Après mon diplôme en administration des territoires, j’ai voulu exercer. Avoir une vie professionnelle et m’épanouir en tant que femme active dans la cité, qui apporte sa pierre à l’édification des consciences, jouer mon rôle de citoyenne engagée au service de ma nation, tel était mon rêve depuis le ventre de ma mère. Très tôt, j’avais pris conscience que la société a besoin des deux mains – celle masculine et celle féminine – pour s’épanouir. Deux mains mâles autour du pot social, c’est la Voie Royale des avalanches d’échecs et du cycle de l’éternel recommencement. Deux mains féminines, houm… Ce n’est pas la panacée non plus J’ai toujours voulu travailler, montrer à moi-même et à mon père, qu’une femme est faite pour transformer la société en ce foyer dont elle mère. Si elle est mère du foyer, elle le sera davantage de la cité, étant entendu que cette dernière vient de ses entrailles. Mais, aujourd’hui, quand j’y pense, je me dis qu’il a toujours fait exprès de me détourner de tout. La première fois, quand j’essayai de trouver un boulot, il m’en dissuada avec tact, arguant que j’avais tout le temps pour le faire. C’est vrai que nous vivions un bonheur absolu. Je ne manquais de rien et c’était nouveau pour moi une vie de couple où j’étais comme ma mère, une femme au foyer. Ma mère me signifiait qu’il fallait que j’aie un travail, que je me prenne en charge financièrement. Mais il y avait mon homme qui me couvrait de bijoux, de pagnes et d’autres prévenances que mon salaire, aussi colossal soit-il, ne pourrait jamais me procurer. Quand ma mère revint à la charge, insistant qu’il me fallait me secouer un peu et m’imposer en artisan de mon destin, je lui répondais vaguement que j’y pensais. Deux ans après une vie amoureuse bien remplie, je tombai enceinte d’Essé, mon garçon. Nouveaux épisodes de joie. Détermination et force. Miracle à vivre à deux. Sètché, mon mari, me comblait. Je finis par croire que j’étais un œuf. Son œuf.
J’accouchai d’Essé et six mois après, il retourna dans l’éternité suite à une simple fièvre. Je ne pleurai pas. Je gardais le silence et je dormais tout le temps avec le doudou de mon fils. Je voulais juste oublier et qu’on ne me rappelle pas que mon fils n’était plus là. Sètché faisait tout pour que je reprenne vie et courage. Il souhaitait qu’on voyage, ou que tout au moins je piaillasse comme à mon habitude. Mais des choses avaient changé en moi. Bien des ressorts avaient été brisés en moi. La musique m’ennuyait désormais au grand désespoir de mon ange de mari qui se désolait de ce que les poèmes qu’il écrivait pour moi n’avaient plus aucun effet ; j’étais devenue insensible, insipide, impassible. Je ne voulais qu’une seule chose : que mon petit Essé me revienne, qu’il se blottisse contre mon sein, que je le réchauffe dans mes bras, qu’il pleure et que je console, qu’il me sourie et continue de m’apprendre que sa joie de vivre, c’est d’être en sécurité entre mes bras. Je veux le pouponner, lui chanter des berceuses, le lancer et le rattraper, passer mon temps à lui faire des confidences. Son innocence me manque, sa candeur me manque et ce silence où il est à jamais descendu me remplit la tête de bruits inénarrables. Il allait déjà à quatre pattes, et je m’amusais à l’appeler mon « mille pattes. » Il fit une fièvre. Aussitôt, je l’amenai à l’hôpital. L’agent de santé me le prit des bras. Il braillait et se démenait de toutes ses forces. Je ne savais pas qu’il luttait déjà contre la mort. On le mit sous perfusion, après lui avoir fait certaines injections. C’est bien plus tard que je me rendis compte que l’homme en blouse n’avait pris ni sa température, ni son pouls ni sa tension. Mon fils gigotait comme un vers sur la braise. Le malheur voulut que je tombassa sur cet apprenti sorcier qui avait précipité mon fils au séjour des morts. Sinon, pourquoi ne m’a-t-il jamais retourné le carnet de soin de mon bébé ? Quel traitement lui a-t-il administré ? J’amenai mon bébé à l’hôpital vivant, et en revint avec son cadavre. Amertume. Douleurs sans nombres. La vie n’avait plus de sens pour moi. Une partie de moi était enterré avec Essé. La lecture ne me le fit pas oublier. Ni les consolations des proches et amis. Ni la tendresse de mon mari. Rien. Une seule chose m’intéressait. Sortir de ces quatre murs et n’en revenir que le soir pour pleurer mon bébé. S’était imposé à moi le vif désir de me secouer, comme le disait maman.
– Une femme qui ne se secoue pas ne saurait être un secours pour le monde. L’inanité est le tombeau où croupit cette génération pourtant ambitieuse qui nourrit des rêves fous qu’il entend réaliser en siphonnant les acquis des autres. Si tu ne travailles pas, ma fille, tu es un cadavre ambulant ; car le jour où la source qui te comble aujourd’hui va tarir, tu périras à coup sûr…
… A suivre.
AKOFA Myrtille.
« Une femme qui ne se secoue pas ne saurait être un secours pour le monde. » Sans que je sois féministe avéré, je crois que ce n’est pas faux. c’est fini l’ère des « madames salon ».
Merci pour la suite. Vivement la troisième séquence à délecter.
Vivement donc
Hmm. Merci pour la suite