Explosion
Eric-Amour Amayidi,
Porto-Novo, Légende éditions, 2023, 89p.
On peut se réjouir, en lisant le bouquet de poèmes Explosion que vient de sortir Eric-Amour Amayidi, de ce que les mots continuent d’exprimer l’indicible et d’attester le cri, à une ère où des tensions visibles et invisibles travaillent à annihiler le droit à la révolution, le droit à l’initiativeun peu partout dans le monde. Les mots, dans la bouche du poète, ne doivent pas trahir ou flancher. Pas plus que dans ses faits et gestes au quotidien !La vérité est que ce florilège sonne comme un véritable coup de poing sur la table des « assassins de la vie » tout court. Déjà, si on se réfère à la couverture multicolore qui montre, sur un fond noir, une éruption volcanique qui libère des oiseaux qui se dispersent aussitôt vers une destination inconnue, et désormais en quête d’un autre endroit empreint de liberté, comme s’ils avaient été longtemps retenus au milieu des cratères, contre leur gré. Cette implosion rageuse dans le titre comme dans l’image, qui donne le ton et l’esprit dans lequel cette plaquette a été conçue, matérialise la volonté du poète de sortir et de faire sortir d’un piège (intellectuel)tendu, son engagement et les peuples qu’il porte fièrement dans son cœur, comme s’ils étaient sous une emprise visible ou non. C’est d’ailleurs à partir d’un déclic généré par un simple souvenir d’enfance:
«
Dans le ciel des temps ensevelis
Je redécouvre pris dans l’une de mes trappes
Un petit grand oiseau
Que ma conscience d’enfant mit dans un palais doré
Le pauvre animal coutumier du grand air
Dans un regard morne
Observait désormais la nue
Où jadis il déployait ses majestueuses ailes de liberté »(pp.23-24)
Que Amayidi ouvre le bal de sa diatribe sociopolitique qui scanne tour à tour les actions liberticides qui dynamitent les espoirs des populations, le bâillonnement de la vérité sur la gestion des affaires publiques, et l’écume des terrassements politiques qui jalonnent l’actualité de son pays et du monde.
- L’oiseau comme l’allégorie d’une liberté encagée, compromise
La métaphore de l’oiseau, dans ce recueil, procède d’un double fonctionnement : l’oiseau symbolise le message ou lemessager(ou peut-être le poète ou l’intellectuel) qui soulage la détresse ou les souffrances du peuple, à travers ses ailes (donc la connaissance, la lumière, l’éclairage) qu’il déploie quand il veut et où il veut. Encagé, les populations se trouvent privées d’une certaine vérité ou victimes d’un sevrage intellectuel :
« Pauvre petit grand oiseau
Plumé sur les rues rutilantes de la ruse
Le progrès en marche prussienne
Te piétine sur le macadam
Où pourtant tu résistes héroïquement
Telle une femme mère braquée sur le pont de la capitale » (pp.28-29)
Mais l’oiseau ici peut aussi s’assimiler à une poésie ( ou poète) révolutionnaire, porté(e) sur le front optimal de la révolte du dire qui veut se libérer des carcans traditionnels et des cardiopathies sociopolitiques en sortant de la négritude par le haut de la culture de la dissidence ou de la dissidence de la culture pour délivrer un message qui devrait non pas seulement galvaniser un peuple « en proie à toute sorte d’injustices » pour reprendre les mots du préfacier Eugène Gbédédji, et dont l’espoir est toujours en berne
« Chaque souffle poétique est une plume d’oiseau
Qui vole sur les airs éternels de la liberté
Chaque poème un oiseau
Que libère la plume du rêveur
[…]
Chaque génération doit reconstruire le nid
Que menacent les orages politiques d’hier à demain
Chaque fils protéger l’oiseau fragile
Des oiseleurs hideux » (pp.34-35)
mais aussi et surtout réveiller certaines couches sociales dont l’ignorance est exploitée par des politiciens véreux et mythomanes qui, mus par des intérêts égoïstes et personnels, n’hésitent pas à détourner le pauvre contribuable public et à saquer les libertés individuelles et collectives, sans que cela ne tire à conséquence dans la suite de leur parcours sombre et douteux, laissant ainsi se dérouler à l’infini, de nombreuses inégalités sociales et politiques.
- L’ombre cannibale : comme un éternel syndrome des terrassements politiques ?
Si, comme le souligne le poète lui-même, Explosion fonctionne comme « le film d’une parenthèse de sang douloureuse dans notre commune histoire», il n’en demeure pas moins vraiqu’il s’agit avant tout d’un véritable théâtre de retour en arrière qui expose les exactions et vénalités sur fond de règlements et d’assassinats politiques qui gangrènent le tissu social et les institutions. C’est d’abord l’enjeu paratextuel de ce recueil qui pointe du doigt cette volonté prédatrice des « vautours politiques » qui « hissé(s) sur de Haut-Talon » , se soucient très peu de « l’effroyable musique de nos sanglots » (p.72). Le poète tisse un jeu intertextuel qui se signale d’abord par des clins d’œil à des faits liberticides au crédit d’une gestion politique chaotique ayant défrayé la chronique nationale à travers les nombreuses dédicaces (« à tous ceux que l’ombre à broyés amoureux de l’air à en mourir », « à Prudence Amoussou que l’ombre cannibale a mangée au soir du 2 mai »), par des allusions et des alluvionssubversifs à l’actualiténationale la plus brûlante (« Taxe pas mes rêves » qui fait penser au fameux hastag « Taxe pas mes Mo » de la pétition lancée pour désabonnement de toutes les pages et services des opérateurs téléphoniques suite à la décision du gouvernement béninois de taxer les services de communications téléphoniques sur les réseaux sociaux et Internet) et internationale pour mieux crier son ras-le bol face au spectacle consternant des terrassements ou privations sociaux et politiques dont sont victimes les populations ou certaines communautés,
« Les taxes écrasent nos rêves
Comme le genou blanc
Sur un cou noir » (p.48).
Le poète béninois va plus loin en prenant fait et cause pour les couches sociales défavorisées par une mauvaise gestion qui promeutl’impunité au point de les clochardiser (« J’ai rencontré sur le chemin du devoir/Des frères d’arme tel un malheureux troupeau/Que le sadisme et le mépris des princes mènent vers de/gris pâturages de la déchéance »(p.61)) et discrédite certains travailleurs qui allaitent le capital humain et se sacrifient pour faire rayonner la culture qui devrait être la pierre angulaire de tout développement (« je suis aspirant et consumé par l’enfer du devoir je porte le malheur comme un triste trophée que le sacerdoce impose aux potiers de ma génération sous les heures de labeur qui m’écrasent ainsi que des pelles de terre sur le cercueil de ma généreuse motivation » (p.62)).
Comme on a pu le constater, le poète béninois tire à vers rouges et ne mâche pas ses mots dans ce recueil étiqueté Explosion qui, bâti en deux saisons à l’image d’un quinquennat d’enfer renouvelable, dresse le bilan chaotique d’une gouvernance désastreuse, ou pour reprendre l’expression du postfacier, d’ « une oligarchie rapace et prédatrice des libertés et du bonheur collectif ».Ainsi donc, nourri de borborygmes lyriques et ignées, Eric Amayidi claque ici, avec une puissance extraordinaire des mots, sa colère d’écorché vif face aux spoliations multicolores dont est victime ce peuple qu’il porte tant en lui, et aux illusions syllabisées par des faisans éclairés qui se réjouissent depuis lors de la nuit et de son coma prolongé.
Grégoire Folly,
Ecrivain poète.