue à « siroter l’eau de la disette ». p.60. Le phénomène de la migration est mis ici sur le tapis. On apprend que les jeunes meurent dans la méditerranée en essayant de rejoindre l’Occident. Mais est-ce vraiment à cause de la faim que les jeunes quittent leur terre à la quête d’un ailleurs meilleur ? Et sont-ce vraiment tous ceux qui prennent par la mer qui y meurent ? L’auteur pense en tout cas que nous n’avons pas tous la même destinée, et que cette histoire, c’est pour hier.

Eh oui ! ‘’C’est pour hier’’ est la quatrième nouvelle de ce livre. Nous le savons bien, « Autour de l’alcool, tous les coups sont permis. L’alcool fait suinter la verve comme un diarrhéique incapable de retenir ses matières alvines ». p.91. Dans cette nouvelle, l’auteur nous plonge dans le quotidien béninois ancestral et moderne. Komlan, ses comparses et leurs anecdotes aussi folles que drôles en sont une illustration parfaite. Mais est-ce que le Père Curé pardonnera à Komlan son manque de respect envers l’Eucharistie avec son odeur nauséabonde ? En tout cas, ils diront le reste entre eux, peut-être à la cathédrale Notre-Dame de Porto-Novo.

NOTRE-DAME DE PORTO-NOVO est la cinquième nouvelle. La nouvelle éponyme qui prête son titre à l’œuvre. Dans ce texte, l’auteur peint la capitale administrative béninoise avec une verve séduisante, une plume aguichante et un rythme exquis. C’est un ramassis de l’histoire de cette ville et tout ce qui la concerne. Kouassi-Gbodo a beau jouer à l’intellectuel, au charmant, au romantique, il n’a pu s’éviter de goûter les délices de la main métallique de Eshimélédha sur sa joue. Un soufflet sonore comme prix de trahison. Et tout cela, « C’était à Notre-Dame de Porto-Novo ». p.127

’Elle s’appelait Moyo’’ est la sixième nouvelle du livre. Moyo, la plus belle de la classe, ne se voit pas en train de construire sa vie avec un élève comme elle. Elle ne voudrait pas porter une « chaussure qui pourrait lui seoir, mais des mules qui la dépassent. » p.139. Elle se joue la plus belle, la plus importante devant ses camarades, celle qui sort avec les grandes personnalités, mais c’est sans compter sur sa jeune sœur qui viendra lui charger une commission en plein cours : « Maman a dit de venir ramasser le bois de chauffage à la fin du cours » p.139. Son buzz devient ‘’buzz étchidémè’’.

’Pour une histoire de laitue’’ est la septième nouvelle. Nous avons tous connu ce maître rigoureux, exigeant et intransigeant quant à l’apprentissage exact de la langue française. Seulement qu’on ne peut pas tout savoir, et deux mots peuvent avoir le même son à l’oral et une orthographe différente à l’écrit. Que ce soit donc ‘’Lecture’’ ou ‘’Laitue’’, c’est le petit Etêkawê qui s’en sort perdant, « le ventre rempli d’eaux ». p. 148.

‘’Qui nous a’’ est la huitième et dernière nouvelle. La métaphysique pure est l’essence de cette nouvelle. L’auteur nous entraine dans deux mondes différents. A la fin de la nouvelle, on se sait plus dans quel monde on se retrouve.

Impressions personnelles

NOTRE-DAME DE PORTO-NOVO est un titre trompeur. La première de couverture vient même le défendre. Le livre n’a rien à voir avec le spirituel. Et comme je le disais précédemment, on croit seulement savoir où un écrivain nous emmène, mais en réalité, on ne le sait vraiment pas. Ce livre en est l’exemple, et même le plus probant qui soit. Le livre n’est pas du tout ennuyant. Au contraire, on y trouve le souffle, le rythme, l’émotion. Eh oui ! parfois votre cœur bat et vous êtes pressé d’ouvrir la page suivante pour découvrir la suite de l’histoire. L’auteur a réussi à apprivoiser l’esprit du lecteur, il l’a conquis, et le lecteur n’a pas envie de fermer le livre sans finir tout au moins le paragraphe qu’il a entamé. Et c’est là, le but ultime de la littérature, mieux d’un livre. Savoir tenir le lecteur en haleine du début jusqu’à la fin. Ricardo AKPO a gagné ce pari. Il vous parle d’un problème sérieux tout en y mettant de l’humour. Vous riez et réfléchissez en même temps. Notre-Dame de Porto-Novo me fait penser à cette assertion de Hamadou Hampâté Bâ « instruire en s’amusant a toujours été un principe des grands maîtres ». Ricardo utilise le sarcasme pour mettre à découvert plusieurs problèmes qui étreignent l’Afrique, et surtout l’homme en tant qu’être vivant.

La désillusion, la métaphysique, la mort, la migration sont en quelque sorte les thématiques épluchées par Ricardo dans cette œuvre. Par ailleurs, Ricardo s’inscrit dans une littérature traditionnelle classique. Le xénisme est bien vivant son livre. C’est comme il se dit : voilà, ils nous longtemps gavés l’esprit de Le père Goriot, Jean Valjean, Cosette, Madame Bovary, la Seine, etc., il est temps que nous parlions, nous aussi, de Komlan, Kouassi-Gbodo, Gankpanvi, Gbagla, Etêkawê, Kouavi, Zêhoui, Hounza. Une certaine particularité s’observe au niveau de l’onomastique. NOTRE-DAME de PORTO-NOVO est un pur régal. Aujourd’hui, on ne parle plus du Poète classique Ricardo AKPO, mais du nouvelliste Ricardo AKPO. Ce jeune entre une fois encore dans l’histoire et le cercle des écrivains complets, des écrivains qui touchent à tout. NOTRE-DAME PORTO-NOVO, vous allez rire et pleurer ici. Mais le plus grand avantage, vous sortirez plus grandi et plus pensif.

NOTRE-DAME DE PORTO-NOVO, prenez et dévorez-le.   

Père Épiphane Gantèzounon

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